Entre les rayons des romans et des essais, une tête ne vous reviens pas ? Il se pourrait bien que votre libraire habituel ait été remplacé par un « volant ». Depuis 2017, l’Île-de-France expérimente un service de remplacement à destination des commerçants du livre. Actuellement, 17 « libraires volants » sillonnent la région afin de remplacer ou donner un coup de main à un collègue dans le besoin. L’histoire d’une journée -ou plus si affinités.

« En octobre dernier, une offre en CDI s’est présentée à moi « , confie Adrien, en poste depuis le début d’année à la librairie Folies d’Encre de Saint-Denis (93). « Mais la formule des ‘Libraires Volants’ m’intéressait plus. J’aimais l’idée de voir plusieurs librairies et différents endroits de Paris« , poursuit le trentenaire.

Le tour des librairies en quelques jours pour suppléer des libraires en difficulté pendant la pandémie

En cinq mois, Adrien a déjà rendu service à sept librairies franciliennes. Après les Folies d’Encre, il filera vers d’autres aventures, où un autre CDD d’un mois l’attend. « C’est ma seule activité professionnelle. Pour le moment, j’arrive à en vivre« , soutient-il, comblé.

Même tonalité pour Mélissa*, qui est venue grossir l’équipe des Pipelettes à Romainville (93). « C’est un système que j’ai choisi car il était adapté à mes contraintes personnelles ». Elle passe deux jours par semaine dans cette ville de la Petite Couronne, et vole ensuite à Clichy (92) ou dans le onzième arrondissement de Paris, selon la demande. « Mère de deux enfants, je voulais passer mes samedis en famille. Cela serait impossible dans le cadre d’un autre contrat« , explique-t-elle.

Mélissa a intégré l’équipe des Libraires Volants en décembre 2020, après une reconversion professionnelle réussie un an plus tôt. « C’était une période difficile pour les libraires car c’était à la fois la réouverture après des semaines où ils faisaient office d’entrepôt – ils étaient littéralement sens dessus dessous- et la période de Noël. Du coup, j’ai beaucoup volé« , plaisante-t-elle.

On peut être un excellent libraire mais un mauvais libraire volant. 

« Les libraires volants ont un profil un peu particulier. Je crois qu’il faut être un peu joueur. Le but est qu’au bout d’une heure, les clients aient l’impression que le volant est là depuis une éternité. On peut être un excellent libraire mais un mauvais libraire volant« , analyse avec espièglerie Leslie Vega, leur directrice.

« Après la fermeture des magasins Virgin en 2013, une étude a été réalisée pour comprendre les besoins des libraires indépendants. Il en est remonté qu’ils avaient cruellement besoin d’un coup de main, sans pour autant cocher les cases d’un contrat à mi-temps« , explique celle qui fut la première des « volantes ». Leslie Vega continue de mettre ponctuellement la main à la patte. « On vient surtout en aide aux petites structures, celles qui ne comptent que deux ou trois libraires« , précise-t-elle.

Après le confinement, je pensais qu’on allait mettre la clé sous la porte. En réalité, on a repris l’activité sur les chapeaux de roues. 

Basé sur le modèle du service de remplacement pour les agriculteurs -lancé dans les années 1970-, l’association Les Libraires Volants a récemment reçu l’agrément de groupement d’employeurs Paris Culture. « Après le confinement, je pensais qu’on allait mettre la clé sous la porte« , confie pourtant sa directrice. « En réalité, on a repris l’activité sur les chapeaux de roues« . Le service compte à présent 51 librairies adhérentes dans la région.

De l’autre côté du comptoir d’un métier difficile

« Le service assure au libraire un confort de vie. Il ou elle peut avoir un vrai week-end avec sa famille par exemple. Il peut poser des jours de congés sans avoir peur que la masse de travail retombe sur ses collègues« , assure Leslie Vega.

Habituellement, on est toujours réticent à l’idée de poser nos jours de vacance par peur de l’impact que cela pourrait avoir sur notre chiffre d’affaires. 

