Le film de Jacques Audiard, actuellement dans les salles de cinéma, a reçu la très prestigieuse palme d’or. Entre réalisme et fiction, Dheepan parle du quotidien en France de migrants sri lankais. 
Alors que la question de l’accueil des réfugiés syriens et irakiens enflamme les débats politiques et médiatiques, le film de Jacques Audiard aborde la question de cet accueil en France. Il semble que certains discours politiques français et européens cherchent à diviser la population autour des problématiques de l’immigration et de l’identité, faisant appel à la terreur primitive de disparaître au profit d’un autre. Dans ce long métrage qui perd le spectateur entre éléments réalistes et fictifs, le film traite de la difficulté de l’intégration d’un individu dans une société où tout lui est étranger. Le spectateur, pleinement plongé dans la vie du réfugié, est invité à voir « l’autre côté » et se rend compte que la peur de l’autre, de « l’étranger », est ressentie dans les deux sens.
Le personnage principal Dheepan, (Anthonythasan Jesuthasan), se surprend à ne pas comprendre l’humour, outil pourtant indispensable à la communication et à la création d’un lien affectif qui permettrait de s’attacher et de se stabiliser. Quand un individu ne comprend pas la langue et les codes d’une culture, alors il se perd et ne ressent pas l’envie de s’y établir. Derrière le vendeur à la sauvette intrusif, car il veut vendre à tout prix, se trouve un homme complexe avec un parcours et un passé.
Souvent transparaît le mal du pays : les habitudes sont chamboulées et seuls restent les souvenirs. Bien que créateur de l’identité d’une personne, les souvenirs sont aussi destructeurs. Ils peuvent vite devenir une prison privant l’individu de toute possibilité d’intégration. Pour échapper à un quotidien violent, le désespoir fait prendre des décisions extrêmes et des risques à ces hommes et ces femmes en quête d’une vie meilleure. L’acte de fuir est avant tout une réaction biologique lorsque la peur devient trop intense. C’est pourquoi les trois personnages principaux, qui au départ ne se connaissent pas, vont former une fausse famille pour avoir une vie meilleure, quitte à refouler leurs âge et leurs désirs. Yalini, la fausse femme de Dheepan, (Kalieaswari Srinivasan), est âgée de 25 ans, mais sa nouvelle vie de femme mariée avec enfant la pousse à renoncer aux préoccupations et aux responsabilités qu’elle avait autrefois.
Une cité fantasmée
Est nécessaire dans cette famille créée de toute pièce, une double intégration : au sein de leur propre foyer d’abord, où chacun se cherche et s’adapte à son nouveau rôle puis au sein de l’environnement extérieur et du pays. Ils finissent par s’adapter, mais non sans une lutte contre eux-mêmes et contre les autres. Une belle métaphore pour exprimer toute la difficulté du phénomène d’intégration d’un individu dans un groupe. Le long processus d’intégration trouble l’identité de celui qui, brutalement déraciné, s’en retrouve vulnérable. Pour pouvoir interagir dans un nouvel environnement, il faut avoir des bases solides. Sauf qu’on ne guérit pas d’un déracinement, on vit avec. Le film pose également peu à peu la question de l’existence d’un meilleur pays d’accueil que la France. Et si la France ne donnait-elle pas les conditions nécessaires à tous les déracinés d’accomplir ce difficile processus qu’est l’intégration ?
Les conflits sont toujours présents dans la cité française fantasmée d’Audiard. Sous certains aspects elle ressemble plus à une terre pour tous les damnés de la société, tous ceux qui n’y trouvent pas leur place. Telles des gargouilles, les habitants de cette cité imaginaire se nichent sur les toits et y font régner une véritable terreur. C’est d’ailleurs ce qui pousse les personnages à vouloir quitter les lieux. Ils ont fui leur pays natal en guerre pour en connaître une autre, certes différente mais pas moins violente et usante. Se profile alors cette question : la France ne connaîtrait-elle pas finalement une guerre, une guerre d’idéologie et d’idées insupportables pour tous ceux qui ne veulent qu’être acceptés et vivre ?
Cécilia Gouttes

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