Le documentaire est basé sur les conversations d’individu·e·s, qui observent des images de violences policières. Pourquoi était-il important pour vous de parler de ce sujet sous la forme de l’échange, de la discussion ?

Il est encore temps, mais pour combien de temps, je l’ignore, de dialoguer, de converser, de réfléchir, de se contredire, de débattre, et de le faire de manière profonde, avec conviction, sans tomber dans les travers à la con des punchlines, ou des clashs. L’idée du débat, de la discussion, de la philosophie, c’est effectivement le cœur du film.

Vous avez choisi de faire des binômes de discussions, par exemple des victimes de violences policières qui parlent ensemble, un sociologue et un écrivain, avez-vous pensé à faire se rencontrer intellectuel·le·s et Gilets jaunes ?

Je ne raisonne pas en catégories socio-professionnelles, c’est pourquoi nous ne donnons pas les noms et les fonctions des protagonistes avant le générique de fin. Mélanie, qui est au milieu du film, est une travailleuse sociale d’Amiens Nord. Gilet jaune tabassée par un CRS à Paris, c’est elle qui, dans le film, sonne la charge politique la plus puissante. Tout d’un coup, elle n’incarne plus la  figure de la victime qui raconterait, elle  est celle qui analyse. Je suis plus intéressé par ce genre de chassés croisés qui produisent finalement un brouillage sur qui est qui, que de cataloguer les gens.

L’idée n’était pas de raisonner avec, d’un côté, les intellectuel·le·s, de l’autre les agissants. Ce sont des stéréotypes sociaux, des barrières mentales, dont il faut se défaire.

C’est vrai que Mélanie représente vraiment un basculement dans le film, c’est ce que j’ai ressenti aussi. Est-ce que vous trouvez qu’il y a un avant, et un après son intervention ?

Pour moi oui, mais c’est plus à vous de le dire. C’est aux spectateurs, aux critiques de dire ce qu’ils ressentent. À ce moment du film, Mélanie pulvérise justement le concept de — je n’emploie jamais le terme d’experts que je trouve insupportable — mais elle pulvérise cette notion là. À ce moment là dans le film, le spectateur a accepté que les protagonistes ne soient pas présentés et que l’on soit dans la dialectique pure, et non dans la communication. Que chaque spectateur a mis ses présupposés de côté.

 


La bande-annonce du film « Un pays qui se tient sage ». 

 

En termes de montage, Mélanie, c’est un monologue, c’est long, c’est le genre de séquence qui ne se fait pas ou qui ne se fait plus. Pour moi, je le dis d’autant plus je n’y suis pour rien, en fait, c’est un instant magnifique. Un grand moment politique. Et c’est au milieu du film. Comme au centre de gravité, au sens double du terme. Elle est d’un côté une Gilet Jaune, elle est aussi quelqu’un des quartiers Nord d’Amiens, qui vit et qui aime son quartier. Elle y revient plus loin dans le film, en disant qu’elle « y crèvera ». Avec Mélanie, il y a une jonction entre Gilets jaunes, quartiers, police : elle est la trace visible, marquée dans sa chair, du continuum sécuritaire.

Il ne s’agit pas de dire que les gens des quartiers sont des gilets jaunes, et que les gilets jaunes sont des gens des quartiers, on sait que leur sociologie ne se superpose pas totalement, mais qu’ils ont pu se croiser.

Elle pourrait être en quelque sorte la transition avec les quartiers populaires, dont vous parlez un peu plus après. Je trouve qu’avant son intervention, c’est surtout des intellectuel·le·s qui parlent…

En fait, au début du film, il y a Gwendal, il y a Patrice, il y a Vanessa, il y a Sébastien, plusieurs victimes qui racontent. Mais encore une fois, je ne raisonne pas en catégories. Quand Patrice, gilet jaune éborgné, dit qu’il n’en veut pas au policier qui a tiré, mais au donneur d’ordres, là encore, ce n’est pas la figure de la victime qui advient, c’est une parole foncièrement politique. Pour revenir à Mélanie, elle n’est pas la transition avec les quartiers : elle vit et vient des quartiers. Amiens Nord, qui plus est, ce n’est pas rien. Ce n’est pas dans le film, mais Vanessa, aussi, habite en banlieue, elle sait ce qu’est la BAC, elle sait tout ça. Ce sont des mondes moins éloignés que ce qu’on a voulu en dire.

