Comment est venue l’idée de ce livre sur la cité Gagarine ?

Au départ, je n’étais pas parti sur l’idée de faire un livre, je viens plutôt du cinéma, naturellement je m’orientais sur la réalisation d’un documentaire. Je vivais à 5 mètres de la cité Youri Gagarine, où logeait la plus grande partie de mes copains d’enfance.

Lorsqu’on a commencé à parler de destruction, beaucoup de projets culturels ont commencé à émerger dans cet immeuble (des expos photos, court-métrages)… Aussi, les habitants interrogés sur la destruction de ces logements étaient principalement des locataires qui avaient emménagé en 2010.

Pour moi, ils n’étaient pas représentatifs des grandes familles qui avaient vécu 40 ans là-bas, les «Gagarinois historique», ceux que j’avais côtoyés toute ma vie. J’ai donc décidé de laisser une trace et j’ai cheminé jusqu’à l’écriture de ce livre.

 

J’ai voulu parler de ces vrais parcours de vie et j’ai majoritairement trouvé des modèles inspirants.

 


La destruction de la cité Gagarine à Ivry-sur-Seine à été amorcée en août 2019.  

De quelle façon avez-vous voulu rendre hommage à ces habitants?

J’ai voulu mettre en lumière des parcours trop souvent oubliés, cette majorité étouffée, rendue invisible, parce qu’ils n’intéressent pas ! Dans notre société, je trouve qu’inconsciemment et j’englobe les gens issus de ces mêmes quartiers, lorsqu’on veut mettre en avant la vie dans les banlieues, on est attiré par la violence, le sensationnel et tout ce qui touche à l’extrémisme religieux. On le constate au travers des films sur les quartiers, ils sont extrêmement violents !

Personnellement, je n’ai jamais fantasmé sur un flingue ou des dealers… Je n’ai jamais vu un film ou un livre qui racontent l’histoire d’un banlieusard devenu un grand avocat, ou une femme chercheuse … Au travers de mon histoire, j’ai voulu parler de ces vrais parcours de vie et j’ai majoritairement trouvé des modèles inspirants. J’ai essayé de  dresser le portrait de ceux dont on ne parle que trop rarement…

Prochainement, vous sortez un documentaire en salle de cinéma sur le même thème, qu’est-ce qui diffère de votre livre ?

Dans ce récit, je raconte des anecdotes très personnelles et intimes, j’évoque le parcours de mes parents à leur arrivée en France et de mes amis « Gagarinois », j’y ai mis beaucoup plus de mon ressenti, mon analyse de moi-même.


Quelques extraits du documentaire à venir sur la cité Gagarine par Adnane Tragha. 

Tandis que dans le documentaire, j’interviens uniquement en voix off, pour relier la pertinence des propos tenus par les intervenants. J’ai préféré donner la parole à des habitants que je jugeais historique dans ce quartier. Je voulais mettre en avant  des résidents qui n’avaient pas un cursus caricatural, être plus objectif et surtout plus réaliste.

Dans le livre, vous consacrez tout un chapitre à une expression typiquement Gagarinoise  : « l’assignation à résidence ». Une expression qui revient assez souvent dans votre livre. Qu’est-ce que cela signifie ?

Cette expression,  vient de la bouche de deux de mes amis «Gagarinois ». Ils m’ont raconté qu’à l’époque, lorsqu’ils avaient la vingtaine, comme tous les autres Ivryiens, ils ont fait une demande de logement et on leur a systématiquement proposé un appartement à Gagarine.

Mes copains avaient envie d’aller voir ailleurs, ils aspiraient à autre chose, mais on leur répondait,  « maintenant que vous êtes diplômés, pour plus de diversité sociales, ce serait bien de rester à Gagarine ». On leur faisait porter le poids de la mixité sociale.

Aussi, cette « assignation » n’était pas uniquement géographique. En effet, lorsque les jeunes de Gagarine ont lancé leur mouvement citoyen, ils ont tout suite été freinés par le pouvoir local en place. On leur a conseillé de ne pas faire de politique, on leur a proposé de rejoindre le parti majoritaire. Pour calmer les esprits, on leur a dit « ne vous inquiétez pas, on vous donne une salle, vos subventions et on refait la table de ping-pong… ». C’était une période où ces même jeunes ne se reconnaissaient pas dans ces formations politiques. Quelques-uns ont franchi le cap et on pris leur carte, mais ils ont mis une éternité avant de pouvoir gravir les échelons.

Depuis, les choses ont évolué… C’est toujours d’actualité, lorsqu’on  parle de « l’assignation à résidence », cela sous-entend que c’est l’autre (les politiques, l’opinion publique, les milieux sociaux culturels, le carcan du quartier…) qui décide de la place où tu devrais être, c’est valable géographiquement et socialement.

 

Adnane Tragha, a tenté de raconter les histoires de vies de la cité Gagarine, loin du sensationnalisme médiatique.

 

Dans un passage de votre livre vous dites « sous l’inscription Good bye Gagarine, les élus PCF n’avaient même pas pris conscience qu’ils célébraient leur propre fin ». Pensez-vous que le Parti communiste est amené à disparaître après des années de présence dans les quartiers populaires ?

Lors des dernières présidentielles, les deux partis historiques PS et PCF au niveau national ont vu leur représentativité s’effondrer, avec des scores quasiment nuls. Malgré tout, je pense qu’au niveau local, ils font plutôt du bon boulot. Je ne dirais pas qu’ils sont amenés à disparaître, mais ils vont devoir s’adapter et s’ouvrir, c’est déjà le cas à Ivry-sur-Seine, ils ont commencé ce processus de changement. On a pu le constater aux dernières élections municipales, ils ont porté une liste qui représentait plusieurs courants politiques et les citoyens sont plutôt bien représentés…

Vous êtes cinéaste, réalisateur, scénariste et aujourd’hui écrivain, comment vous-êtes-vous autorisé à rêver d’une carrière artistique quand on est « assigné à résidence » comme vous le dites ?

Pour moi, dans un premier temps,  c’est une question de modèle. À l’époque, il n’y avait quasiment pas d’exemple de réussite porté par des fils de maghrébins, mais j’ai eu la chance d’avoir un frère de 15 ans mon aîné, il a fait de grandes études et a su me guider.

Pendant mon adolescence, j’écoutais beaucoup rap, notamment IAM et il m’a dit : « tu vois  ces gars là, ils se sont dit je veux faire de la musique». Une phrase qui a raisonné en moi et il m’a encouragé à faire ce que j’aimais. Aujourd’hui, au travers de mon travail artistique, c’est ce que j’essaye de transmettre aux jeunes.

Dans un second temps, il a fallu s’affranchir du regard des autres et s’ouvrir, c’est arrivé lorsque je suis allé à la faculté. Au départ, j’avais moi aussi un regard stigmatisant sur cette population universitaire, ça va dans les deux sens… Mais j’ai découvert un nouveau monde et j’ai décidé de plonger dedans…

Kary Amimeur

Le livre « Cité Gagarine, on a grandi ensemble«  est disponible depuis le 14 octobre en librairie. 

Articles liés