Raphaël Barontini est né et a grandi à Saint-Denis, dans la cité Jacques Duclos. Aujourd’hui, il est exposé au Panthéon.

L’artiste dyonisien représente, à travers des œuvres somptueuses, sa propre interprétation des figures de la lutte contre l’esclavage. Dans “We Could be Heroes”, Raphaël Barontini met en lumière des femmes et des hommes, parfois oubliés, mais ô combien héroïques.

Son parcours, son esthétique et les thèmes qu’il aborde sont marqués par le thème de la créolité, les échanges, les fusions. Interview d’un “enfant du pays”.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?

Initialement, je ne m’étais pas destiné à faire de l’art en tant que professionnel. Quand on m’a proposé de m’engager dans cette voie, j’avais 17 ans. À cet âge, être artiste, on ne sait même pas réellement ce que ça veut dire. Moi, personnellement, ça me paraissait complètement chelou…

Si j’avais été aux États-Unis, j’aurais dû débourser quelque 48 000 euros l’année et ça aurait été impossible

Mais un jour, au lycée, ma professeure d’arts plastiques est venue me voir. Elle m’a dit que j’avais du talent et que je devrais poursuivre dans cette voie. Je me suis dit que ça pourrait être intéressant. J’ai donc intégré une classe prépa publique à Fontenay-sous-Bois (94). C’est une chance d’avoir ça en France. Si j’avais été aux États-Unis, j’aurais dû débourser quelque 48 000 euros l’année et ça aurait été impossible.

J’ai ensuite passé cinq ans aux Beaux-Arts de Paris, dont un an d’échange au Hunter College of Art à New York, avant d’obtenir mon diplôme fin 2009. Après, j’ai intégré le collectif 6B, un atelier d’artistes autogéré et associatif, avant de prendre mon propre studio, dans ma ville.

C’est compliqué d’être aux Beaux-Arts quand on vient de Saint-Denis ?

Le tissu social de l’école est très singulier et très différent de quand j’étais en banlieue. J’ai la chance d’avoir des parents qui ont un certain capital culturel et qui ne m’ont pas découragé de suivre cette voie. Quoi qu’il en soit, j’ai passé 27 ans de ma vie en cité. On ressent forcément une différence immense.

Tout ça est renforcé par le fait que ce sont des études qui restent chères au niveau matériel. J’en étais à demander à mon père d’avoir de la toile pour peindre à Noël. C’est un autre type de barrière pour certains jeunes qui sont issus des quartiers et qui ne peuvent pas se le permettre.

Il faut avoir conscience du fait que même si tu perces, tu ne vas pas pouvoir vendre des tableaux avant un moment

Rien que le fait de ne pas avoir la sécurité d’un avenir professionnel stable, pour plein de raisons, c’est tout simplement impossible pour beaucoup d’entre nous. Pour ma part, j’étais vendeur chez H&M il y a encore trois ans. Il faut avoir conscience du fait que même si tu perces, tu ne vas pas pouvoir vendre des tableaux avant un moment, et encore moins en vivre.

Au-delà de l’aspect financier, on t’a fait ressentir une certaine différence ?

Le simple fait de découvrir la grande bourgeoisie parisienne, c’est déjà quelque chose… Mais au-delà de ça, les thématiques que j’abordais dans mon travail d’étudiant, ne correspondaient pas forcément aux attentes des professeurs des Beaux-Arts. Selon moi, ça ne relève pas forcément d’un rejet, mais surtout d’une méconnaissance.

En allant à New York, j’ai découvert une scène d’artistes afro-américains et latinos dont mes enseignants en France ignoraient carrément l’existence. Avant cela, très fréquemment, quand je parlais d’un artiste, ni mes camarades, ni les profs ne semblaient les connaître. Je me suis senti assez seul et incompris. Je voyais bien que je n’avais pas les mêmes références que le corps professoral.

Est-ce la découverte de ces scènes Afro/Latino-Américaines qui t’a amené vers de nouvelles thématiques ?

