« On n’avait jamais vu ça, un artiste qui vient nous faire le portrait ! Je suis content, il ne m’a pas loupé, je suis très ressemblant !« . Cet enthousiasme, c’est celui de Jean-Louis Merlier, 65 ans, habitant de la cité la Sablière à Bondy. Pour la première fois de sa vie, il est fait tirer le portrait par un artiste, comme les 129 autres habitants de l’interquartier de Bondy et Villemomble. Tout cela dans un but bien précis : l’exposition « Portraits d’habitants, fragments de vie » organisée par les deux villes en anticipation d’un grand projet de rénovation urbaine prévu d’ici 2030.

Créer une mémoire du quartier avant sa transformation

D’abord exposés au château seigneurial de Villemomble, puis à la mairie de Bondy, les 130 portraits sont autant de visages et d’histoires d’habitants, jeunes ou vieux, seuls ou en famille, qui ont été présentés au public. A l’hôtel de ville, administré par l’édile socialiste Sylvine Thomassin, les visages des murs de l’exposition sont pour la plupart souriants, d’autres sérieux ou rêveurs, agrémentés de quelques témoignages d’habitants qui racontent des tranches de vie et expriment leur affection pour le quartier. « Je suis impressionné par la solidarité entre tous« , « Mon appartement est au 10e étage et depuis celui-ci la vue est magnifique en toute saison », « Ma fille a grandi et a tous ses repères ici », peut-on lire. « Au moins, on aura une mémoire du quartier », affirme Jean-Louis Merlier, le retraité dont le portrait a été choisi pour être sur l’affiche de l’exposition.

Tous habitent la Sablière, les Marnaudes et la Fosse aux Bergers, trois cités de l’interquartier Bondy-Villemomble visées par le projet de rénovation. Les séries de portraits sont ponctuées par des dessins des cités elles-mêmes : immeubles colorés, balcons chargés de linge…. Tous ces dessins ont été réalisés par l’artiste Didier Boulais sur huit mois de travail à partir de juillet 2017. « Nous avons voulu créer une manifestation qui valorise les personnes vivant dans l’interquartier, qui peut paraitre difficile de l’extérieur mais où il y a des gens heureux d’y vivre et une grande solidarité »précise Aymeric Muller, directeur de cabinet à la mairie de Villemomble.

Les portraitistes, les habitants en ont souvent l’image des mecs de Montmartre !

Pour cette exposition, l’artiste de 54 ans, Didier Boulais, a utilisé un matériel spécial : le graphite, la pierre noire, la sanguine et l’aquarelle pour des « traits précis et habiles » en couleur ou en noir et blancPour lui, le projet a été une heureuse aventure. C’est la première fois d’ailleurs qu’il signe autant de portraits pour un seul et même travail. « Au début, j’étais comme un extra-terrestre – les portraitistes, les habitants en ont souvent l’image des mecs de Montmartre ! Ce n’était pas évident. Mais le bouche à oreille a aidé, et à la fin, j’ai dû refuser des gens ! » Ce professeur de dessin au Centre de formation et d’apprentissage de Bobigny, choisi à l’issue d’un appel d’offre, a passé huit mois sur les lieux à rencontrer les habitants. Parmi eux, il a même retrouvé deux de ses anciens élèves. Sur les 130 portraits réalisés, beaucoup ont été faits à partir de photos, faute de temps pour poser. « Je prenais plusieurs photos de la personne, et on choisissait ensemble celle que j’allais dessiner. Il fallait que chacun me fasse confiance« . Les rencontres avaient lieu dans les centres sociaux Sohane à Bondy et Alain Mimoun, à Villemomble, ou parfois chez les habitants. « J’ai adoré rencontrer ces gens qui viennent de plein de pays, et j’ai adoré faire leur portrait. C’est formidable de leur montrer dès le début de la rénovation qu’ils sont là, et qu’ils sont tous de belles personnes. Ce projet, c’est l’aboutissement de ces 17 ans d’enseignement avec des gens qui ont très peu de rapport à l’art. Le projet est d’autant plus génial qu’on offre à chaque personne son portrait. Je suis allé dans des appartements où il n’y avait pas d’œuvre originale. Il faut absolument créer un rapport avec l’œuvre originale. »

