Djinns (Grasset, 2023) raconte l’histoire de Penda : alors qu’elle vient d’être licenciée de la supérette où elle travaillait comme caissière, elle apprend que son ami Jimmy est interné en hôpital psychiatrique à la suite d’une garde à vue. Pour lui venir en aide, Penda se tourne vers Mami Pirate, sa grand-mère guérisseuse qui décide de l’initier à son art.

Au fil de cette initiation, Penda se confronte alors à son propre djinn et trouve la voie de son émancipation. Dans une langue vive qui passe en souplesse de la punchline à l’envolée poétique, Seynabou Sonko, également musicienne sous le nom de Naboo, nous offre une histoire faussement légère sur nos dualités et le pouvoir de l’imaginaire. Interview.

Comment te sens-tu quelques semaines après la parution de ton premier roman qui a été très bien accueilli ?

Ça va bien, le plus dur, c’était la première semaine et les premières interviews. J’essaie de jouer le jeu même si je constate que l’étiquette premier roman est souvent associée à l’autobiographie. Ce qui me rassure, c’est que mon livre est tellement jnouné, double et schizo que j’ai l’impression que la réception l’est aussi et qu’il touche aussi bien l’institution littéraire normative que ma communauté.

Comment l’écriture est arrivée dans ta vie et à quel moment tu as eu l’idée de Djinns ?

L’écriture a commencé par un traumatisme ! En CP, j’étais gauchère et hyper dyslexique. J’écrivais tout à l’envers, j’allais toutes les semaines chez l’orthophoniste. Encore aujourd’hui, l’écriture me rappelle l’enfant que j’étais et j’essaie de garder un rapport à l’enfance dans mon travail. Il n’y avait pas internet à la maison alors, j’écoutais en boucle des chansons de zouk ou de R&B pour pouvoir recopier les paroles et les apprendre par cœur, parfois sans même les comprendre !

J’ai commencé à beaucoup lire au collège grâce au CDI : Twilight, c’était une dinguerie ! Et un surveillant m’apportait aussi des livres, Bukowski par exemple. En les lisant, j’avais l’impression de faire quelque chose d’interdit. Même s’ils étaient écrits par des hommes blancs d’une autre époque et culture que la mienne, je me suis sentie proche de ces livres qui parlaient de pauvreté et de violence. L’envie d’écrire m’est venue à ce moment-là. J’ai commencé en imitant ce que je lisais à l’époque.

Après le Bac L, j’entame une Licence de lettres modernes à Paris 8 avec en tête l’idée que j’avais quelque chose à raconter à partir de mon vécu. Je suis partie étudier un an à Montréal. Je suis arrivée là-bas en plein hiver, je n’étais jamais partie si loin de chez moi. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire vraiment, des poèmes pas très bons d’ailleurs !

Après ma Licence, je repars un an à Bruxelles pour une formation en création littéraire. C’est seulement après ça que j’intègre le Master de création littéraire de Paris 8. Ces cadres m’ont permis d’expérimenter beaucoup de choses en termes d’écriture, je me suis autorisée à me tromper. C’est à la fin de la première année de ce Master que je tombe sur Djinns, ça a fait clic. J’ai travaillé sur ce roman pendant encore deux ans après le Master. J’avais beaucoup de matière, mais il fallait trouver une cohérence et une structure.

Peux-tu nous parler de Penda dont on suit les pas dans ce roman d’initiation ? Comment est né ce personnage ? Comment tu l’as incarnée par ton écriture ?

Penda, c’est une voix. En tant que chanteuse et musicienne, j’ai une attention particulière à la voix et à la justesse. J’imaginais Penda très bavarde, avec une voix aiguë, qui perce, qui couine, je me suis accrochée à ça.

Je me suis fiée à mes propres intuitions pour construire ce personnage. Je voulais mettre en scène l’expérience d’une femme noire et rendre cette expérience indiscutable. Pour moi, Penda, malgré sa position minorisée, n’est pas à la marge, elle est au centre de son monde et elle est son propre centre. Pour cela, je ne pars jamais d’un grand thème, mais j’utilise ma propre sensibilité. En écrivant à partir de plein de petits motifs, je suis convaincue que la partie immergée de l’iceberg va émerger pendant l’écriture.

Dans Djinns, il est beaucoup question du monde invisible et de son impact sur la trajectoire des personnages. J’ai aussi relevé une importance donnée aux vibrations : le chant de Mami pirate, le roucoulement des pigeons, la scansion d’une sourate du Coran… Tu peux nous en parler ?

Oui, je ne l’ai pas forcément conscientisé, mais je suis attentive aux vibrations intérieures, aux fréquences énergétiques. Par exemple, je fonctionne à l’intuition, ces choses qu’on ressent sans forcément pouvoir les expliquer. Un djinn, c’est ça aussi : une aura, une vibration, une énergie.

Pour la construction du personnage de Jimmy, je me suis inspirée de personnes, parfois proches, qui semblaient souffrir d’une maladie psychiatrique, mais dont on disait aussi, de manière qui peut sembler moins rationnelle, qu’elles étaient victimes de sortilèges, qu’elles étaient possédées. Cela m’a renvoyée à la schizophrénie identitaire, le point névralgique du roman, à la question d’être double qui me traverse également.

Mon idée avec ce roman, c’était de réussir à tout prendre ensemble, comme sur un skate : il te faut les deux jambes pour pouvoir avancer.

Ton roman aborde des sujets durs comme la maladie mentale ou la pauvreté et pour autant il y a quelque chose de ludique et de lumineux qui s’en dégage. Comment as-tu réussi à faire cohabiter tout cela dans ton écriture ?

Pendant la phase d’écriture, je suis passée par plein d’états émotionnels. Aborder la question de la pauvreté n’a pas été facile. C’est la raison pour laquelle j’ai aussi voulu m’amuser et penser l’écriture comme un jeu. Je crois que c’est ce qui explique les passages drôles et légers du roman, son côté optimiste aussi.

S’agissant de la pauvreté, on m’en parle très peu en interview, mais effectivement Penda l’héroïne du roman est une femme noire queer, mais pauvre aussi ! Cette réalité est vécue par beaucoup de gens. Je voulais la montrer à travers des images poétiques sans pour autant la rendre glamour. Pour conclure, rester pirate, c’est peut-être la solution !

Propos recueillis par Nassera Tamer

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