Le documentaire Comme un loup montre le parcours de trois jeunes du quartier de Cambrai dans le 19e arrondissement de Paris. On suit leur quotidien et la construction de leur future vie d’adulte. Alexandre Munoz-Cazieux et Félix Schoeller questionnent la façon dont la société nous détermine à travers le système scolaire et mettent en lumière l’orientation subie dans les quartiers populaires.

Les lumières s’éteignent. Plus un bruit dans la salle, la projection va commencer à la Maison des pratiques artistiques amateurs du 14e arrondissement de Paris. Au programme : Comme un loup, un documentaire réalisé par Alexandre Munoz-Cazieux et Félix Schoeller. Le premier est professeur d’espagnol, le second jeune réalisateur.

La caméra suit les mouvements de plusieurs jeunes sortant des cours, prenant le métro et rentrant dans leur quartier du 19e arrondissement de Paris. Des plans en vue aérienne sur l’ensemble de la cité Curial-Cambrai nous donnent l’impression de voler au dessus de blocs blancs géométriques. On plane d’abord, avant de regagner la terre ferme en douceur, au beau milieu d’un terrain de foot. On entre chez Yaya Cissé, on s’entraîne à la boxe avec Mohammed Benmansour, on milite avec Fanta Diallo. On suit ces trois personnages dans leur parcours scolaire à trois moments différents passés au sein d’un même établissement : le collège Edmond-Michelet, ancienne ZEP (zone d’éducation prioritaire). « On voulu faire ce film pour montrer que l’implication de la scolarité de ces jeunes ne s’arrêtait pas qu’entre les murs de l’école, mais que ça allait jusque dans la vie du quartier », explique Alexandre Munoz-Cazieux.

Quand je serai grand…

De ces trois jeunes, dont on découvre le quotidien, la réalité, la vie, un se détache, c’est Yaya. Il est le seul élève de sa classe à Michelet à avoir été orienté en filière générale au lycée, contrairement à ses camarades de classe. L’établissement se situe hors de son quartier, dans un environnement qu’il ne connaît pas et qu’il a fallu apprendre à apprivoiser. « J’ai deux visages : je suis le blagueur quand je suis avec mes camarades de lycée, mais je suis calme et sérieux quand je suis dans la cité », raconte Yaya.

Yaya Cissé dans le documentaire Comme un loup

Yaya fréquente depuis la classe de 5ème le local de la Jeunesse Feu Vert pour suivre une aide aux devoirs. Les caméras nous emmènent aux côtés de ces jeunes qui essayent de s’accrocher, qui demandent de l’aide pour leurs devoirs auprès d’adultes ou étudiants à la fac. Plus qu’une aide aux devoirs, les encadrants souhaitent amener les jeunes pousses à débattre, à se poser des questions sur la société. Parmi eux, Karim, éducateur et habitant du quartier et… Alexandre Munoz-Cazieux. La rencontre entre Yaya et le co-réalisateur s’est produite entre ces murs.

Même si la relation professeur-élève est devenue au fil du temps une relation fraternelle, la rencontre en elle-même témoigne d’une certaine anomalie : celle du système éducatif français, qui dans beaucoup de cas impose une orientation aux élèves issus des quartiers populaires. Alexandre dit de Yaya qu’il est « une réussite personnelle qui cache un échec collectif ». Yaya et ses amis en discutent : « t’as pas remarqué, toujours au conseil de classe, les profs te forçaient pour que tu ailles en pro. Ils nous disent ‘va en filière pro, ce sera bon pour toi’… » Alexandre évoque lui une orientation subie par les jeunes. Selon lui, l’Éducation nationale condamne le futur de ces élèves, leur impose un plafond de verre. « Quand on interroge les élèves, ils veulent tous aller en général, leurs parents aussi. Mais, selon les quartiers, la norme des lycées peut être d’orienter les élèves en général ou, comme à Michelet, en professionnel, pour plus de la moitié, explique-t-il. On leur assène que la générale est trop difficile, que, de toute façon, ils n’auront pas de travail, parce que, ce qu’on cherche maintenant, ce sont des travailleurs manuels. L’orientation est vraiment vécue comme une punition ».

« Dans la vie, sois un loup sinon tu vas te faire manger par un loup »

Le documentaire sonne comme un combat, une lutte pour ces jeunes pour se tailler une place dans la société. Qu’ils soient lycéens ou boxeurs, peu importe les chemins empruntés, le point final reste le même pour tous : le succès ! Cet enjeu devient alors le leitmotiv de nombreuses scènes et semble être le carburant pour beaucoup dans cette cité. « La boxe est une métaphore de la vie, on se prend des coups, mais faut continuer et avancer », affirme Mohammed. Yaya, Sofiane, Fanta, Mohammed, Benjamin chantent à l’unisson leurs ambitions, leurs souhaits de s’accrocher coûte que coûte. « S’il n’y a pas le travail, il y a la boxe. S’il y a pas la boxe, il y a le travail. Il y a toujours quelque chose à faire, on ne reste pas les bras croisés ! » s’exclame Mohammed dans une séquence du film. Comme si d’avance, ces jeunes devaient toujours en faire plus que les autres et montrer patte blanche pour prouver qu’eux aussi ont des talents.

