« Kif« , paru aux éditions Grasset, est le dernier roman en date de Laurent Chalumeau, journaliste et scénariste français. Ce polar nous raconte, avec humour, la vie d’une discothèque de la Côte d’Azur, repère de voyous en tout genre, et de son nouveau gérant par défaut George Clounet, ancien CRS, pataugeant dans les eaux troubles du monde de la nuit. Chronique.

Une élue FN se regardant comme Jeanne d’Arc, un riche Saoudien rejouant la scène de « DSK au Sofitel », un Kévin converti en Kader sacrificateur halal et enfin, un ancien CRS à la retraite devenu chef d’une discothèque malgré lui. Mélangez le tout et vous obtiendrez ce polar humoristique, une auberge espagnole grandeur nature, rafraîchissant et détonant, que Laurent Chalumeau, grand chef-cuisinier de cette histoire, nous donne à déguster sans modération. Kif, son dernier roman est sans nul doute un des livres qui m’a le plus amusé à ce jour, par l’actualité qu’il vilipende en peignant des traits caricaturaux, à ses personnages. Belle prouesse !

L’ancien journaliste du magazine musical Rock & Folk, l’ancien auteur super doué de Nulle Part Ailleurs, fidèle à lui-même et à son histoire, nous offre à découvrir une œuvre rock’n’roll, en ce qu’elle se veut irrévérencieuse et iconoclaste. Tout y passe dans les thématiques qui ont défrayé l’actualité : de l’identité nationale à la nourriture halal en passant par la radicalisation des jeunes, Laurent Chalumeau fait sauter le verrou, nous accordant un pause humoristique et un moyen de réfléchir par la même occasion, de poser un autre regard sur ces sujets avec détachement et recul.

Le Pourquoi d’un tel livre

« Le Kif » est une discothèque, situé sur la Côte d’Azur.  Après le décès, dans des conditions pittoresques, de son gérant, Georges Clounet (oui, oui, c’est bien le nom du protagoniste … ) hérite bon gré, mal gré de cette boite de nuit, dans il ne connaissait, jusqu’à lors, pas l’existence. Terreau d’activités illicites, « Le Kif » devient le lieu de péripéties en tout genre, auxquels notre héros doit se confronter. L’histoire farfelue se complait dans les personnages qu’elle dessine, véritable figure de proue du récit. Laurent Chalumeau nous amène à nous moquer avec un talent inouï de ces satires-humains, en grossissant les traits de leur caractère respectif; mais en les ancrant dans un univers teinté de réalisme, retranscrivant, avec intelligence, le monde, l’ enclos que sont les boîtes de nuit.

Paul Ricœur disait  » l’indignation est le premier stade de la revendication … « . C’est dans l’indignation qu’a germé l’idée d’écrire ce polar, indigné de voir une France sclérosée dans la peur, des épouvantails qu’elle érige elle-même. Son écriture et ses personnages sont des prolongations de sa colère, une manière de se défouler, dans une tradition typique voltairienne, et de réagir aux poncifs récurrents sur l’islam et la vie dans les quartiers.

Il faut sauver le soldat Kévin Kader

Qui est Kévin Kader ? Un jeune converti bien décidé à imposer sa loi dans sa région. Il extorque un riche Saoudien, donne des pots-de-vin à des hommes de la municipalité, dans l’objectif d’obtenir  le permis de construire pour une mosquée dont il serait l’imam. Pourtant, le mystère plane non pas sur son identité, mais sur ceux qu’il prétend désigner, les Français dit « de souche », qui se convertissent, en milieu carcéral ou autre, à un islam radical. La représentation de la France envahie, une part cauchemar de Houellebecq, mise à nu et décortiquée avec minutie. En effet, la France s’interroge sur ces « badauds » qui errent désormais dans les rangs l’islam radical, partant faire le djihad en Syrie, cherchant inlassablement à se faire une place et à laisser sa marque dans leur religion.

L’auteur compare son personnage au rappeur Eminem, entre d’autres mots, un Blanc ayant réussi à s’imposer dans une culture afro-américaine. Les interventions de Kévin sont délicieuses à souhait, sans cesse en jugement vis-à-vis du monde dans lequel il vit, le monde qu’il l’a vu naître. Il nous rappelle un peu à tous un membre de notre entourage que l’on connait, dont on a suivi avec dépit et curiosité, son basculement de l’autre côté, le côté de la bêtise. Les apparences sont le socle sur lequel Kévin est perçu, défini et jugé par les autres, il est enfermé dans cette case, et n’est plus rien d’autre que Kévin Kader l’intégriste.

Laurent Chalumeau complexifie le personnage, lui donne une opacité. Il en est de même pour l’élue FN, ses convictions politiques rentrant constamment en opposition avec ses sentiments. Cherchant inlassablement à fermer la boîte, elle est en relation, relation torride, avec l’agent de sécurité de cette même discothèque. L’auteur casse les mythes qu’entretiennent l’imagerie populaire en mettant ses personnages dans des situations drôles et salaces.

Un film en gestation ? 

A part le langage de la rue exposé dans sa littérature, le récit suit les mêmes structures qu’un film que l’on regarde au cinéma : les différentes strates de l’histoire morcelées en scènes s’imbriquant l’une à l’autre, tissant des liens de causalités, perpétuellement en choc, dressant devant nous un long-métrage similaire à une vieille comédie française, tel « La Grande Vadrouille », où tout s’emmêle autour de situations inouïes et comiques

Il ne serait pas anormal (et je plaide fortement pour la cause) que ce roman donne matière dans les années qui suivent à un film, populaire et intelligent. En attendant, « Kif » est un livre apportant un regard neuf et agile sur des poncifs devenu de véritables trous noir de la pensée dans le débat français. Allez le lire, vous allez kiffer.

Jimmy SAINT-LOUIS

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