En 2022, il est encore rare de voir certains films représenter à l’écran des personnes atteintes de handicap. On peut penser récemment au film « Hors normes » (sorti en 2019) d’Éric Toledano et Olivier Nakache (déjà à l’origine d’«Intouchables», qui traite de la question)  qui ont réalisé ce film en s’inspirant du travail de deux éducateurs, qui s’occupent de personnes autistes au sein de l’association « Le silence des Justes » porté dans la vraie vie par David Benhamou et Daoud Tatou. Mais triste est de constater que les exemples sont rares.

La question des acteurs et actrices non atteints de handicap

A l’écran il est peu commun de voir des personnes autistes jouer leur propre rôle. Souvent incarnés par des acteurs professionnels, les interprétations donnent souvent lieu à des représentations stéréotypées qui véhiculent clichés et souvent manques de justesse.

La polémique soulevée par « Music » le premier film réalisé l’an dernier par la chanteuse australienne Sia en est un parfait exemple. Elle s’était attelée au sujet de l’autisme non verbal avec pour personnage principal sa célèbre danseuse, Maddie Ziegler, «neurotypique », mais pas autiste.  Bien que ses intentions puissent être bonnes, cette interprétation irréaliste de l’autisme renforce les idées reçues sur les personnes neurodivergentes.

Pour discuter de la question de la représentation du handicap à l’écran, Nir Bergman a répondu aux questions du BB et s’est exprimé sur les enjeux de son dernier film «My kid» qui traite justement de la question de l’autisme. Nommé au festival de Cannes, ce « road movie » a reçu le prix de public Cinémed 2020 et a obtenu 4 Ophirs (longtemps appelés Oscars israéliens). Des récompenses qui mettent en lumière l’authenticité de son œuvre. Pour la réalisation de son dernier film  sorti le 22 décembre 2021, il s’est inspiré du documentaire « Seret Bar Mitzvah » de la scénariste Dana Idisis.


La bande-annonce du film « My kid ». 

«My kid» retrace la relation entre un fils, un jeune homme autiste, et son père avec qui il entretient une relation fusionnelle. Comme pour tout enfant qui grandit, il y a ce moment crucial où le jeune adulte doit se séparer de ses parents pour devenir indépendant. Nir Bergman a voulu mettre en scène ce moment de vie particulier à travers ses personnages. Aaron (Shai Avivi) voue son existence à élever et protéger son fils autiste Uri (Noam Imber). Maintenant jeune homme, Uri doit voler de ses propres ailes et quitter son cocon pour un institut spécialisé. Ensemble, ils vont tout tenter pour affronter l’inéluctable.

Inès Boudabbous :  La scénariste Dana Idisis a écrit ce film en s’inspirant de la relation entre son frère autiste et son père à travers le documentaire qu’elle a réalisé sur sa famille en 2013. Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser ce film ? Quel a été le moteur de ce projet ?

Nir Bergman :  Dana m’a parlé de son histoire avec son frère autiste et son père. Son inspiration pour écrire ce film c’était la peur qu’elle avait en elle. À savoir comment la séparation entre son frère et son père allait se passer. Là était le moteur de son écriture. Son frère est très dépendant, leur relation est très forte.

A chaque fois que je lisais le script je pleurais et je me suis demandé «pourquoi j’étais aussi ému ?». Je pense que c’était le personnage du père auquel je m’identifiais. En tant que parent on s’inquiète, on se demande comment les défendre de la cruauté du monde extérieur. En tant que père, on veut les protéger.

IB : En tant que réalisateur quelle part de votre vie personnelle avez-vous voulu mettre dans ce film ? Le sujet abordé vous est familier ?

NB : Pour moi c’est un film autour de la paternité. C’était une double chance : à la fois c’est un point de vue original et ça me permet de mettre plus facilement une partie de moi dans le film car je me reconnais dans la figure du père. Si au départ on a l’impression que la mère a le mauvais rôle et que le père est un saint, quand on avance dans l’histoire on se rend compte qu’ils sont plus complexes. Le père, c’est un personnage problématique. C’est le sacrifice de la vie d’Aaron pour l’éducation de son fils qui lui permet de donner un sens à sa vie. Mais c’est aussi ce qui lui permet de justifier ses erreurs et ce qui l’empêche de laisser son garçon face aux dangers de la vie.

Dans le film, il y a un passage avec un plan long très poignant sur le quai d’une gare où Uri fait une crise d’angoisse et son père essaye de le calmer. La caméra met en lumière la violence du poids du regard des gens qui pèsent sur les épaules d’un parent d’enfant autiste. Comment avez-vous fait pour mettre en scène ce moment à la fois très dur et crucial ?

