Astor, Chérif, Issa, Demba, Nil, amis depuis l’enfance, s’approprient l’espace et tentent une manière de vivre en dépit du harcèlement policier. Une manière de résister entre barbecues improvisés, rodéos, musique rap ou techno et système D.

Une vie tranquille jusqu’à l’interpellation de trop, la mort de l’un des leurs. La lutte alors, loin d’étouffer, trouve son second souffle. Deux secondes d’air qui brûle (Editions du Seuil, 2022) est le premier roman de Diaty Diallo. Interview

Comment tu te sens depuis la parution de ton 1er roman qui se démarque parmi les publications de cette rentrée littéraire ? 

Dissociée ! Physiquement et mentalement. Il y a la Diaty qui a publié un livre, qui répond à des interviews et la Diaty qui continue sa vie. Ce livre, je n’ai même pas l’impression que c’est moi qui l’ai écrit parfois, c’était un moment de transe.

Je suis aussi assez angoissée quand il s’agit de parler du roman, car je ne veux pas décevoir les personnes qui m’ont fait confiance et dont j’admire le travail. Pareil, quand des personnes viennent m’écouter, ça me paraît tellement improbable. Je ressens aussi de la joie quand je reçois les invitations des camarades pour les Chichas de la pensée ou le BB !

Comment s’est passé la décision de publier un livre ? Passer sur le terrain de la littérature dont tu rappelles qu’elle reste un instrument de domination, un marqueur de classe ?

Longtemps, ça m’a filé des angoisses, mais j’ai cheminé et maintenant, je suis au calme avec ça. J’ai simplement fini par me dire qu’on n’allait pas leur laisser ça non plus, les laisser entre eux ! Il y a deux visions politiques : soit on occupe la place soit on créée la nôtre.

Quand t’es un corps dominé et que tu veux faire émerger une histoire, il faut aller là où tu as une force de frappe

Ces deux visions ne sont pas contradictoires, on peut les mettre en œuvre de façon parallèle. Je ne m’interdis pas d’agir sur d’autres terrains, d’utiliser d’autres formes. Par ailleurs, même si le monde de l’édition peut être élitiste et conservateur, il y a un retour d’intérêt pour la littérature et la poésie.

Ça se traduit par la création de nouvelles maisons d’édition, des revues, des festivals beaucoup plus alternatifs. Au final, quand t’es un corps dominé et que tu veux faire émerger une histoire, il faut aller là où tu as une force de frappe.

Ton écriture accorde une place importante au sensoriel. Dans la scène d’ouverture, on vit chaque sensation d’Astor, de ses premiers pas de danse aux gaz lacrymogènes. C’était essentiel dans ta démarche ? 

C’est très spontané. Ce qui m’intéresse, c’est d’aller au plus près des choses, de manière presque obsessionnelle, pour ensuite élargir la focale. Dans des versions antérieures du texte, j’avais des parties beaucoup plus développées notamment une description de la place qui n’en finissait pas. Finalement, il n’en reste qu’une ou deux phrases dans le roman. C’est ce travail qui donne de la crédibilité et de la texture au texte.

Par ailleurs, je ne peux pas décrire une sensation ou un geste que je n’ai pas expérimenté. Pour les scènes de danse, je me suis retrouvée à danser pour pouvoir exactement décrire les mouvements. Quel muscle chauffe, à quel endroit ça tire ? J’essaie d’être exhaustive dans les manières de décrire pour ensuite faire des choix.

S’agissant du visuel, le cinéma est une grande source d’inspiration. Quand je travaille sur un sujet, je commence souvent par regarder des films puis je lis de la théorie. Je fais de la photo et je vois vraiment les choses à travers un cadre.

Dans ton roman, les habitants créent les moyens de leur résistance, ils déploient un art de lutter. Peux-tu nous parler de la place de l’insurrection dans cette lutte ? 

Une manifestation politique qui se manipule avec précaution. J’ai eu un vrai questionnement à ce sujet et j’ai senti que ce n’était pas mon rôle d’en parler ouvertement dans ce roman, que je n’étais pas prête, pas légitime pour le faire.