Un souvenir collectif à travers l’art

Le projet a été conçu par les communes de Bondy, Villemomble, l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine avec les bailleurs ICF Habitat La Sablière et OPH de Villemomble. La démarche s’inscrit dans la lignée de l’action de l’ANRU, qui affiche désormais une volonté de mettre l’humain au coeur des projets de rénovation, après avoir été critiquée pour s’être concentré sur le bâti et le technocratique.  « C’est une forme d’hommage, parce que l’être humain, c’est ce qu’il y a de plus beau. L’idée était de donner lieu à un souvenir collectif, et d’appeler à un autre regard, unifiant et amical, à travers un acte artistique. Ca change des façons de travailler de l’urbanisme : là, on est dans le sensible, et il est très sensible aussi de voir un quartier transformé, de se dire qu’on va partir », indique Marion Unal, directrice Projet de Rénovation Urbaine et Politique de la ville à la mairie de Bondy et très impliquée dans la conception et la mise en oeuvre du projet. Pourquoi avoir choisi le portrait ? « Un portrait, ça peut être une manière plus forte d’exister que la photo, qui se fait souvent à tout va« . Un livre accompagne l’exposition et rassemble portraits et témoignages des habitants. « Nous avons tenu à faire un livre, un objet durable, et pas quelque chose d’éphémère« , précise Marion Unal.

Ca a amené quelque chose de nouveau : par exemple, certaines familles n’aiment pas avoir de photos chez elles, mais ont accepté le portrait.

Du côté des habitants, l’accueil est plus que positif. Au centre social Sohane de Bondy, des copies des portraits trônent fièrement sur un mur. « Les gens ont adoré. Ca a créé une émulation au niveau du quartier, surtout qu’on n’a pas l’habitude de rencontrer des artistes. Et je suis très fière que les jeunes du quartier aient participé : c’est une tranche d’âge qui cristallise beaucoup de problématiques du lien social », témoignage la directrice du centre, Aurelia Toupiolle. Cette participation des jeunes, Abdoulaye Sylla, 28 ans et référent jeunesse du centre, y a veillé. « J’ai apprécié que Didier vienne se présenter aux jeunes au début. Ce n’est pas toujours facile, mais ils sont curieux, dès qu’on a accroché les premier portraits ils sont venus direct ! » Lui-même s’est fait tirer le portrait et en est content. « J’ai trouvé ça super, je l’ai montré à tout le monde ! » Pour lui, l’initiative est positive. « Comme le quartier va être rénové, détruit, ça permet d’en garder une image. Ca a amené quelque chose de nouveau aussi : par exemple, certaines familles n’aiment pas avoir de photos chez elles, mais ont accepté le portrait. Ca a aussi créé un peu plus de lien et donné de la joie aux habitants. Ce n’est pas vraiment un quartier difficile : le problème ici, c’est surtout le manque de communication. »

Abdoulaye Sylla, 28 ans et référent jeunesse du centre Sohane de Bondy, s’est lui aussi fait tirer le portrait en dessin par l’artiste Didier Boulais

Je me plais ici, on est très mélangés, c’est très agréable. Je n’ai pas envie de déménager, mais on n’aura pas notre mot à dire. Je suis contente de ces portraits, mais s’il faut partir, ça ne m’évitera pas de pleurer

Si les habitants apprécient l’expérience et le fait d’avoir une « mémoire » de leur quartier, la rénovation, elle, pose pas mal de questions. « Il faut voir ce qu’il vont faire. Et il ne suffit pas de rénover, il faut aussi prévoir des choses, notamment pour les jeunes », estime Jean-Louis Merlier. Pascal Delorme, 60 ans et habitant de la cité de la Sablière depuis 55 ans, s’interroge lui aussi. « Les portraits, ça apporte des souvenirs, c’est un plus, mais ça n’atténuera pas le fait de partir. Quand on doit se faire une autre vie ailleurs, on perd ses repères. Ca doit être plus facile pour les jeunes« , remarque-t-il. L’information aussi manque, estime-t-il. « On n’est pas assez au courant. Est-ce que la cité va être abattue ? Rénovée ? C’est flou, on est dans l’inconnu ».  A côté de lui, Yolande Bernard, 84 ans, habitante de la cité depuis 30 ans, acquiesce. « Je me plais ici, on est très mélangés, c’est très agréable. Je n’ai pas envie de déménager, mais on n’aura pas notre mot à dire. Je suis contente de ces portraits, mais s’il faut partir, ça ne m’évitera pas de pleurer ».

Le plan de rénovation doit être présenté aux habitants à la rentrée. Quant à l’exposition, le 12 juillet au soir, ce sera le décrochage : les participants pourront récupérer leur portrait ainsi qu’un livre dédicacé. « Un portrait, c’est un vrai morceau de vie », remarque Aurelia Toupiolle. Beaucoup ont bien l’intention d’emporter le leur.

Sarah SMAÏL

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