Tout commence lors d’un voyage en Bretagne, où la narratrice aide une amie de sa mère à écrire l’histoire de sa vie. Lors de ce séjour en Bretagne, l’héroïne entend le nom de la rue Les Rigoles, celle de son enfance dans le 20e arrondissement de Paris. Ses souvenirs refont face et, elle décide de repartir à la recherche de son quartier d’enfance. Un territoire divisé en deux  d’un côté habité par une classe sociale pauvre, et de l’autre une classe sociale plutôt aisée.

Dans ce roman, la narratrice se souvient de son arrivée dans cet appartement acheté par ses parents, de la vue de sa chambre et de ses amis d’école et de son premier amoureux Maba. L’histoire est émouvante et drôle, avec une écriture fluide et très naturelle, elle navigue avec maîtrise. Une magnifique lecture.

Kab Niang : Vous venez de sortir votre premier roman où vous nous invitez à un cheminement vers le souvenir, presque un travail de la mémoire. Cette sensation ressentie par le lecteur est-elle aussi le schéma de création qui vous a conduit à écrire ce livre ?

Alice Babin : Oui, tout à fait. Vous parlez de « cheminement », c’est ça. Pour écrire ce livre, je suis vraiment partie du chemin. De la rue, du réel. Le souvenir de ce lieu m’habitait, débordait de moi. Il fallait que je le canalise, que je le fasse exister une bonne fois pour toute, pour en être soulagée, allégée. Je suis donc partie à sa recherche, dans ma tête bien sûr, dans les souvenirs, mais aussi « en vrai ».

Le XXème arrondissement est un des rares et derniers quartiers populaires de Paris, et donc en proie à une forte gentrification.

J’ai refait le trajet vers cette maison, emprunté différents chemins qui me menaient à elle, de nuit, puis de jour ; pendant plusieurs mois, j’ai rôdé dans le quartier, pour essayer de réveiller les esprits du lieu qui dormaient en moi. C’est un peu comme un pèlerinage. Un voyage pour réveiller la mémoire. J’en avais besoin.

A quel moment avez-vous pris conscience de la volonté de se réapproprier ce XXème arrondissement ?

Je crois que ce lieu m’habite depuis très longtemps. Son architecture, son paysage social, ses bruits, ses odeurs sont en moi depuis longtemps, mais au début, je ne m’en rendais pas compte. C’est en voyant le quartier évoluer, la rue changer, ravalements, extensions, nouveaux visages, que j’ai ressenti le besoin de faire exister le lieu tel que je l’avais connu, avant qu’il ne disparaisse.

Le XXème arrondissement est un des rares et derniers quartiers populaires de Paris, et donc en proie à une forte gentrification. J’avais besoin de me le remémorer, non seulement pour moi mais aussi pour l’Histoire en général, pour éviter l’oubli. Je crois que c’est surtout pour cela qu’on écrit, enfin, moi ça était le cas : pour faire exister, pour fixer l’éphémère.

Petite, j’ai pris conscience que nous pouvions vivre les uns à côté des autres, ou plutôt, ici, les uns en face des autres

Que représente le fait de quitter la rue des Rigoles pour vous ? Un quartier où les classes sociales se font face… 

La rapport de cette rue à la société m’a marquée. Petite, j’ai pris conscience que nous pouvions vivre les uns à côté des autres, ou plutôt, ici, les uns en face des autres, s’entendre, se voir, être amoureux, faire ses courses ensemble, sans être égaux pour autant. D’un trottoir à l’autre, la vie changeait radicalement. Un trottoir de cité, un trottoir de pavillons, ou immeubles bas. Cette rue synthétisait, représentait le monde pour moi, ainsi que les combats à y mener. Même en déménageant, on ne se défait pas de cette leçon. Encore aujourd’hui, elle me guide dans ce que je fais, et dans la façon dont je regarde notre monde.

Dans mon livre, je voulais raconter cette double facette d’un lieu à soi : une quête intime, forcément prise dans une logique plus vaste, politique au sens large du terme.

Qu’elle soit louée, acquise ou construite au nom de l’amour, du travail, des enfants, la maison est souvent considérée comme allant de soi, vu sa nécessité… Quelle est sa valeur pour toi ?

Je crois que la construction d’un lieu n’a rien d’anecdotique. Se bâtir un chez soi, ce n’est pas un projet banal. C’est une quête qui renferme énormément d’enjeux, intimes, autant que politiques. On vit dans un monde, pas sur une île déserte, et encore, même l’île déserte est soumise aux aléas climatiques, et donc politiques. Nous sommes toutes et tous relié·e·s les uns aux autres, et dépendons toutes et tous des autres, faisons toutes et tous partie d’une Histoire commune.

La maison, le chez soi, ne fait pas exception à la règle. Dans mon livre, je voulais raconter cette double facette d’un lieu à soi : une quête intime, forcément prise dans une logique plus vaste, politique au sens large du terme. Nous balançons toujours entre ces deux histoires là, essayons de construire, habiter le monde avec ces deux dimensions, et ce n’est pas chose facile !

Ça paraît un peu cinglé comme ça, mais… Je considère que les objets, et les lieux,
ont un esprit

Qu’est-ce qui se cache derrière le titre de votre roman Prière au lieu ?

Une prière au lieu… C’est… un message adressé à un lieu. Un souhait, un remerciement, une colère. Je fais ça depuis que je suis petite. Je parle aux lieux, aux endroits, à la chambre, au métro, et oui, surtout la ligne 11… À la porte, à ces lieux qui nous abritent, auxquels nous sommes attachés, qui font partie de notre quotidien.

Encore une fois, sans doute, pour fixer des choses. Faire exister des pensées. Ça paraît un peu cinglé comme ça, mais… Je considère que les objets, et les lieux, ont un esprit, sont vivants, quelque part. Alors je leur parle, je les fait exister, je leur confie des choses. J’appelle ça une prière au lieu. Et, finalement, ce livre est la plus longue prière au lieu que j’ai prononcé !

Prière au lieu, d’Alice Babin, publié aux éditions JC Lattès.

Propos recueillis par Kab Niang

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