Dans un épisode du podcast « And they still don’t know my name », la psychologue Malika Mansouri parle des révoltes de 2005 à travers le prisme de la santé mentale. Elle explique que les adolescents, qui ont participé aux émeutes l’ont souvent fait de manière spontanée, sans s’en rendre compte. Cela répondait à un instinct de survie, à quelque chose qui les dépassait.

Mettre le feu, c’était une façon pour eux d’externaliser celui qu’ils avaient en eux, une façon de ne pas devenir fou

Mettre le feu, c’était une façon pour eux d’externaliser celui qu’ils avaient en eux, une façon de ne pas devenir fou. L’insurrection remplit donc une fonction vitale. Cependant, je suis aussi très admirative et respectueuse du travail des comités de soutien aux victimes de violences policières qui appellent toujours au calme à chaque événement tragique. Mettre le feu, ne ramènera pas leurs morts.

Face aux violences policières et plus généralement au racisme en France, comment continuer à militer et à garder sa force créative ? 

Pendant le processus d’écriture, j’ai eu des moments de creux, notamment lors de l’agression de Michel Zecler à quelques jours d’intervalle d’une manifestation de personnes migrantes réprimée violemment.

J’ai craqué parce qu’à chaque nouveau fait, il faut remobiliser sa force politique pour résister, mais aussi remobiliser son amour de soi. Ces corps qu’on agresse sont ceux de personnes noires et à travers leurs corps, je vois le mien. J’en arrive à me demander si je suis bien une femme, si je suis bien humaine.

Aujourd’hui, on n’attend plus, on ne tend plus la main, on prend notre place

Le militantisme permet de s’organiser à plusieurs et de retrouver une dignité, de couper avec l’idée qu’il faut attendre qu’on nous donne quelque chose. Aujourd’hui, on n’attend plus, on ne tend plus la main, on prend notre place.

Certains livres écrits par les personnes issues des minorités semblent s’adressent à une classe dominante. Comme s’ils cherchaient seulement une validation. Comment as-tu évité cet écueil ? 

C’est le résultat d’un long cheminement. En tant que personnes racisées, on vit avec l’héritage de nos parents colonisés, qui ont appris à la fermer. Mon papa, par exemple, n’aime pas que j’aie l’air excentrique, que je parle fort.

Les nouvelles générations débordent beaucoup plus que celles de nos parents

J’ai aussi rencontré un père de famille algérien quand je travaillais à Créteil, un homme assez conservateur, il me disait ne pas comprendre la nouvelle génération qu’il trouve trop exubérante, trop bruyante.

Et c’est vrai, les nouvelles générations débordent beaucoup plus que celles de nos parents. On est français, on a nos cartes d’identité depuis ! Mon écriture reflète cette évolution et j’ai évité autant que possible tout ce qui était déclaratif, adressé.

Comment as-tu construit cette écriture, en particulier, la restitution du langage parlé ? Est-ce qu’il y a des mots, des tournures de phrase que tu t’es interdits ? 

Oui, à commencer par les mots que je ne comprends pas, qui ne sont pas dans mon vocabulaire. Sauf rares exceptions comme le mot « clepsydre » qui véhicule une poésie, quelque chose d’archaïque.

Une lectrice a laissé un commentaire assez énervé sur le site Babelio disant qu’elle trouvait la langue très cliché, qu’il y avait beaucoup trop de « wesh ». D’une part, ce commentaire montre la capacité des gens à se sentir agressés par cette langue. D’autre part, sur l’ensemble du roman, il y a seulement 8 « wesh » et 3 « ça dit quoi » !

J’ai surtout évité tout ce qui était déclaratif mais il y a quelques résidus, des phrases que les journalistes adorent me ressortir d’ailleurs

Tout mon travail a justement consisté à trouver une façon de restituer l’oralité à travers non pas tant des mots que des tournures de phrase, comme « purée, je l’avais pas vu, ça faisait depuis ». J’ai lu tellement d’horreurs où ce qui est dit oralement est écrit texto, ça ne fonctionne pas !

Comme je le disais, j’ai surtout évité tout ce qui était déclaratif, mais il y a quelques résidus, des phrases que les journalistes adorent me ressortir d’ailleurs ! J’aurais préféré qu’elles ne figurent pas dans le roman, ce sont celles que j’aime le moins et je ferais encore plus gaffe la prochaine fois !

Propos recueillis par Nassera Tamer

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