C’est plutôt que je me suis permis, à ce moment-là, de travailler sur les questionnements que j’avais envie de traiter. Ici, j’avais plutôt un sentiment de “il nous fait chier avec l’esclavage” implicite (parfois à la limite de l’explicite, aussi). Voir que ces scènes-là étaient diffusées outre-atlantique dans de grandes institutions et dans des galeries, m’a conforté dans l’idée de continuer sur la voie que j’avais commencé à me tracer.

Et je pense que ça a payé. Par exemple, pour l’exposition du Panthéon, j’ai en partie ressorti une série de peintures bannières à franges. C’est en réalité un travail que j’avais commencé étudiant. À l’époque, je me suis heurté à une totale incompréhension.

Dans le cadre de l’expo au Panthéon, tu as représenté des figures moins connues, mais aussi beaucoup de femmes, pourquoi ce choix ?

Quand le centre des monuments nationaux m’a laissé carte blanche, j’ai essayé de réfléchir à comment je me figurais l’histoire du lieu, et ce que je pouvais y questionner. L’un des premiers aspects qui m’est venu, c’est le fait que le Panthéon, c’est un mausolée avec quasiment que des mecs.

Plus de la moitié des œuvres que j’ai exposées dépeignent des personnages féminins et ça, c’est cool

C’est la raison pour laquelle je me suis vraiment attelé à représenter des femmes. Je voulais montrer ces figures historiques importantes. Plus de la moitié des œuvres que j’ai exposées dépeignent des personnages féminins et ça, c’est cool. C’est cool aussi d’avoir l’espace et l’opportunité de le faire.

D’autres grandes figures, des intellectuels caribéens, t’ont influencé. On cite souvent Edouard Glissant et Aimé Césaire. Comment se traduit cette influence sur ton œuvre ?

Il y a à la fois une proximité intellectuelle et esthétique. Quand je suis aux Beaux-Arts, je travaille déjà cette créolité. Je mélange et je compose, par le collage, la peinture ou encore l’impression numérique. Tout cela exprime ce rapprochement des imaginaires, des temporalités, des géographies, via des images issues de cultures différentes.

C’est d’ailleurs en remarquant cet aspect de mon travail qu’une copine me dit à l’époque : “Lis Glissant, tu vas halluciner. Je pense que tu vas découvrir une sorte de mentor. Quelque part, il pose des jalons de ce que, toi, tu crées formellement.” Et elle avait raison. C’est un penseur qui m’a accompagné d’abord dans la lecture, puis qui m’a ensuite permis d’étoffer mon discours et mon langage plastique.

J’essaie de développer un langage ou je me sens pleinement représenté

Chamoiseau, écrivain et compagnon de route de Glissant, a d’ailleurs écrit un texte magnifique sur mon expo. C’était hyper important pour moi de l’avoir “on board” avec moi.

D’une manière générale, je pense que la force des cultures caribéennes qui sont nées sur la plantation dans un contexte hyper violent, c’est aussi ce mélange. Il y a une vraie puissance culturelle et artistique qui est née de tout ça et c’est ce que je défends. J’essaie de développer un langage ou je me sens pleinement représenté, qui fait écho à mon vécu, aussi bien sur le fond et le discours que sur la forme.

Quel message aimerais-tu que l’on retienne de ton exposition ?

C’est un peu une nouveauté que les monuments nationaux invitent un jeune artiste comme moi. Ils ont été assez courageux de me confier cette exposition, et m’ont laissé une réelle carte blanche. Elle permet de faire exister le combat des personnes qui ont été en condition d’esclavage pour leur liberté, dans le contexte du Panthéon. C’est une histoire douloureuse pour la France, qu’elle a du mal à regarder en face. Je considère que c’est un peu le début d’un examen de conscience.

Pour les jeunes qui n’ont jamais été au Panthéon, courrez voir l’exposition ! En plus c’est gratuit pour les moins de 26 ans. C’est important que nous, en tant que jeunes issus de banlieue, de ce métissage, qu’on se saisisse aussi de lieux et d’opportunités comme ça pour faire vivre une autre histoire, notre histoire.

Propos recueillis par Ambre Couvin

Photo : ©JalilOurguedi

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