Pourquoi une fanfare? Vue de loin, c’est la première question qui vient à l’esprit. « Parce que ça fait du bruit » répond d’abord Soraya, responsable de l’espace jeunesse Guy Moquet à la Courneuve. Et la psychologie de comptoir flinguée nous pousserait à dire qu’il faut, au minimum, une fanfare pour se faire entendre quand on est un jeune de la Courneuve et que sa voix ne porte pas plus que les autres. Alors oui, il faut faire du bruit pour dire à ceux qui n’avaient pas vraiment remarqué qu’on existe. Et sinon ? « Nous avons remarqué que nos jeunes tournaient autour du piano posé dans la grande salle de l’espace jeunesse. Ils étaient attiré par l’instrument. Donc quand le festival Villes des Musiques du Monde nous a proposé ce projet de fanfare à la Courneuve, on a tout de suite dit oui » finit Soraya.

Depuis octobre, tous les jeudis, malgré les vents frais et les marées qui tombent du ciel, dix huit personnes se retrouvent dans cette grande salle -la première fois, ils ne s’étaient jamais rencontrés les uns les autres-, ils défont leurs instruments de leurs pochettes, ils s’installent, assis ou debout, et ils écoutent Bruno, leur professeur de fanfare. Ils ont « entre 11 et 67 ans », et même si c’est un espace jeunesse de la ville, on dira qu’il n’y a pas d’âge pour faire du bruit. « Ce n’est pas la rigueur du conservatoire, ici on peut s’amuser ». Soraya reprend : « On se rend compte que la musique décoince et libère des choses dans la vie de chacun ».

Aujourd’hui encore, malgré la pluie qui frappe les fenêtres, ils sont là, fidèles aux bruits, les lèvres au bout de leurs trompettes et les baguettes qui résonnent dans les grandes caisses. C’est pourtant un jour particulier. Deux musiciens du Jazz at Lincoln Center Orchestra, archi-chevronnés, qui jouent ce jeudi soir à l’Olympia et qui sont en tournée mondiale jusqu’à mi-mars, sont de passage parmi eux. Marcus Printup, trompettiste, et son alter-ego saxophoniste, Walter Blanding, viennent de poser les pieds à Paris. « On arrive de New York, peut être qu’on ressent le décalage horaire, mais nous sommes heureux d’être là, avec les jeunes » clament les deux musiciens, souriants, souvent touchés par la grâce des élèves.

Ils se font face. Pendant deux heures, il n’y aura plus vraiment de grands musiciens ou de novices, tout le monde s’apprivoisera pour, enfin, s’écouter mutuellement, se raconter la musique telle qu’on l’entend, se montrer des gestes, faire entendre des respirations différentes. « Le souffle » souffle Marcus, à plusieurs reprises, comme une clef importante de la musique jazz. En face, on joue « When the Saints » de Louis Armstrong. Et puis, on écoute « Happy Birthday », toujours version Armstrong, pour entendre ce rythme de la Nouvelle Orleans, si atypique. « C’est le jazzman le plus connu du monde. Et c’est important d’écouter ceux qui ont fait la musique qu’on joue aujourd’hui, il faut aller à l’origine des choses. Pas ceux qui l’ont déjà imité » conseille Walter, du coeur. Il arrive un moment où le silence se fait entendre, où les mots peinent à s’afficher. L’un des jeunes s’explique : « J’attendais ce moment depuis longtemps. Donc là je suis intimidé ». Du tac au tac, Walter avec le geste décidé : « Dans la musique, pas besoin de mots pour se comprendre, faut juste se regarder ».
Les filles finissent par lâcher leurs trompettes pour chanter Pretty Hurts de Beyonce. Pretty hurts, we shine the light on whatever’s worst. Tout le monde les écoute attentivement. Perfection is a disease of a nation. Applaudissements. Pretty hurts, pretty hurts. MJ, animateur à l’espace jeunesse : « Culturellement, dans le 93, on est très proches des américains. Et là, on crée des passerelles ». Le temps à l’ambassadrice pimpante des États Unis, Jane Hartley, de venir dire un mot à chacun, encadrée par des colosses. Les élèves ne font pas vraiment attention aux visiteurs.
Ils ont, aujourd’hui, appris à respirer la musique autrement. Avant de partir, et d’inviter quelques élèves à venir les voir sur la scène de l’Olympia ce jeudi soir, les deux musiciens américains avouent « ne pas savoir vraiment où ils étaient pendant deux heures » quand on leur explique que la Courneuve est une des ces villes où les difficultés s’accumulent. Comme si la musique n’avait rien à voir avec tout ça. Un des élèves se réjouit : « Aujourd’hui, on a vu deux américains en vrai. D’habitude, ils sont dans nos télés ». Une autre range sa trompette soigneusement. Elle n’oubliera peut être jamais qu’il faut « faire des sons longs tous les jours comme une méditation » pour s’entraîner. Et continuer de faire du bruit.
Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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