Même si vous dites que vous ne mettez pas forcément d’étiquettes sur les personnes, je me suis posée une question sur les intervenant·e·s. Sur ce sujet, on peut se demander pourquoi on ne voit pas de militant·e·s contre les violences policières. Est-ce que c’est un choix de votre part ?

C’est moins un film sur les violences policières que sur Max Weber, sur ce que l’Etat s’autorise à faire, et peut faire. Violence d’Etat, violences policières, évidemment, mais l’idée c’est de proposer de réfléchir au delà. Nous avions prévu de faire venir des observateurs de pratiques policières, et des militants de collectifs. Hélas, pour des raisons de grève des transports, ça n’a pas été possible. Reste que dans le film figurent Vanessa et Mélanie, qui s’occupent des Mutilés pour l’exemple, ou Taha Bouhafs, compagnon de route du Comité Adama. Taha est d’ailleurs explicite sur la gestion policière des quartiers, qu’il appelle des « laboratoires de lois d’exception », comme les deux mères de Mantes-la-Jolie qui disent clairement les choses, en parlant de « sous citoyenneté » dans les quartiers.

Sur les quartiers populaires, justement, les violences policières elles sont mentionnées, Taha Bouhafs explique que c’est un laboratoire, mais est ce qu’elles ne sont pas un peu invisibilisées, comme elles ne sont pas le cœur du propos…

Le titre du film (“Un pays qui se tient sage”) est un retournement de stigmate, un effet de miroir tendu au policier qui a filmé et commenté la scène (« voila une classe qui se tient sage« ). Le titre du film, c’est Mantes la Jolie et au-delà de Mantes la Jolie, c’est en partie une référence à l’histoire des quartiers.

L’histoire de Mantes-la-Jolie, je la connais, je sais ce qu’il s’est passé en 1991, quand s’est mis en place tout le discours politico-médiatique sur ce qu’on s’est mis à appeler les « violences urbaines », en gommant toute connotation sociale aux révoltes.

J’ai déjà fait des films, des bouquins là-dessus…La question posée ici est celle de la violence d’Etat. Ici et ailleurs. Sur la question spécifique des quartiers, il y a par ailleurs A nos corps défendants, un film de IanB de Désarmons les !, il y a le film de La Rumeur en cours de tournage sur le Comité Adama. La Rumeur, on se connait depuis des années. On ne s’est pas croisé depuis au moins 20 ans, mais il y a comme un cousinage: le rap, quand ils sortaient des disques, et que je les chroniquais dans Libé; Pigalle à propos duquel ils ont fait un film; et moi aussi…

En fait, Un pays qui se tient sage s’inscrit au milieu de tout ça. Si chacun peut apporter sa pierre à l’édifice de la compréhension de ce système là, c’est gagné. La séquence la plus décortiquée dans le film, c’est Mantes-la-Jolie, ce n’est pas pour rien, c’est la plus longue, celle qui convoque le plus de protagonistes. Le sociologue Fabien Jobard y point clairement la vision coloniale de la police, Damasio, le régime disciplinaire en vigueur. Autant de points que nous abordons, dès qu’on peut dans les avant-premières, en donnant la parole aux collectifs de quartier, Justice pour Babacar à Rennes, pour Wissam à Clermont Ferrand, pour Angelo à Blois, pour Ibrahima Ba à Saint Ouen l’aumône.

Ce que j’ai pensé c’est plutôt par rapport aux intellectuel·le·s du début où  je me suis dis peut-être qu’ils parlent beaucoup, c’est beaucoup d’informations, un peu lourd. Justement après il y a la rupture de Mélanie, où je me suis dis là que c’était un des points culminants du film. Après, c’est une manière de faire un film, mais ça m’a fait me poser la question. C’est intéressant de savoir pourquoi vous avez fait ce choix d’avoir des intellectuel·le·s, des Gilets Jaunes, et aussi c’est vrai le titre du film qui rappelle les quartiers populaires…

La séquence des deux mères de Mantes-la-Jolie, je peux vous dire qu’elle remue le public dans les avant-premières, c’est ça qui m’importe. Un film, ça ne se fait pas avec un chronomètre, ou alors c’est le JT. Là ce n’est pas ça,  un film, c’est du souffle.

