Deux visions religieuses s’opposent dans Or Noir avec le duel Amar vs. Nesib. Sans faire de manichéisme, on a l’impression que les gentils dans le film sont habituellement les méchants. Vous confirmez ?
Jean-Jacques Annaud :
C’est le débat universel de la modernité. On s’aperçoit, je crois, historiquement, que ceux qui ont basculé dans les facilités de l’argent ne se sont pas révélés particulièrement favorables à l’émancipation de leur peuple et à la redistribution de l’argent. C’est un débat très actuel. A-t-on bien fait de suivre les conseils de ceux qui prônaient l’argent roi, d’écouter les banquiers, Qui s’est enrichi dans l’affaire ? Les banquiers. Le film essaie de replacer ce débat sur la modernité à sa juste proportion tout en essayant d’établir un équilibre. On ne dit pas que les conservateurs qui hésitent à franchir le pas sont des crétins. On ne dit pas non plus que ceux qui le franchissent ne font que le mal. Il y a un juste dosage qui me semble nécessaire. Les excès dans les extrêmes, quels qu’ils soient, sont dangereux.

Pourquoi des Émirs arabes s’expriment dans un anglais en roulant des R dans votre film ?
Jean-Jacques Annaud :
Au départ, j’ai envisagé de faire le film en arabe. Comme c’est un film à vocation internationale, j’ai choisi l’anglais. Mais un anglais du Golfe. Nous avons d’ailleurs refait tout un doublage en post-production pour soigner ce roulement des R très typique de l’anglais tel qu’il est parlé là-bas. Même si on n’était pas très dépendant du casting, le tourner en arabe aurait été d’une grande difficulté parce que les Libanais ne parlent pas le même arabe que les Marocains. D’ailleurs, lors du tournage en Tunisie, les Qataris et Tunisiens ne se comprenaient pas facilement. Et puis, un jeune homme comme Tahar parle beaucoup mieux l’anglais qu’il ne parle arabe !

Côté coulisses, comment s’est passé le tournage ?
Jean-Jacques Annaud :
Ça a été une expérience très belle. En raison des protagonistes qui ont été formidables, de l’équipe tunisienne et qatarie qui a manifesté une générosité incroyable. Je suis heureux d’avoir fait un film qu’ils ont perçu là-bas comme différent,  comme le  témoignage d’une amitié pour leur région. Quand je suis allé faire mes castings à Damas ou au Caire, les jeunes acteurs à qui je disais que  je recherchais un acteur Arabe pour jouer le rôle du frère d’un Prince étaient étonnés de voir qu’on n’allait pas leur faire essayer une ceinture de détonateurs.

C’est notamment pour cette raison que vous refusez des rôles aux États-Unis Tahar Rahim ?
Tahar Rahim :
Oui. Certains rôles qui me sont proposés outre-Atlantique ont un peu cette dimension caricaturale que je rejette. À Hollywood, c’est une autre vision qui domine, même si ce n’est pas que ça. Dans le rôle des méchants on a eu les Asiatiques, les Russes, les Arabes. Je ne sais pas qui viendra après. C’est quasiment devenu une constante stylistique !
Jean-Jacques Annaud : Les Allemands aussi ! Je me souviens à l’époque lorsque j’ai réalisé Le Nom de la Rose, mon producteur allemand voulait absolument que l’assassin soit allemand. Dans le bouquin, il était espagnol…

Comment s’est déroulé le travail réalisateur/comédiens. Les acteurs avaient-ils un droit de regard sur les répliques du scénario par exemple ?
Tahar Rahim :
Oui, avec Jean-Jacques, c’est une ambiance de travail agréable où l’on échange, on discute. Un partenariat. Ce n’est pas qu’une histoire de scénario écrit. C’est aussi un personnage, un acteur, des mises en bouche. Et ce que devient un film en cela. Il y  forcément des choses qui changent, qui sont supprimées.
Jean-Jacques Annaud : Tahar venait souvent me voir et me faisait des propositions : plutôt que de dire une réplique, genre « Je suis heureux de te voir », il vaut mieux la jouer, la montrer par un jeu d’expression du visage. On a toujours discuté et on s’est souvent trouvés en harmonie. Il ne faut pas qu’un metteur en scène paralyse un acteur. D’ailleurs, j’ai vite vu que Tahar a très bien intégré au fond de lui-même l’évolution du personnage.
Tahar Rahim : Et puis, c’est toujours plus fort de faire ressortir quelque chose plutôt que de le dire. Jean-Jacques m’a laissé une totale liberté pour ça… en même temps, quand j’exagérais, il me le disait aussi !

Les scènes ont été tournées dans le désordre. En quoi est-ce plus difficile ?
Tahar Rahim :
C’est un personnage évolutif. Il faut une gymnastique d’abord physique, et cérébrale aussi. Ça m’a demandé beaucoup d’énergie. Il fallait être très concentré.
Jean-Jacques Annaud : On a tourné des scènes du début du film et de la fin du film quasiment le même jour. Pour un acteur, ça demande un énorme travail sur soi.

À la fin du film, le prince Auda boite. Vous êtes-vous vraiment blessé ?
Tahar Rahim :
Je me suis bien ramassé ! J’avais un cheval jeune, un peu nerveux. À la répétition tout allait bien. Et au moment de l’action, il a du voir d’autres chevaux aller de l’autre côté de la caméra. Et moi, débutant cavalier, j’ai voulu le maintenir à gauche alors qu’il voulait aller à droite. Une charge placée là a explosé et effectivement le cheval a foncé à toute allure à droite, moi à gauche.
Jean-Jacques Annaud : J’ai eu très peur. Ça a été la plus mauvaise journée de tournage ! Quand je l’ai vu à terre, ne pouvant plus bouger, j’ai tout de suite pensé à la colonne vertébrale et je me suis dit « j’ai détruit non seulement un acteur, mais aussi un pote ». En plus, on était au milieu du désert. L’ambulance est arrivée. Plus de peur que de mal.
Tahar Rahim : Du coup, on a gardé la vraie chute à l’image. Et le fait de faire boiter Auda à la fin collait parfaitement à l’histoire.

Hanane Kaddour

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