C’est à cause de ce « métier un peu dingue » que la librairie Folies d’Encre de Saint-Denis a récemment souscrit aux Libraires Volants. « Nous en avons entendu parler grâce au bouche à oreille. Dans le métier, on disait que le service fonctionnait très bien« , affirme Laure-Marie Legay, chargée du rayon littérature. « C’est un service plus que sympa : c’est utile. Habituellement, on est toujours réticent à l’idée de poser nos jours de vacance par peur de l’impact que cela pourrait avoir sur notre chiffre d’affaires », souffle-t-elle. Depuis le début de l’année 2021, Adrien leur permet de respirer un peu.

« On refera appel à lui en avril, pour nous permettre de faire une petite pause. Sinon, on ne va pas y arriver« , craint-elle. Surtout que le secteur de la librairie est « le commerce indépendant le moins rentable« , signale Emilie Grieu – la gérante des Pipelettes. Un équilibre financier sur le fil auquel s’ajoutent la fatigue et les tâches éreintantes. « On a mal au dos!« , martèle Emilie. « C’est le mal des libraires. Ce métier est constitué à 20% de conseil et 80% de cartons », juge-t-elle. « C’est un métier crevant, un métier dur », souffle également sa consoeur de Saint-Denis, bien loin de « l’image d’Epinal » que les profanes peuvent en avoir.

« Je reçois beaucoup de C.V de personnes qui, passé quarante ans, aimeraient se reconvertir parce qu’ils aiment lire. Cela a toujours été le cas, mais c’est très marqué depuis un an« , signale Emilie Grieu.

En 2020, le terme « librairie » aura effectivement fait couler beaucoup d’encre. Par le biais de tribunes, pétition ou tweets, nombreux ont sollicité l’ouverture des points de vente de livres lors des premiers et second confinements, consacrant les librairies comme sanctuaire de la Culture en France. Peu ont en revanche écouté les principaux concernés.

 


« Dans un premier temps, on ne voulait pas ouvrir« , se rappelle effectivement Emilie Grieu. « Nous n’étions ni  équipés ni préparés. Il était hors de question de mettre les clients et les salariés en première ligne« .

Des conseils par téléphone pénibles pour tout le monde

Les transformations du métier liées à la crise sanitaire ont confirmé l’engouement pour les Libraires Volants car désormais les professionnels « passent un temps monstre à préparer les commandes Click and Collect », remarque Laure-Marie Legay. Plus difficile à comptabiliser, la distanciation sociale a également entraîné une dématérialisation des échanges. « Imaginons que je vous tende un livre« , illustre Emilie Grieu en empoignant un essai inédit qui traîne sur son bureau. « Il y a l’argumentaire mais il y a également les étoiles dans les yeux du libraire. Bon bah là, le message passe en moins de trois minutes. Faire du conseil par téléphone ou par mail, cela prend trois fois plus de temps« , débite-t-elle.

« Le souci avec la généralisation du Click and Collect, c’est que cela transforme le métier en préparateur de commande« , lâche Luc Pinto Barreto, le Dealer de Livres de Saint-Denis (93). En début d’activité, après l’ouverture de sa librairie-conteneur sur la parvis de la gare fin septembre, les projets de Luc ont été arrêtés net. Et bien qu’en moyenne le secteur de la librairie fait office de miracle économique -avec un recul du chiffre d’affaires en recul de seulement 3,3% par rapport à 2019, ce chiffre cache de grandes disparités selon le Dealer de livres. « Je travaille à mi-temps aux Folies d’Encre depuis le mois de février. Cela me permet d’avoir un revenu fixe« , glisse-t-il.

« J’espère qu’on pourra organiser cet été des rencontres dans l’espace public car moi, ce qui m’intéresse, c’est d’aller à la rencontre du public. Ne pas attendre que l’on vienne à moi. J’avais trois événements prévus en octobre dernier. Ils ont tous été annulés », déplore-t-il.

