Bobigny n’est plus. Ses tours d’habitation, son centre commercial, son vacarme journalier s’estompent de ma mémoire. Sous mes yeux, Thèbes, cité de la Grèce d’Europe. C’est la nuit. Une de ces nuits douces, drapées dans d’épais nuages mus par une brise nonchalante. Deux arbres majestueux se font face. Gardiens d’une cité endormie, sereine, sans histoire. Soudain, un bruit, une lumière, un homme. Sosie, domestique et messager d’Amphitryon, revient du champ de bataille où a triomphé son maître. Il porte un message à Alcmène : le retour de l’époux victorieux est proche.

Encore eût-il fallu que l’accès de la demeure ne lui fût point interdit par son propre… sosie ! Le voilà donc enfermé dehors, hagard, face à un autre qui se fait passer pour lui, qui est vêtu comme lui, qui lui fait la nique et de surcroît lui inflige une bonne bastonnade. Oh dieux, où êtes-vous donc ? N’y-a-t-il guère de justice sur ce sol terreux ?

Les dieux, parlons-en ! C’est précisément deux d’entre eux qui sont à l’origine de cette sinistre farce : Jupiter le libidineux, Dom Juan immortel, polygame invétéré, et Mercure, son messager et… fils (ah, les enfants ne sont plus ce qu’ils étaient !). C’est Alcmène – on s’en doute – le nouvel « amour » de Jupiter. L’aventure ne durera que le temps d’une nuit entre une innocente Alcmène et Jupiter qui a pris l’apparence d’Amphitryon pour l’occasion. C’est vil, bas et mesquin. Bref, tout ce que le spectateur adore !

A l’entrée de la maison, Mercure – sous les traits de Sosie – monte donc la garde de peur que l’on ne vienne troubler les ébats interdits de son père. C’est dans ces circonstances qu’il rencontra puis chassa le vrai Sosie. Celui-ci s’empresse d’aller faire le récit de cette abracadabrantesque rencontre à son maître incrédule évidemment. Le lendemain, Amphitryon est de retour mais trouve une Alcmène troublée ; en effet, elle pense à tort avoir passé la nuit avec son mari alors que celui-ci lui soutient le contraire.

L’Amphitryon du metteur en scène Bernard Sobel met ainsi aux prises deux chefs – l’un mortel, l’autre divin –, ayant la même apparence mais qui procurent un plaisir différent à Alcmène. Les comédiens, au nombre de dix, sont tous à la hauteur hormis Pascal Bongard, alias Jupiter, dont la diction particulièrement lente et hésitante déçoit nos attentes. La scénographie est sobre mais en aucun cas minimaliste : auréolée d’une lumière le plus souvent tamisée, la scène présente dans un premier temps deux immenses arbres sous un ciel nuageux puis la façade de la demeure d’Amphitryon. L’avantage est de tourner ainsi l’attention du spectateur vers le texte et le jeu des acteurs, l’inconvénient, celui d’une représentation sans surprise et qui plus est un peu longue (2h20 de spectacle).

Il n’en demeure pas moins qu’Amphitryon s’avère une œuvre remarquable abordant des questions essentielles et d’actualité telles que le rapport à soi et au partenaire dans le couple, la trahison conjugale ou encore le trouble qui procède du plaisir amoureux. Bref, Amphitryon traite intelligemment de sujets communs à ceux de la téléréalité, la vulgarité et les annonces publicitaires en moins.

Il est 23 heures lorsque les spectateurs finissent d’acclamer les comédiens. Nous quittons les Thébains et leurs divinités. A vous maintenant de les retrouver sans attendre au théâtre de Bobigny : ils y sont jusqu’au vendredi 3 décembre 2010 seulement !

Gaëlle Matoiri

Réservations : http://www.culture.bobigny.fr/evenements/amphitryon/

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