Le film englobe les violences policières faites dans les quartiers, en expliquant que ce qui est arrivé aux Gilets Jaunes, ça vient de là, ça ne vient pas de nulle part. La doctrine, l’armement, les troupes, les usages…

Pour revenir à Max Weber, la phrase qui est le cœur du film. Lors d’un entretien, vous dites que votre film dit à l’Etat : “Vous revendiquez le monopole de la violence légitime, alors soyez à la hauteur de cette revendication, soyez légitime.” Qu’est ce que vous entendez par légitimité de la violence ? Est-ce qu’il y aurait des violences qui seraient légitimes ?

Pour moi, le mot le plus important dans la définition de Max Weber c’est le mot revendication. À partir du moment où l’Etat revendique le monopole de la violence légitime, ça signifie qu’il y a discussion, qu’il y a tractation, qu’il y a débat. Ce film, c’est un débat. Tous les travaux que vous, le Bondy Blog, vous faites sur les violences, vous apportez des éléments au débat. Street Press, Mediapart, Basta Mag apportent des éléments au débat; les collectifs; les avocats, etc.

Ce que nous faisons tous, finalement, c’est de disputer cette revendication, c’est le sens de cette phrase. C’est l’idée de rappeler que, contrairement à ce qu’on veut nous faire croire, que la légitimité serait coulée dans le marbre, et que personne n’aurait rien à dire; je dis, si, ça se discute, pied à pied, opération de police par opération de police. C’est cela que le film essaie d’interroger.

Il y a un autre point, qui ne m’a pas forcément dérangée, c’est qu’il y ait un policier qui soit interrogé dans le film, je trouve que c’était intéressant face à Taha Bouhafs, mais je me demandais justement, le film ne dit pas forcément ce que la police devrait être et comment la changer, mais on se pose évidemment la question à la fin du film. Pensez-vous qu’une société sans police est possible ?

Il n’y a pas un policier, il y en quatre. On me parle toujours du même Benoît Barret d’Alliance, mais il y a Patrice Ribeiro de Synergie, il y a Bertrand Cavalier, général de gendarmerie, il y a Anthony Caillé de la CGT, et sur les quatre on a au moins trois facettes très différentes de la police. C’est ça qui m’intéresse, c’est la complexité.

Donner la parole à un policier, personnellement, ça ne me gêne pas du tout. Jacques Brel disait ‘Il faut aller voir’.

Ça m’importe d’aller voir, de comprendre les logiques à l’œuvre, ça ne veut pas dire que je les accepte, que je les légitimise, au contraire, j’y vais pour discuter, pour débattre. Voilà le sens de ma démarche. Chacun apporte des pièces au débat. Le film c’est ça, une pièce au débat, pas un catalogue de solution. Ce qu’on voudrait démontrer, c’est que la police ne doit pas rester à la seule police. La police, comme dirait l’autre, c’est l’affaire de tous, et on ne doit pas laisser la police à la police, ni à ses syndicats, ni à l’institution: ce ne sont pas eux qui changeront la police.

On voit bien tous qu’il y a un problème fondamental avec la police, qui ne date pas d’hier, mais qui est enfin documenté, affaires après affaires, comités après comités, avocats après avocats. Là, les gens ne peuvent plus détourner le regard, comme ils pouvaient le faire pendant 20 ou 30 ans, hélas, et je le déplore.

La question de la police n’a jamais été autant débattue dans la société qu’aujourd’hui. Je pense réellement que la réponse est collective, que c’est le travail de chacun, la prise de conscience de chacun qui dessineront l’horizon vers lequel on va aller. Je préfère parier sur l’intelligence collective, les débats d’après film, les blogs, les livres, les témoignages, ce qui est en train de se construire, que sur une parole verticale. Pour vous répondre de manière plus prosaïque, une chose me semble à portée de mains: le débat du contrôle de la police, des enjeux autour de l’IGPN. Un pouvoir (la police) sans contre pouvoir, l’IGPN, qui agit comme une chambre d’enregistrement, est la garantie d’abus de pouvoir.

A propos des images, quel est le rôle pour vous des images, particulièrement des images violentes qu’on voit dans le film, dans la dénonciation des violences policières ? 

Tant qu’il n’y avait pas ces images, tout le monde se foutait de ces questions là, hormis les victimes, leurs proches et quelques cercles militants. La meilleure réponse c’est Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU, qui l’apporte dans le film, il explique que c’est une révolution, et je le crois sincèrement.