Aux Pipelettes également, on chérit la chaleur humaine. Entre deux blagues avec Mélissa, Emilie Grieu constate : « mine de rien, avec les libraires volants, je passe plus de temps en surface de vente et moins dans mon antre à soulever des cartons. Être à plusieurs, cela contribue aussi à l’ambiance au travail« . Chaque nouvelle librairie adhérente au système de “libraires volants” reçoit la visite de Leslie Vega pour comprendre les attentes des commerçants et analyser leur personnalité. « C’est dur de croire que l’on se connaît depuis à peine un mois« , hallucine-t-on du côté de Romainville, tout en entamant une chanson.

Les libraires volants apportent un joyeux bordel, mais dans le bon sens du terme. 

« Les libraires sont souvent entre quatre murs« , souffle Leslie Vega. « Les libraires volants apportent un joyeux bordel, mais dans le bon sens du terme« , s’exclame Emilie Grieu. « Mélissa, par exemple, nous a fait une mise en place hyper pêchue alors qu’on a vite tendance à être ancré dans une sorte de quotidien« , décrit-elle. « On apporte aux libraires, un autre regard sur le métier. C’est notre plus-value, plutôt que d’arriver en mode pompier…« , glisse Mélissa.

Un rapport intime avec la clientèle en Seine-Saint-Denis, moins pourvue en France

A l’échelle du département de la Seine-Saint-Denis, l’initiative des Libraires Volants ne fait pas figure d’exception en termes de solidarité collective. Avec les « copains du 93« , les échanges se font sur Whatsapp. « On s’est beaucoup soutenu quand certains étaient en train de péter les plombs pendant la crise sanitaire« , confie Emilie. Le site Libraires 93 qui permettait jusqu’alors de réserver un ouvrage en ligne, offre maintenant l’opportunité de régler ses achats à l’avance. « Un site marchand chacun, nous aurait couté une fortune« , signale la gérante des Pipelettes.

Toutes ces initiatives ont permis aux librairies indépendantes de Seine-Saint-Denis de maintenir le cap en 2020. « Sur les Grands Boulevard à Paris ou à La Défense, les libraires rigolent beaucoup moins« , imagine Emilie Grieu. Les lecteurs qui faisaient leurs emplettes sur leur temps de pause déjeuner se sont rapprochés de leur librairie de quartier -télétravail et confinements oblige. « On a reçu un soutien de dingo de la part de la clientèle« , tient-elle à préciser. « Et j’ai même quelques nouveaux clients qui ne connaissaient pas notre existence!« .

J’avais lancé un appel sur Facebook pour m’aider à déplacer les livres dans la nouvelle boutique. 50 clients se sont finalement pointés pour donner un coup de main ! 

Pour Leslie Vega, auparavant libraire à Limoges, il y a en banlieue parisienne « un rapport quasi intime avec la clientèle« . Aux Pipelettes, adhérente aux Libraires Volants depuis 2017 à l’occasion de leur déménagement pour un local plus grand, on en garde un souvenir ému. « Pendant trois mois, j’ai dû gérer deux endroits différents. Ce qui explique peut-être mon burn out« , introduit-elle, ironique. « J’avais lancé un appel sur Facebook pour m’aider à déplacer les livres dans la nouvelle boutique. 50 clients se sont finalement pointés pour donner un coup de main ! Quand ça ne va pas, on repense aux clients : cela fait retomber la pression. Je ne sais pas si c’est typique au 93 mais c’est exacerbé en tout cas« .

À l’échelle de la région, 75% des librairies sont concentrés à Paris intra muros, selon un rapport du Centre d’observation du commerce, de l’industrie et des services en Île-de-France publié en janvier 2020. Ces dernières années -à l’instar du conteneur de Luc Pinto Barreto- de nouvelles librairies de quartier fleurissent dans le département. « Il y a peu de librairies mais il y en a plus que jamais« , rétorque Emilie Grieu.

Un esprit village qui rend fier les commerçants du département. « On veut tous au fond casser les clichés qu’il y a autour de ce territoire, qui est bien loin de ‘l’image à la TF1’ qu’on peut en avoir« , pour Emilie. Avec seulement 22 librairies indépendantes -dont deux spécialisées : l’une dans la bande dessinée, l’autre dans la littérature jeunesse- le département reste l’un des moins pourvus de France.

* Le prénom a été modifié. 

Méline Escrihuela

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