Rue des Cités, premier long-métrage de Carine May et Hakim Zouhani, 34 ans, sort aujourd’hui au cinéma. Alliant fiction, documentaire et Noir&Blanc, cet ovni cinématographique offre une vision singulière de la ville d’Aubervilliers. Portrait.

Elle, c’est la boule d’énergie enjouée (« la persévérance, l’efficacité, la discipline »). Lui, le calme et la zénitude incarnée (« la force, le roc solide, la fiabilité »). Autant dire que Carine May et Hakim Zouhani se sont bien trouvés. Depuis 2008, ils co-réalisent leurs films en toute complémentarité : d’abord Rue des Cités, long-métrage « devenu une légende » tellement les gens l’attendaient, puis le court-métrage La virée à Paname (2013) et bientôt un autre court-métrage, Flottement.

Sélectionné en 2011 par l’ACID au Festival de Cannes, Rue des Cités a mis deux ans à sortir sur les écrans français. « On est des tortues, qu’est ce que tu veux, sourit Carine May. Quand tu fais tout tout seul, ça met plus de temps ». « L’adage « lentement mais sûrement » nous va très bien », rit Hakim Zouhani, conscient que pour un film « dit ‘sauvage’ étiqueté par les institutions, c’est plus compliqué de sortir quand il n’y a pas eu de paperasse faite avant ».

Aubervilliers (93) qui revient dans tous leurs films, est une ville « que des fois on aime, des fois on déteste », témoigne Hakim. « Auber, c’est tout ce qui nous a construit, tout ce qu’on est et tout ce qui nourrit nos histoires », confirme sa moitié. Pour eux, le fait que ce lieu soit devenu un terreau du cinéma avec ses acteurs, réalisateurs et bientôt son propre lieu de fabrication de films (L’Usine de Films de Michel Gondry) n’est pas une surprise : « Il y a une énergie impressionnante dans cette ville», témoigne Hakim.

Lui y est né en 1978, à quelques semaines de Carine, qui est née à Paris (« Ma mère a vu la maternité de la Roseraie et elle a dit ‘Jamais de la vie’ ! »). Tous deux y ont grandi, lui en tant qu’avant-dernier d’une fratrie de cinq enfants, elle en tant que fille unique. Les parents Zouhani, arrivés d’Algérie, étaient ouvrier chez Renault et mère au foyer tandis que les parents May, arrivés d’Auvergne, étaient tous deux postiers. Leur passion du cinéma ne provient pas de leurs parents  mais plutôt de « la famille d’Auber » et le fait qu’à une époque, la mairie a énormément investi dans « l’éducation populaire, les concerts, les spectacles, les projections en plein air ».

L’enfance passée dans cette ville ouvrière de la Ceinture Rouge parisienne (villes communistes des années 1930-50 qui entouraient Paris) évoque à Carine de la « douceur » (« que des bons souvenirs, d’école, de carnaval, d’otarie au square Stalingrad… ») et à Hakim, de la fédération : « quand tu partages les bons et les mauvais moments, ça solidifie les liens ».

Élèves « cool » pour Hakim (« j’étais pas brillant mais pas relou non plus »), « studieuse jusqu’à la mi-collège » pour Carine, l’apprentissage de la vie prend vite le pas sur les études : « quand la jeunesse t’appelle, t’as plus envie d’en profiter que de t’asseoir toute la journée dans une classe », explique Hakim. Lui et Carine se rencontrent à la piscine à l’âge de 16 ans alors qu’elle suit des entraînements de natation et qu’Hakim « barbote avec ses potes dans le petit bain » : s’ensuit une amitié « en potes, on se serrait la main… », puis une histoire d’amour, toujours d’actualité.

Après son Bac L, Carine intègre l’IUT de journalisme de Tours pour le côté documentaire (« prendre le temps… »), travaille au service Culture de France Inter, puis à force d’interviewer des artistes, se dit : « Mais attends, c’est fabuleux ce que ces mecs sont en train de vivre… C’est leur métier !» À la même époque, Hakim passe deux fois son Bac S et choisit la seule option qui lui permettrait de « découvrir Paris, passer le périph’ et voir ce qui se passe au centre » : pharmacie. DJ amateur en parallèle, Hakim arrête la fac au bout d’un mois (« au grand regret de mes parents »), s’inscrit à la section son de l’École supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et se fait la main sur des tournages en bossant… « à l’image ». Ensemble, ils fréquentent assidûment les salles de cinéma, inspirés par les films de Michel Audiard, Marcel Carné, Dominique Cabrera, Spike Lee et les scénarios de Jacques Prévert.

Par la suite, Carine devient enseignante pour avoir « du temps à côté » et Hakim, après avoir animé nombre d’ateliers cinéma à l’Office municipal de la jeunesse d’Aubervilliers, se lance dans la création d’une société de production. Nouvelle Toile connaît un grand succès avec Rue des Cités et le court-métrage Fais Croquer de Yassine Qnia. La transmission fait donc partie de l’équilibre de ce duo : « par rapport aux histoires qu’on raconte et qu’on a envie d’écrire, comme on essaie d’être le plus juste possible dans nos scénarios, il y a cette envie de garder contact avec les autres générations ».

Considérant que « travailler en équipe, c’est notre force », Carine et Hakim sont conscients que les médias les mettent dans la même catégorie que les films d’Hamé ou de Djinn Carrénard « parce qu’il y a des noirs et des arabes dans nos films ». Le cinéma français, ils s’y retrouvent, « ou pas », mais regrettent que trop peu de films soient représentatifs des quartiers populaires et que tout le monde ait des idées reçues sur ce sujet « alors que la vie des cités ne se résume pas à un jeune de 25 ans qui brûle des voitures, heureusement ».

Alors, pour filmer la banlieue, Carine et Hakim choisissent de porter sur elle un regard « juste, ni angélique, ni dramatique », à l’image, pour Carine, du slam d’Hocine Ben qui ouvre Rue des Cités « j’te regarde en face » et pour Hakim, « avec beaucoup d’amour » : « parce qu’on est proche de tous les gens qu’on filme ».

 

Claire Diao

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