Sous le soleil ardent, il opte pour un short blanc. Une démarche décontractée. Pourtant, le mec, là, celui qui nous serre la main, n’a qu’une quinzaine d’années et a déjà remporté une palme d’or. Celle du dernier festival de cannes. Une palme collective certes, et avant tout française. La première depuis 21 ans. Rassurez-vous, sa tête est toujours sur ses épaules. Lui, c’est Burak Ozyilmaz.

Le rendez-vous est pris devant le collège Françoise Dolto dans le 20e arrondissement de Paris. Les résultats du brevet ne sont pas encore affichés, ils ne vont pas tarder. Et la façade de l’établissement, pourtant pas très âgée, reçoit un coup de frais pour la prochaine rentrée. Mais Burak ne sera plus là. Il passe au lycée. Par contre, ses années collège, il n’est pas prêt de les oublier. Surtout la dernière, la troisième. Une année transformée en véritable conte de fée.

On prend place au McDo du coin de la rue. Il prend un coca, salue des amies et s’installe. Puis, il entame son récit digne d’un roman : « Tout commence en octobre 2006. » Ce mois-là, un écrivain et un réalisateur interrompent un cours. Les deux intrus veulent monter un « atelier cinéma, tous les mercredis après midi », dans l’enceinte du collège pour pouvoir « faire un film ». Un projet plutôt incongru. Mais François Begaudeau, l‘écrivain, et Laurent Cantet, le réalisateur, y croient. Au départ, Burak doute. S’implique mais sans plus. « C’est ma mère qui m’a motivé », affirme-t-il. Il se lance dans l’aventure contrairement à d’autres qui « abandonnent au fil des semaines ». Il prend une gorgée de Coca.

Ce n’est qu’en juillet 2007 que le tournage du film « Entre les murs », inspiré de livre de Begaudeau, doit démarrer. Pour la première fois, Burak n’ira pas passer l’été dans son « bled », en Turquie. Qu’importe ! Les caméras, les lumières, les preneurs de son et maquilleurs, les techniciens et régisseurs seront son quotidien, un mois durant. « Même si c’était dans un lycée et que nous étions en vacances, c’était un divertissement et il y avait vraiment une super ambiance », se rappelle le jeune comédien, « à l’aise devant l’objectif ».

Il joue son propre rôle, celui d’un élève. « Sauf qu’en réalité, je suis assez bavard alors que dans le film, je suis plutôt en retrait, mais ce n’était pas un changement radical de personnalité », précise-t-il. Toutes les scènes sont « improvisées » et, parfois, « rejouées cinq, six fois », explique Burak, qui n’a lu « ni le script, ni le livre de Begaudeau ». Les claps et les scènes s’enchaînent. Le mois se finit et le tournage aussi.

Burak et sa famille, impatients, devront attendre avril pour découvrir, « en projection privée », le résultat d’un mois de boulot intensif. La trentaine d’apprentis, dont Burak, débarquent avec familles et amis proches. Les voisins, ce sera pour plus tard ! Tout le monde sera époustouflé, carrément « surpris » de la prestation des jeunes comédiens. Même si certaines scènes sont coupées, il se dit « plus que satisfait ». Les mamans sont fières de leurs fistons. Les papas cachent leurs émotions.

La fin du conte beaucoup la connaissent, si ce n’est la France entière. La terre entière, même. La classe du 20e arrondissement monte les marches de Cannes, fait la fête sur la plage du Majestic, rencontre les plus grands du monde du cinéma et se font remettre la palme d’or par Robert de Niro et Sean Penn, président du jury, lequel a voté à « l’unanimité » pour ce film. « Quand on a annoncé le vainqueur, j’ai pas compris avec l’accent de Sean Penn. Puis j’ai vu Laurent et François debout, et j’ai compris », raconte Burak, les yeux qui pétillent encore.

Le jeune acteur dans « son costume acheté pour l’occasion », et sa bande potes se retrouvent à la une des quotidiens, des hebdos, enfin, des mensuels. Les flashs ne cessent de crépiter. A Paris, les parents n’en reviennent pas. Le président Sarkozy pointe son nez et les félicite. Mais pas le temps de faire la fête dans les night-clubs cannois, alors elle aura lieu dans le car, sur la route du retour.

C’est là où le conte dérape un peu. Où il prend de mauvaises tournures. A Paris, lorsque la troupe rentre au collège. « Des dizaines de journalistes, à la descente du car, nous tiraient de partout. Ils voulaient une photo, une interview. C’était de la folie ! » lance Burak, dans la suite logique de son récit parfaitement cadré. Et d’ajouter : « Cannes et le festival, c’est une chose. Mais à Paris, ce n’est pas du tout pareil. » Une véritable émeute dès la sortie du car.

Dès lors, la production et l’académie prennent des précautions. On conseille aux élèves d’éviter d’évoquer les parents et interdit à la presse de les rencontrer avant la sortie officielle du film, le 24 septembre. On calme le jeu qui aurait pu mal tourner. Mais sur le revers de médaille, il n’y a pas que l’engouement médiatique qui tourne à l’acharnement. Il y a aussi les remarques peu glorieuses des camarades et de certains profs, sans doute jaloux. « Dès que, par exemple, je fais tomber un crayon ou demande un truc à mon camarade, le prof dit : ça y est, il a prit la grosse tête celui-là », rapporte Burak.

Trente-neuf minutes plus tard, Burak, face à son Coca, reprend sa respiration. Il peut alors refermer le premier volet de son récit et s’envoler « dès vendredi » (de la semaine dernière) pour la Turquie où il sera, c’est sûr, reçu comme un héros. Le garçon, dans son pays natal, pourra se reposer avant de replonger dans l’euphorie en septembre, lorsque qu’« Entre les murs » sortira en salles. Ensuite, à part « faire un bac scientifique », c’est encore un mystère.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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