A 30 ans, Doudou, Jessy de son vrai prénom, est une artiste accomplie. Tombée dans la potion du graffiti assez jeune, elle en a aujourd’hui fait son métier. Son carnet de commande ne désemplit pas. Parmi ses clients : Roland Garros. Rencontre.

Elle sort de la bouche du métro avec une jupe courte et des baskets violettes, le sourire aux lèvres, bien dans son élément en cette journée ensoleillée. Pendant que nous marchons pour discuter de notre futur interview, nous croisons un groupe de policiers avec des uniformes qui indiquent que ces messieurs ne sont pas là pour faire la circulation, ils ont manifestement un certain grade. Doudou dévie de sa trajectoire et se met en position « garde à vous » devant l’un d’entre eux et éclate de rire. Après un échange de vannes respectueuses, un des policiers lui fait signe qu’il la garde à l’œil et lui dit tout naturellement « toi je t’adore ». Cette graffeuse est détonante, c’est le moins qu’on puisse dire. Elle me propose d’aller directement dans son atelier au Pavillon des artistes, dit le Pavtar, à Saint-Denis pour réaliser l’interview dans son fief. Nous devions juste nous voir pour faire connaissance et parler du futur article que je ferai sur elle, mais pas la peine de résister, Doudou m’a entrainé dans sa bulle.

1044684_10151695860901162_1970714971_n1044684_10151695860901162_1970714971_n« En Italie, au meeting of styles, les organisateurs avaient préparé un mur juste pour les filles. C’était dommage de nous parquer comme ça. J’ai montré mon mécontentement et on m’a dit que c’était pour nous mettre à l’honneur, pour montrer qu’on pouvait faire aussi bien que les hommes. Mais pour moi le combat de la femme il doit se faire en situation avec les hommes, sinon c’est faussé. »  Doudou est pourtant loin d’être une féministe engagée. Elle veut simplement que tous les graffeurs puissent partager leur passion sans aucune barrière. Et si on l’en empêche il ne faudra pas se fier à son apparent caractère de fille ultra cool qui rigole en moyenne cinquante secondes par minute, car elle sortira les griffes. Ce n’est pas un hasard si son animal préféré est le panda : comme lui elle dégage une force tranquille qu’il ne faut pas sous-estimer.

Doudou lightpaintingJessy alias Doudou a grandi à Dammartin-en-Serve dans le 78, à côté de Mantes-la-Jolie. Dès ses cinq ans elle reproduit tous les dessins qui lui tombent sous la main. Les années passent et ce qui était un jeu d’enfant devient de plus en plus un besoin d’expression : elle analyse maintenant ce qui l’attire dans la forme esthétique mais aussi dans la puissance d’évocation des dessins qui lui plaisent. « Ma première influence c’était les mangas. J’adorais les formes, les ronds et les dégradés de couleur. Et quand j’étais jeune les meufs dans les mangas elles étaient archi bonnes, avec une exagération des formes mais aussi une harmonisation des traits qui me fascinaient. »  Après le bac elle s’inscrit dans une prépa d’art appliqué à Paris, rencontre de nouvelles personnes et élargit logiquement son champ de compétence. « Au passage du feutre à la bombe je faisais pas des traits de fou mais je m’en sortais pas mal. Ça m’a encouragé à continuer parce que je ne savais pas ce que je voulais faire comme taf. »

1899314_10152239731391162_2035362696_oC’est à ce moment que Doudou trace le chemin qu’elle prendra en tant que graffeuse. Le vandale (graffer ou taguer dans la rue sans autorisation), ça ne la fait pas vibrer plus que ça. « C’est tout simple, je suis une lopette et j’assume ! Non, surtout j’aime travailler avec la vie des gens qui sont autour de moi, rigoler, prendre des pauses. Graffer sans prendre le temps de kiffer ça ne m’intéresse pas. Les puristes ils peuvent me dire que je suis pas un vrai graffeur parce que j’ai pas vandalisé. Mais moi je privilégie les liens que je noue avec les gens que je rencontre en graffant. » Du coup Doudou se lance très rapidement dans le graff avec l’intention d’en vivre. Elle commence en faisant de la peinture sur tissu pour des tee-shirts, arpentant les brocantes, les marchés de Noël, les Puces… Son travail se forge avec un premier collectif, la WFC (Wilde Familya Crew). Et rapidement le graff pour réaliser des décorations de boutiques ou chez des particuliers s’avère assez lucratif. Elle se spécialise dans cette activité et depuis maintenant trois ans elle possède sa propre entreprise, Feel’ink Custom, spécialisée dans la décoration et l’animation d’atelier graffiti pour des jeunes de huit à seize ans. Ses derniers gros clients : Roland Garros pour une fresque évolutive pendant le tournoi, la Cité des sciences, la Japan expo… Les projets s’enchainent bien. « Si je pouvais avoir une assistante ça m’aiderait, parce qu’entre les prises de contact, les devis, le matériel, organiser l’atelier, les factures, le site internet… Je travaille tout le temps ! C’est un kiff mais ma vie sociale je l’oublie pour l’instant. »

Son atelier se situe en ce moment au Pavillon des artistes, un squat à Saint-Denis regroupant plusieurs artistes et techniciens qui agissent pour la création d’espaces culturels autogérés. Avec Doudou, c’est toujours un grand bordel organisé : du matériel éparpillé un peu partout, un ami qui squatte son bureau pour draguer une fille sur internet, des croquis qui traînent… mais surtout des toiles qui dégagent une beauté assez brute pour nous rappeler que sans tout ce bordel elle n’existerait pas. Pour l’artiste, évoluer dans un squat est une chance. Après avoir vécu six ans dans un appartement bien rangé, elle se retrouve au BLOC (Bâtiment Libre d’Occupation Citoyenne) dans le 19e : sept étages, quatre sous-sols, environ deux cents colocataires…c’est sûr ça change. Aujourd’hui Doudou vit à Asnières mais le fait d’avoir son atelier au Pavillon des artistes est un plus pour son travail. « Les squats m’ont fait évoluer, c’est une nouvelle forme d’ouverture qui a eu un impact sur mon taf. Et c’est un réseau de malade. »

Doudou vient d’avoir trente ans. Elle continue son aventure avec un nouveau crew (équipe), le 2AC (AnArtchik crew) et se projette avec une entreprise où chaque membre aurait sa propre discipline pour monter des événements de grande envergure. Un mélange avec tous les corps de métier liés au graff. En ce moment elle travaille aussi avec le photographe Alex Perret, un baroudeur qui a sillonné l’Inde, la Palestine, Israël… Doudou réinterprète ses photos et dessine par-dessus, modifiant la forme pour donner une nouvelle puissance d’expression à l’image. Toujours rechercher l’évolution, progresser, être en mouvement, c’est comme cela qu’elle aime travailler. Son rêve récurrent : elle est en haut d’une grande montagne et contemple le monde. Mais la politique, les médias, ce n’est pas le monde qui l’intéresse. « Moi je suis dans ma bulle, je suis dans le ressenti par rapport à la bombe et l’amour de l’art brut. Bien sûr je suis sensible au monde qui m’entoure, c’est ma principale source d’inspiration. Mais c’est pas le monde d’un JT ou des médias en général qui va m’inspirer ça c’est évident. ». Heureusement pour nos yeux.

Nathan Canu

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