À la sortie du Panthéon, Danielle et son petit-fils Lenny affichent une mine réjouie. La charmante dame d’origine haïtienne livre ses impressions sur l’exposition qu’elle vient d’arpenter. « J’ai beaucoup appris, j’ai même redécouvert des figures que je connaissais mal. » Pour elle, il était important de transmettre ce savoir aux jeunes générations, toujours utile, un peu moins de 200 ans après l’abolition de l’esclavage.

Liberté, liberté chérie

Au fond de la crypte du Panthéon, un encart invite à pénétrer les alcôves jaune orangé. Florence Alexis, la commissaire de l’exposition, y entame sa présentation devant des oreilles attentives. « Les révoltes et les révolutions d’esclaves ont absolument précédé tous les autres événements abolitionnistes », expose-t-elle. Florence Alexis rappelle par ailleurs que dès le début de l’esclavage, que ce soit en Afrique, en mer, à l’arrivée et après, jamais les esclaves n’ont cessé de lutter pour leur liberté.

Le cadre est posé. Comme une réponse à l’argument que l’on entend trop souvent, qui présente l’abolition comme une concession de la France. L’exposition veut aussi remettre en lumière des événements et des personnes moins connus du grand public, comme Julien Raimond, homme libre, métis et grand ami de Toussaint Louverture. Il fut militant abolitionniste en France métropolitaine. Mais aussi des femmes, comme Solitude, qui, pourtant enceinte, combattit aux côtés de Louis Delgrès en Guadeloupe.

« Nous avons voulu montrer comment cette histoire commune a été le moment de gestation de l’idée de liberté telle que nous la connaissons. Il s’agit d’une nouveauté dans l’histoire de l’humanité, la conception selon laquelle chaque homme a le droit au bonheur », indique Jean-Marie Théodat, conseiller scientifique de l’exposition.

L’exposition se déroule jusqu’au 11 février 2024 ©AmbreCouvin

Un mode de production économique

L’assemblée des visiteurs suit la commissaire passionnée sous les voûtes du Panthéon. La suite de l’exposition présente des documents, des reproductions d’œuvres d’art et des montages vidéos. Certains de ces documents sont présentés au public pour la première fois. Des hauts parleurs diffusent des extraits de conversations en français et en créole haïtien.

L’exposition s’ouvre sur le concept de première mondialisation. « L’esclavage a été pensé comme un mode de production économique », introduit la commissaire de l’exposition. Un mode qui implique une division internationale de la production, d’où la dénomination. Cette nouvelle organisation est motivée par la recherche d’accumulation de profit et la concurrence entre les nations. Le capitalisme moderne est né avec l’esclavage à grande échelle.

Il y a un lien organique entre le développement initial du capitalisme, l’esclavage et colonisation

« Il y a un lien organique entre le développement initial du capitalisme, l’esclavage et colonisation. L’accélération de la production à grande échelle va requérir une main d’œuvre colossale », abonde Jean-Marie Théodat. « Ce qui aurait pu être une rencontre de cultures s’est fait sur la base d’une arrogance délétère de l’Europe. Ses actes lui ont donné une avance économique qu’elle conserve encore aujourd’hui », poursuit-il.

Rétablir l’esclavage, le projet mortifère de Napoléon

Des intérêts économiques qui expliquent en partie des décisions politiques. Par exemple, à l’époque où commencent les révoltes de grande ampleur en Haïti (alors nommée Saint-Domingue) l’île représente à elle seule 50 % de la production totale de l’empire colonial français. C’est l’un des aspects qui motivera Napoléon à rétablir l’esclavage dans les colonies françaises avec la loi du 20 mai 1802. Il avait été aboli par la Convention, une des assemblées de la Révolution française, le 4 février 1794.

« Napoléon avait un rêve américain, il voulait récupérer la Louisiane »,  renseigne la commissaire. Recouvrer son influence à Saint-Domingue lui aurait permis d’utiliser l’armée de Toussaint Louverture, d’avoir une base arrière pour attaquer, et de récupérer l’argent nécessaire au financement de la guerre.

S’il réussit à capturer et enfermer Toussaint Louverture, la révolution haïtienne ne se tarira pas pour autant. L’île obtient son indépendance en 1804. Elle devient ainsi la première république noire indépendante au monde. Les autres territoires ne sont pas aussi chanceux et l’esclavage y sera rétabli pour au moins un demi-siècle.

Haïti : à peine né, déjà mutilé par la dette

Si aujourd’hui Haïti est présenté comme un repoussoir face aux velléités indépendantistes des îles voisines, ses difficultés actuelles sont en partie expliquées par l’immédiat après-indépendance.

Les visiteurs de l’exposition pourront ainsi comprendre le rôle de la France dans l’isolement diplomatique et économique du nouvel État. Haïti se retrouve ainsi obligé d’accepter le paiement d’une « dette d’indépendance » pharaonique. Une dette qui mettra plus d’un siècle à être remboursée et qui fera sombrer le tout nouveau pays dans un calvaire économique interminable.

Un continuum raciste

Mais ce n’est pas le seul héritage durable de la période esclavagiste. Le système de hiérarchisation des races, le racisme moderne, est né à cette époque-là. Celui-ci s’avère nécessaire pour justifier des actions vues par certains comme hautement immorales dès l’Ancien régime. La commissaire en veut pour preuve certains cahiers de doléances précédant la révolution française. Des villages français y demandaient déjà l’abolition, perçu comme « un crime contre les hommes, commis par des chrétiens ».

Les femmes, les hommes et les enfants Noirs ont été animalisés et déshumanisés pour qu’on puisse les dominer par la violence. « Un système raciste qui nous affecte encore aujourd’hui », retrace la commissaire d’exposition.

Le combat continue

Quand on demande à Jean-Marie Théodat ce qu’il aimerait que le public retienne de l’exposition, il répond : « La liberté est toujours un combat, encore un processus en marche. »

Et en effet, l’esclavage n’est pas aboli. On estime à plus de 50 millions le nombre d’esclaves dans le monde aujourd’hui, majoritairement femmes et enfants, selon les chiffres de l’Organisation internationale du travail. Le devoir de lutte est toujours nécessaire, comme le devoir de mémoire. L’anti-esclavagiste, Louis Delgrès, l’exprimait à la perfection : « Et toi, postérité, accorde une larme à nos malheurs et nous mourrons satisfaits ».

Ambre Couvin

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