On ne peut pas comprendre les déclarations de Gérald Darmanin, ou le nouveau schéma du maintien de l’ordre, qui voudrait mettre au pas les journalistes, et écarter les vidéastes amateurs ou non encartés, si on n’a pas en tête l’apport considérable de ces vidéos.

Il n’est pas suffisant en tant que tel, mais ça reste quelque chose qui a absolument bouleversé la donne et provoqué le débat. Bien entendu, c’est insuffisant, on est bien d’accord : l’idée du film, c’est justement de dire ces images méritent plus que d’être scrollées, qu’elles sont plus que des faits d’actualité. Ce sont des images qui font histoire, je le crois vraiment.

C’est la raison, à la fin du film, de l’hommage rendu à tous les gens qui ont filmés, que j’ai retrouvé, que j’ai crédité, cité, daté, et que l’on a rémunéré parce que ça va s’en dire, toutes les images sont payées, y compris celles des amateurs. Ce n’est pas pour rien que l’affiche du film met en avant un téléphone portable. Je pense que l’on vit  un moment absolument incroyable de par la documentation, notamment vidéo, mais pas seulement.

Ces images elles servent surtout à visibiliser, à médiatiser, aux personnes qui ne voyaient pas ou ne se rendaient pas compte de l’existence des violences policières, mais est ce que vous pensez que la multiplication des images pourra permettre de rendre justice aux victimes ?

Je n’ai pas le temps pour le découragement. Bien évidemment, les images ne suffisent pas, ce qui rendra justice aux victimes, c’est la justice, ce ne sont pas les images, mais les images permettent en partie à la justice d’être rendue.

Lors de la révélation de la mort de Cédric Chouviat, la communication du Ministère de l’Intérieur et de la police, de l’institution en général, ne fut absolument pas la même tant que les images étaient inconnues et quand elles furent rendues publiques par les avocats William Bourdon et Arié Alimi.

De voir comment l’Intérieur réagit en demandant maintenant de flouter les visages des policiers, ou à l’inverse Michel Forst de l’ONU qui dit que c’est la révolution, je trouve ça éloquent. Pour tous ceux qui observent les choses de la police, ce que nous vivons actuellement est absolument historique. Il n’y a jamais eu autant de débats, autant de parole de l’intérieur, et c’est renversant : le gardien de la paix de Rouen qui révèle la boucle Whatsapp sur Arte Radio, Street Press qui révèle les comptes Facebook racistes, le policier du Tribunal de Paris qui révèle les agissements racistes la nuit au dépôt, ou récemment à Strasbourg, deux policiers qui portent plainte contre l’institution parce que victimes de racisme. C’est du jamais vu, une telle rafale de révélations.

Vous venez de mentionner deux points, la question de la justice, et la question du racisme, c’est peut-être deux choses qui peuvent manquer dans le film. Par exemple la question de la justice, on voit souvent des policiers qui parlent, et aussi des avocats, mais on n’entend pas de juges ou de procureurs…

J’explique à la fin que le Procureur de la République a refusé de parler, ce n’est pas de mon fait. Par ailleurs, la justice, elle est là, notamment il y a tout un passage entre Anthony Caillé de la CGT, et William Bourdon, avocat, qui parlent absolument de la justice d’exception, des arrestations préventives en cas de manifestation. C’est un documentaire, c’est du cinéma. On n’est pas là pour marteler des choses, on peut y aller par petites touches. Après, vous pouvez considérer que ce n’est pas suffisant, mais ce n’est pas une démonstration, un documentaire de cinéma, c’est autre chose, c’est une proposition.

Sur le racisme, je vous renvoie à la séquence de Lilian, 16 ans, la joue transpercée par un LBD à Strasbourg, en janvier 2019. Ou, bien sûr, à toute la séquence de Mantes-la-Jolie: on perçoit fort bien le racisme à l’œuvre. La posture de ces 151 lycéens agenouillés, entravés, les mains sur la tête, pendant 2 ou 3 heures, dans la boue à Mantes-la-Jolie, on sait tous très bien à quoi ça fait référence.

C’est évident qu’il y aurait un film à faire sur le racisme dans la police, un autre sur la justice. Avec Un pays, je me suis attaché à réfléchir à la phrase de Max Weber. On ne peut pas aborder tout, évidemment il y a des choix, mais ces deux questions sont bel et bien dans le film.

À un moment du film, vous citez des noms de victimes tuées par la police, Malik Oussekine, Zyed et Bouna, Zineb Redouane, Rémi Fraisse et Steve, pourquoi ces noms en particulier ? 

