En pleine figure. J’ai mis la chanson de Khaled, « Aïcha », pour écrire ses lignes : « Aïcha, Aïcha, écoute-moi/Aïcha, Aïcha, t’en vas pas/Elle a dit : « Garde tes trésors »/Moi je vaux mieux que tout ça/Des barreaux forts, des barreaux même en or/Je veux les mêmes droits que toi/Et du respect pour chaque jour/Moi, je ne veux que de l’amour ». » Ces paroles peuvent illustrer le film de Yamina Benguigui. Le prénom Aïcha n’a pas, je pense, été choisi au hasard, car il veut dire : vivante, pleine de vitalité, et c’est la trame de ce téléfilm, drôle et touchant.

La réalisatrice nous balance en pleine face les codes et préoccupations des Maghrébins de France. Tout cela est révolu, diront certain(e)s – par peur de voir la réalité en face ? D’autres diront que nous sommes en plein dedans. Je suis plus de ces derniers. Yamina Benguigui force parfois le trait pour bien nous faire comprendre que toute Arabe musulmane doit composer entre, d’une part, sa rage de vivre, ses envies, ses désirs et d’autre part, sa religion, sa tradition, sa culture. Comment satisfaire ce corps pleins de désirs charnels alors que vous avez un chien de garde qui vous en empêche ? Et malheur aux insouciantes, car parfois, pour elles, c’est catastrophique, comme le montre le passage du film où la fille tente de se suicider parce qu’elle est tombée enceinte hors de tout mariage, civil comme halal.

Le but de ces femmes est de concilier « la vie à la française » avec « la vie dans la cité », toute en conservant cette précieuse virginité. A force de subir cette frustration, cette oppression, elles veulent fuir la famille. Mais y reviennent aussitôt, car chez les Maghrébins, la famille, c’est sacré. L’exercice était difficile, mais Yamina Benguigui s’en sort plutôt bien, avec l’aide d’une Sofia Essaïdi dans le rôle titre, qui transforme un coup d’essai en coup de maîtresse.
Nicolas Fassouli

Des oppositions trop factices. Je suis une inconditionnelle des documentaires de Yamina Benguigui. Je me souviens que lors de ma troisième année à Sciences-Po Grenoble, pendant les grèves, j’avais organisé avec un professeur la projection de « Mémoires d’immigrés » et de « Plafond de verre » dans un des amphis de l’école. Il y a quelques jours, j’ai vu la bande-annonce d’« Aïcha ». Par les temps qui courent et le débat autour du manque de représentativité des Français dits de la « diversité », la diffusion de ce film sur une chaîne de service public prend évidemment tout son sens.

Pendant 1h30, pourtant, j’ai eu l’impression que la réalisatrice s’est efforcée de parler de tous les problèmes potentiels que peuvent rencontrer les familles françaises d’origine maghrébine : mariages arrangés, poids des traditions, islam radical, autoritarisme du père, manque de liberté des filles, discriminations, poids de la guerre d’Algérie, mal-logement… Impossible de dire que ceux-ci n’existent pas. Mais leur enchaînement, dans une durée aussi courte, pèse sur le film. Certaines scènes ont su mêler le rire à la réalité sociologique des parcours de vie : je pense par exemple à celle où la maman d’Aïcha apprend à l’auto-école, qu’elle a enfin, après moult tentatives, obtenu son code. La scène est drôle, subtile, ne tombe ni dans la caricature facile ni dans un pathos surdimensionné.

D’autres, en revanche, et elles sont nombreuses, multiplient les stéréotypes. Au final, d’un bout à l’autre du film, les familles sont enfermées dans une hystérie permanente qui sous-entend presque qu’elles ne savent ni prendre du recul sur les évènements, ni relativiser les drames qui les touchent. A contre-courant donc du message que la réalisatrice souhaitait pourtant donner : une jeune femme Aïcha, qui malgré tout s’en sort par l’abnégation et le courage.