Mohammed Benmansour dans le documentaire Comme un loup

Au centre de la lutte, le protagoniste Yaya. Encore lui. Né en Côté d’Ivoire, arrivé en France à l’âge de 11 ans, le jeune homme de 18 ans n’a pas connu des débuts faciles. Moqué à son arrivée en région parisienne pour son accent, il a appris à le masquer. Il s’est débrouillé pour se faire une place tout seul. Déjà au quartier, il s’est intégré en fréquentant le stade de foot, où petits et grands se retrouvent pour jouer. « Au début quand je suis arrivé, j’étais contre un mur, je me faisais tout petit », relate-t-il dans le film. Puis très vite, le jeune homme a su s’imposer. « On m’appelait ‘le mec qui a mis la lucarne’. C’est bien j’avais déjà gagné un surnom ! »

L’intégration à l’école revêt un autre aspect pour Yaya, surtout ses premiers pas dans son nouveau lycée. Lorsqu’il retrouve ses copains au quartier, il leur confie qu’il est « le seul renoi de [sa] classe ». Phrase à laquelle ses amis répondent : « et alors ça change quoi ? Tu dois travailler, tu prouveras que les renois peuvent aller en générale ». On saisit par là que son intégration sur les bancs de l’école n’est pas la même que le chemin qu’il a dû se frayer dans son quartier. Cette fois, ça n’est pas le Yaya, arrivé à 11 ans dans la cité Curial dont il est question mais de l’homme de couleur qui essaye de se faire une place dans un système scolaire parfois trop académique. C’est le jeune issu de quartier populaire qui essaye de prouver qu’il mérite sa place dans ce type de filière. Le proverbe cité par Mohammed dans le film prend ici tout son sens : « Dans la vie, sois un loup sinon tu vas te faire manger par un loup ».

Une partie de l’équipe du documentaire Comme un loup, sur la scène de la Maison des pratiques artistiques amateurs du 14e arrondissement de Paris

« J’ai réussi ma vie avant de la commencer »

C’est le portrait d’une jeunesse simple et sincère que nous peignent Felix et Alexandre à travers Comme un loup. Entre des parties de FIFA 14, des discussions autour des réseaux sociaux, des cours, des filles, de l’amour… On voit Mohammed enchaîner les entraînements. Lors de ses combats, l’homme est porté par les jeunes de son quartier qui viennent l’encourager, l’admirer sur le ring. Dégoûté du système scolaire qui l’a envoyé en lycée professionnel, Moha a tout quitté pour se consacrer à la boxe. Sa ténacité l’a emmené jusqu’en Thaïlande. « Il a réussi à côté de l’école. Il le dit : ce n’était pas pour lui, mais il a réussi à s’en sortir. Tout ce qu’il aurait dû apprendre à l’école, il l’a appris plus tard, ailleurs », rapporte Alexandre Munoz-Cazieux.

Fanta, l’unique figure féminine du film, bien que discrète, a fait du chemin aussi. Convaincue de ne pas être condamnée à suivre la filière professionnelle, elle a suivi un parcours scolaire difficile, est passée par des établissements privés. Mais le résultat est là : la jeune femme est aujourd’hui étudiante en Sciences Politiques à l’Université Paris 8, éducatrice à la maison de quartier à Curial et militante au sein d’une association qui s’adresse aux jeunes de la diaspora africaine vivant en France et en Europe. « Quand on a 13 ans, on pense que tout ce que disent les prof est vrai. Aujourd’hui, avec mon master 2 en sciences-po, j’aimerais bien revoir mes profs qui me disaient : ‘Tu n’as pas les capacités' ».

Fanta Diallo dans le documentaire Comme un loup

Enfin, on voit Yaya qui jongle entre ses copains de lycée et ses copains de quartier. Des éclats rires, des plaisanteries innocentes échangées dans sa chambre d’adolescent. Pas si ado que cela lorsque le jeune homme doit aider son oncle à entreprendre une démarche administrative pour obtenir ses papiers. « L’école m’a permis d’aider mes parents, ma famille. Quand il y a une lettre, je leur lis, je les accompagne pour remplir les papiers. Tout ça, c’est grâce à l’école », souligne-t-il, modestement. Après l’obtention de son BAC ES, l’étudiant, maintenant en BTS comptabilité, est fier du chemin parcouru. « J’ai réussi ma vie avant de la commencer ».

Ferial LATRECHE

Crédit photos : Elsa Goudenege

Articles liés