ILS FILMENT LA BANLIEUE. A l’occasion de la 8ème édition du Panorama des Cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient, Brahim Fritah, 40 ans, présentera son premier long-métrage Chroniques d’une cour de récré, souvenirs d’une enfance en milieu ouvrier. Portrait.

Brahim Fritah, c’est le mec doué et un peu déjanté, les cheveux en pétard et le bavardage aisé. Celui qui se fait interviewer dans un café du 20e parce qu’ « on n’est pas du milieu » mais à qui le patron du bar doit de la monnaie. Son premier long-métrage, Chroniques d’une cour de récré, est un récit enchanté d’une époque révolue qui débute « quelque part dans une banlieue de Paris » dans les années 1980. Portrait d’une enfance « heureuse », cette fiction semi-autobiographique aborde autant les plaisirs enfantins que les luttes ouvrières auxquelles sont confrontés les adultes.

Car les parents de Brahim, marocains, arrivent en France en 1968. Lui est cadet d’une famille recomposée de trois enfants. Né à Paris en 1973, Brahim grandit dans une usine de Pierrefitte-sur-Seine (93) où son père est gardien et sa mère femme de ménage : « C’était un grand terrain de jeu où tous les ouvriers connaissaient les enfants de Fritah ». De cette enfance, Brahim tire toute sa filmographie – de Chronique d’un balayeur (1999) au documentaire Le tableau (2008) : des histoires ouvrières ou de migrations.

« J’ai toujours dessiné » raconte celui qui s’est d’abord nourri « de la télé, de l’école », de façon didactique. Les BD aussi, puisqu’à l’époque c’étaient les magazines Strange que l’on achetait et s’échangeait. Tout comme les vignettes Panini dont Brahim tire une culture «de découpage des images ». Parce que le cinéma coûtait cher (« si on y allait tous ensemble »), Brahim voit davantage de films à Rabat à un dirham la séance : Indiana Jones, Les dix commandements… Alors, le jour où sa tante l’amène au cinéma à Paris – pour voir Tintin et le Temple du Soleil au Grand Rex – c’est « l’expérience ultime ».

« Bon élève » jusqu’en 4e (« j’avais conscience du parcours scolaire où, si t’es pas dans le bon wagon, on ne va plus s’occuper de toi »), Brahim déménage à Chevilly-Larue (94) avant de passer un Bac ES à Fresnes (94) et s’installer à Vitry-sur-Seine (94). Il intègre ensuite un BTS Action commerciale pour avoir («un p’tit diplôme »), en attendant de suivre des études d’art « et éventuellement de cinéma ». Profitant d’un téléphone gratuit pour les cours de prospection, Brahim appelle toutes les classes préparatoires d’art et reçoit des prospectus.

Grâce à des tests pharmaceutiques (« j’ai fait le cobaye»), Brahim se finance la prépa la moins chère de Paris où il lui est possible de faire « vraiment ce qu’on voulait » : nu, culture générale, histoire de l’art… et films expérimentaux. « Mes potes qui avaient fait des études classiques flippaient plus que mes parents : ça devenait très étrange, abstrait », se souvient Brahim en riant.

Brahim décide de s’inscrire avec ses amis à l’Ecole supérieure des Arts Décoratifs et à l’Ecole des Beaux-Arts. Les Beaux-Arts ne le retiennent pas mais les Arts Déco l’acceptent sur concours en section photo/vidéo de 1995 à 2000. De là démarrent ses premiers films « seul, avec zéro moyen ». À sa sortie, Brahim découvre « la réalité du monde de la production professionnelle » : de 2003 à 2004, il écrit des projets pour une société de production qui ne se concrétisent pas. Puis, c’est un script de long-métrage, Slimane le Magnifique, qui le mène à la Cinéfondation du Festival de Cannes 2003. Et le tournage de plusieurs courts-métrages La femme seule (2004), Le train (2005) et Une si belle inquiétude (2011) qui circulent ensuite en festivals.

Mais c’est avec son premier long-métrage Chroniques d’une cour de récré écrit en 2002 et tourné en 2011 à Ivry-sur-Seine (94) que Brahim Fritah se fait une renommée internationale. D’Apt au Caire en passant par Palm Springs, Doha ou Varsovie, le film circule et a remporté deux prix : meilleure musique à Cinemed de Montpellier et premier prix l’International Digital Film Festival de New Delhi. Il sortira sur les écrans français le 5 juin 2013.

Aujourd’hui installé à Paris (« j’avais envie de revenir à l’intérieur »), Brahim préfère parler de lutte des classes quand on lui parle de banlieue : « C’est toujours la même classe sociale qui est stigmatisée, là où il y a des fantasmes, des mises à l’écart ».

Pour la filmer, cet adepte de Charlie Chaplin, Orson Welles ou Andrei Tarkovsky aime aborder ce qu’il connaît en partant « d’idées très précises : des images, des sons, des odeurs, des lumières » avec un attrait particulier pour le végétal. Parce qu’il considère que « la vision de la banlieue qu’on a en France est une vision parisienne ». Brahim ne perd pas de vue le fait qu’il faille filmer de façon « la plus simple possible et honnête », en toute humilité.

 

Claire Diao

 

Dans le cadre du Panorama des Cinémas du Maghreb et du Moyen-Orient, Chroniques d’une cour de récré de Brahim Fritah sera projeté en présence de l’équipe du film : le dimanche 7 avril à 16h30 à L’Espace 1789 de Saint-Ouen (93), le vendredi 12 avril à 20h au cinéma Louis Daquin du Blanc-Mesnil (93), le vendredi 19 avril à 20h30 au Trianon de Noisy-le-Sec (93), le dimanche 21 avril à 16h30 à l’Ecran de Saint-Denis (93).

Plus d’infos : http://www.pcmmo.org/index.php/fr/

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