Si les moments de vie qu’évoquent le film ne peuvent être niés, je regrette l’opposition faite entre deux jeunesses. Celle que représente Aïcha, décrite comme une fille de la République, libre, intégrée, pleine de vie et celle qu’incarne un groupe de jeunes musulmans, présentés comme radicaux et vers qui Nedjma, jeune diplômée ingénieur, se tournera, excédée par les discriminations dont elle est victime. Ces jeunes qui ont choisi la religion comme solution à leur mal-être sont dépeints comme sectaires avec à leur tête, un chef d’une trentaine d’année présenté comme un islamiste dont l’objectif est d’abuser du désespoir de Nedjma pour coucher avec elle.

Ces deux jeunesses opposées de manière si radicale sont pourtant issus du même milieu, vivent les mêmes échecs mais sont malheureusement casés dans des perspectives radicalement opposées. Les frontières dans la réalité ne sont pas si opaques.
Nassira El Moaddem

Un grand pas malgré les clichés. Aïcha, en arabe, c’est la vie, ou plutôt « toute une vie ». L’héroïne est certes dans le film une jeune fille maghrébine fonceuse, courageuse et jolie mais opprimée, victime de coutumes ancestrales et partagée entre ses deux cultures. Il fut un temps peut-être où les jeunes filles se mariaient pour échapper à la dictature d’un père ou d’un frère mais nous en sommes bien loin aujourd’hui. Les jeunes filles de nos jours ne rêvent plus de traverser le périph. Il y a bien longtemps qu’elles sont passées à l’étape suivante. Elles vont à l’université, elles étudient d’ailleurs souvent bien mieux que les garçons. Elles sont ambitieuses, travailleuses. Elles occupent des postes à responsabilité et sont même pour certaines ministres.

Le film se regarde agréablement mais il y a beaucoup trop de clichés : mariage forcé, virginité, discrimination, islam, etc. A plusieurs reprises on y voit les femmes au hamam comme si de nos jours on n’avait que cela à faire. Même nos mamans n’ont plus le temps de s’accorder ce moment de détente. C’est devenu un luxe. La scène de l’entretien d’embauche est excellente, Cyrielle Clair parlant l’arabe à Aïcha qui ne le parle presque pas. C’est le cas de beaucoup de jeunes filles. La discrimination à l’embauche et à l’accès aux stages y est également évoquée et reste malheureusement toujours d’actualité.

Il y a quand même quelque chose de positif, le fait qu’un téléfilm sur le thème des jeunes issus de l’immigration passe à 20h30 est déjà un grand pas. Aujourd’hui partout dans les médias on prône la diversité, c’est dans le vent alors puisque nous avons le vent en poupe, profitons en.
Khadija Ichou

« Docteur House » sur TF1. Avec « Aïcha », on se dit que rien n’a évolué, que l’on est toujours au Moyen Age. Les vieilles qui commèrent au hammam et l’autre qui accouche d’un petit Noir : Ayma ! L’hachouma dans la famille jusqu’au bled ! Nora, une mes amies qui a vu le film, a fait un bond de 20 ans en arrière, « tellement ça [lui] rappelait des souvenirs ». Comme l’obligation de passer par la case mariage pour gagner son indépendance. Ce film relate des réalités que j’avoue côtoyer dans mon quotidien, pourtant, je n’ai pu m’empêcher de penser à l’Auvergnat qui ne sait rien de ce milieu. Qu’est-ce qu’il va penser de nous, Madre de Dios ?

Le sujet néglige de présenter un contrepoint, c’est-à-dire de montrer, ou simplement d’évoquer, une famille musulmane « typique » vivant en France et qui a réussi le pari de l’ouverture en prenant le meilleur de nos deux continents. En regardant Aicha, avec la belle Sofia, j’ai eu l’impression d’être en présence des amis du coin et de prolonger ma journée ; aussi j’ai zappé pour suivre l’adorable psychotique docteur House.
Nadia Méhouri

Rédaction du Bondy Blog

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