D’autres noms sont cités, notamment par Taha Bouhafs. Malik Oussekine ? Décembre 1986, j’ai 18 ans, je manifeste dans le quartier Latin, j’ai les voltigeurs aux trousses, et c’est une des raisons pour laquelle je m’intéresse à la police. C’est un acte fondateur pour moi. Zyed et Bouna ?

Je vivais à Saint Denis quand les émeutes de 2005 sont survenues, je considère que ces révoltes sont un des événements politiques le plus marquants depuis 1968, et dont une infime partie, justement de ceux que vous appelez les intellectuel·le·s, ont tiré les leçons.

Le vide sidéral après ce moment là est… sidérant, sauf, étonnamment, pour les Renseignements Généraux. Le directeur des Renseignements Généraux de l’époque sera viré à cause du rapport de synthèse qui parlait en toutes lettres du « soulèvement populaire des quartiers », c’est-à-dire que les Renseignements Généraux avaient bien cerné l’aspect politique des événements.

La mort de Zyed et Bouna est à mes yeux extrêmement capitale. Rémi Fraisse ? C’est une autre forme de contestation, ce sont les zadistes. Zineb Redouane ? Parce qu’il semble essentiel de rappeler que dans le cadre des manifestations des Gilets Jaunes, il y a eu ce tir de grenades lacrymogènes.

Adama Traoré est cité, Ali Ziri est cité, Taha Bouhafs cite plusieurs noms. Il y aurait pu y avoir des dizaines de noms, là encore, ce sont des évocations, ce sont des pistes que j’envoie. Et un travail de mémoire. Zyed et Bouna je sais, je sais d’où ça vient, je sais ce que c’est. Les images de la centrale EDF de Clichy-sous-Bois, qu’on voit dans Un pays qui se tient sage, c’est moi qui les ai tournées en 2006, elles sont dans mon premier film ; la dépose de la plaque commémorative de Malik Oussekine, idem, c’est moi qui l’ai filmée, en 2006.

Quand vous avez réalisé le film, ou maintenant que vous voyez le public dans les salles, est ce que vous vous êtes dit, ce film va être destiné à telle ou telle personne ?

Je me refuse toujours de répondre à cette question là, que ce soit pour mes livres, mes films, quoi que ce soit, ma réponse c’est toujours : je m’adresse aux gens curieux. Sinon ça devient du marketing, et ça ne m’intéresse pas. Je m’adresse à des gens qui ont envie de réfléchir, quelque soit le côté de la barricade où ils se trouvent. Je dis toujours d’où je parle, je ne me cache pas, je pense qu’on comprend très vite mon point de vue. C’est évident qu’il ne s’agit pas d’un programme destiné à M6 ou à TF1 et dont la seule logique c’est de plaire au plus grand nombre, ou des “Précis de Philosophie” qui ne s’adresseraient qu’à des étudiants en philo. Je suis ni dans l’un, ni dans l’autre.

Tout à l’heure vous disiez que vous aviez de l’espoir, comment vous voyez l’avenir des mouvements sociaux, de la lutte contre les violences policières ?

Je suis dans la sortie du film, je suis dans le présent. Tous les soirs, les séances sont complètes, parfois on les double, et je pense que les gens viennent d’abord et avant tout pour le sujet, pour l’Etat, que fait l’Etat ? Et ça, ça m’intéresse, ce qu’il va se passer demain, après-demain: ce n’est pas à moi de répondre, c’est à chacun d’entre nous. Ce que je ressens, c’est qu’il y a une envie de réfléchir à ça, évidemment elle n’est pas majoritaire. D’autres films sont sortis ou se préparent, d’une certaine manière il y a Les Misérables, qui ré-abordait ça.

Ce que j’espère c’est qu’il ne faudra pas attendre 25 ans pour avoir une nouvelle fiction sur la banlieue, parce que si c’est tous les 25 ans, La Haine, Les Misérables, ça ne va pas. Les choses doivent s’accélérer. Ce qui m’intéresse vraiment c’est ce qui est en train de se passer aujourd’hui. Regardez en deux ans le nombre de déclarations, de décisions, de modifications de doctrines, même d’armements… c’est très périlleux de dire, voilà ce qu’il va se passer, on n’en sait rien. On sait juste que chacun a sa part à jouer.

Anissa Rami

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