Djinn, « l’esprit », « le génie » en arabe, n’est pas son vrai prénom. « C’est extrêmement précieux de pouvoir se réapproprier son identité » remarque Jean-Loup Carrénard que son père, fan du photographe Jean-Loup Sieff, a ainsi prénommé. « J’ai commencé la vidéo par des clips de rap, et signer Jean-Loup, c’était pas possible ! » raconte en riant celui qui l’écrit désormais comme dans les contes arabes. « Djinn, c’était une révélation, un vrai coup de cœur, atteste Aïcha Bélaïdi qui a programmé Donoma aux Pépites du Cinéma 2010. Il a décomplexé les réalisateurs ».

Tourné à l’arraché avec une poignée d’acteurs bénévoles et motivés, Donoma reçoit vite les lauriers qu’il mérite : sélection au Festival de Cannes, tournée en festivals et à travers la France, buzz internet et médiatique et Prix Louis Delluc de la meilleure première œuvre. Djinn Carrénard tempère la voie qu’il a ouverte : « Cet espèce de label  »les gens qui font des films sans moyens » dissimule le fait que nous ne sommes pas un groupe monolithique. Nos attentes sont extrêmement différentes ».

Son second long-métrage, Faire L’amour, financé par le Centre National du Cinéma français (CNC), les chaînes Arte, Canal Plus et la région Languedoc-Roussillon, engage une prise de risque : « On dit toujours que le second film est plus dur parce que soit tu transformes l’essai, soit les gens considèrent que ton premier était un coup de chance ». D’abord produit par Realitism Films (Rubber, Wrong), le tournage démarre le 23 avril 2012 et s’arrête trois jours plus tard : « Je sentais que je n’étais pas dans la bonne configuration ».

Récupérant la production via sa société Donoma Guérilla, Djinn tournera entre Paris, la banlieue et Perpignan. À travers l’urgence d’une histoire d’amour entre un musicien devenant sourd et une détenue en permission, Faire l’amour aborde la perte d’inspiration lorsque l’on est dans de confortables conditions.

Né à Port-au-Prince (Haïti) en 1981 d’un père médecin et d’une mère professeur de Lettres, Djinn est le cadet et seul garçon d’une famille de trois enfants. Parti au Togo à l’âge de 11 ans, puis en Guyane à l’âge de 14 ans, Djinn n’a pas eu une jeunesse baignée dans l’art  : « J’ai grandi assez loin de tout univers artistique. À Kara, au Togo, il n’y avait pas de cinéma, à Saint-Laurent en Guyane, il n’y avait qu’une seule salle et même lorsque je suis arrivé à Paris à 17 ans, je n’avais pas pris le réflexe d’aller au théâtre ou au cinéma ».

Nourri par le cinéma grand public, les films de Spike Lee puis les cinéastes indépendants américains contemporains, Djinn évolue loin des grands réalisateurs et revendique ses lacunes. « Ne pas connaître ce qu’ils ont fait permet d’être original sans faire du pompage ». Son passage des Antilles en Afrique et à la métropole, il l’a vécu comme une prise de conscience de sa couleur de peau. « En Haïti, tu ne sais pas que tu es Noir. Au Togo, tu ne le remarques pas mais quand tu te retrouves parmi les expatriés, tu te rends compte que ce n’est pas pareil ». Lors d’une escale de quelques mois à Rueil-Malmaison (92) à l’âge de 13 ans, il découvre le racisme mais n’en prend pas conscience : « Je l’ai identifié comme quand tu es nouveau dans une classe et qu’on te charrie ».

Après un an passé sans problèmes dans un village normand, Djinn arrive en Guyane : « Il y avait du racisme, je comprenais ces stigmates, mais je devais quand même vivre ». Préférant s’intégrer plutôt que se murer, Djinn se sent aujourd’hui davantage Guyanais que Haïtien.

Elève « ric-rac, même en EPS », il s’oriente vers un bac L, « y avait que des littéraires à la maison ! » Puis suit le mouvement « automatique » de l’époque vers la métropole pour étudier la philosophie à La Sorbonne.

Délaissant ses études pour les salles de cinéma « illimitées », Djinn assiste à une réunion de La Fémis et comprend que sans pouvoir travailler à côté, mieux vaut ne pas postuler. Il crée alors l’association Diaph1kat avec une amie et se fait recruter par un copain pour réaliser des clips. Mauvaise expérience. Djinn décide de faire cavalier seul : « Je préfère voir ma faute dans un truc qui ne fonctionne pas qu’attendre quelqu’un et que ça foire ».

De là démarrent des films d’ateliers, un voyage à New York après le décès de sa mère, le tournage du court-métrage White Girl in Her Panty puis le projet Donoma et le succès qu’on lui connaît. Conseillant aux jeunes de « savoir faire des films sans moyens parce que l’industrie fluctue énormément », Djinn filme la banlieue de façon « intime » et « très nombriliste » (huis-clos, trajets, errances, squats chez des amis). Parce qu’elle est comme l’une de ses « identités », avec tout ce qu’il y a de compliqué et d’aimé.

Claire Diao

Pendant le festival Les Pépites du Cinéma qui a lieu du 12 au 21 octobre à Saint-Ouen et La Courneuve, Claire Diao vous propose les portraits de ceux qui filment la banlieue aujourd’hui et qui feront les réalisateurs de demain.

Lire le dossier :

Les Pépites du Cinéma

Akim Isker, cinéaste entre deux terres

Bonny Judicaël Annoman, cinéaste du dedans

Jérôme Maldhé, caméléon du ciné

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