NB :  La scène de crise sur le quai de la gare » est un moment puissant. Cette scène devait être coupée car elle était très dure mais on a senti qu’il ne fallait pas la retirer parce qu’il faut montrer la réalité des choses et ne pas embellir la scène. On ne peut pas économiser le public des moments violents. J’espère que les personnes qui iront voir le film changeront leur regard sur ces moments de la vie. Je voulais montrer qu’il y a des moments difficiles comme il y en a de meilleurs !

On a besoin de trouver ses propres personnages et cela demande beaucoup de temps.

Avez-vous écrit cette histoire avec des personnes concernées par ce handicap qui ont pu vous aiguiller sur l’état d’esprit d’un parent dont l’enfant est atteint d’autisme ou sur le comportement d’une personne autiste ?

NB :  Dana n’a pas eu besoin de faire de grandes recherches, elle s’est appuyée sur son vécu, sur ce qu’elle voyait entre son frère et son père. Je connaissais également sa famille mais ce n’est pas suffisant pour réaliser un film. On a rencontré des spécialistes. On est resté en contact avec quelques personnes dont une mère et son garçon. On a rencontré beaucoup de personnes d’âge divers atteintes d’autisme puis on a rencontré leurs parents pour observer la connexion singulière qui naît entre le parent et son enfant. Cela a nécessité plusieurs mois pour construire ces personnages. »

On voulait représenter l’autisme de manière la plus forte mais de la manière la plus fiable et respectable

Vous avez fait le choix d’engager un acteur professionnel qui n’était pas atteint d’autisme, était-ce une prise de risque pour vous ou au contraire cela vous a permis d’avoir plus de liberté pour l’interprétation d’Uri ?

NB : Honnêtement, nous avons eu peu de moyens pour faire ce film. J’ai eu très peur de prendre ce risque. Car c’est un grand défi de réaliser un film sous le spectre de l’autisme. D’ailleurs, il y a des moments où je n’arrivais pas à y croire. Ma meilleure option aurait été d’engager une personne atteinte d’autisme et de la diriger mais c’est très difficile car en Israël il n’y avait pas d’écoles de théâtre dans lesquelles des personnes avec ce handicap peuvent se former.

Quand on a engagé Noam Imber c’était sa première audition et il a été remarquable. C’était surprenant de le voir jouer ainsi pour la première fois. Il nous a confié qu’il avait grandi dans une structure spécialisée pour autiste car son père était le directeur de l’établissement. Il côtoyait quotidiennement ses camarades dont il a beaucoup appris. Il était à même de comprendre les ressentis du personnage. L’autisme est juste une caractéristique, ce qui importe c’est la personnalité de Uri, ce qu’il dégage, et la relation si singulière qui le lie à son père.

Comment le casting s’est déroulé pour réussir à former un bon duo à l’écran ?

NB : «Shai Avivi (Aaron) était déjà un comédien aguerri. Noam Imber (Uri) était peu connu et n’avait quant à lui jamais passé de casting. Ils étaient inséparables dès la première audition, c’était clair comme du cristal.  Il y avait une vraie connexion et cela s’est ressenti à l’écran.

De quelle manière vous avez procédé pour éviter de tomber dans les stéréotypes accolés aux personnes handicapées ? 

NB : Pour éviter de tomber dans le cliché, l’important était pour nous de montrer comment est la vie de ses personnages dans leur quotidien, dans leurs routines. Je voulais illustrer cela en simplicité et ne pas le dépeindre en génie ou de façon démesurée. On a pris des libertés mais avec des limites claires. On a essayé d’exprimer les désirs d’Uri et la richesse de des humeurs des personnages. Il y a beaucoup d’humour, d’amour, de l’appréhension, de la colère. Il y a ce moment où les nerfs d’Aaron explosent. Les parents d’enfants autistes prennent beaucoup sur eux, leur patience a des limites et Aaron illustre cela.

Pensez-vous qu’un film qui traite d’un handicap en général est plus réaliste, plus légitime et plus juste s’il engage un acteur lui-même touché par la maladie ? 

NB : Je pense en effet qu’engager un acteur lui-même handicapé permet de gagner en crédibilité, en légitimité. Nous n’avions pas le budget pour faire durer le casting. Nous n’avions que trois semaines. On a fait de notre mieux sur le moment. Mais si je l’avais pu, j’aurais pris un acteur autiste puisqu’au-delà du réalisme, il y a une vraie connaissance des sentiments que le personnage peut éprouver…

Entretien réalisé par Inès Bouddabous 

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