ILS FILMENT LA BANLIEUE. Ancien basketteur professionnel, Fara Sene, 40 ans, sort aujourd’hui son premier long-métrage, Être, film choral sur plusieurs personnages en pleine crise existentielle. Portrait.
« J’ai fait ce film comme les rappeurs font des morceaux. Mon thème, c’est l’être humain », explique Fara Sene dont le premier long-métrage Être raconte plusieurs destins croisés : celui d’un flic au bout du rouleau (Bruno Solo), d’une fille adoptée déboussolée (Djena Tsimba) et d’un ancien détenu en quête d’un meilleur niveau de vie (Salim Kechiouche). Marqué par le film Collision de Paul Haggis, Fara Sene voulait faire un film choral, ce genre « qui reflète le mieux notre société et correspond à tous les gens que j’ai rencontrés dans ma vie ».
Les vies, Fara Sene en a eu beaucoup. Né à Beyrouth (Liban) en 1975, il grandit dans la région de Nantes (44), cette « super ville étudiante largement en avance sur Paris : à l’époque, les chômeurs ne payaient pas les transports ». De sa famille, nous ne saurons rien, seulement que « ce n’est  pas grâce à elle que je fais du cinéma, ni à rien d’ailleurs : je me suis fait tout seul, comme un grand ».
De son enfance « inutile » (« quand j’étais petit, je rêvais d’être adulte »), Fara Sene se souvient avoir été un « mauvais » élève (« pas parce que je n’avais pas les capacités, mais parce que ça ne m’intéressait pas »). Le système scolaire, il le quitte en 1ère S après un cours de maths qui lui fait un mal de tête mémorable. « L’école est mal conçue, généraliste et n’est pas adaptée à la vie d’adulte que les enfants auront », explique-t-il en précisant que les élèves ne sont pas assez valorisés et manquent de confiance en eux. « Quand on travaille dur, on y arrive ».
Sorti des études, Fara Sene travaille çà et là, enchaîne plusieurs bêtises et, réalisant que cela ne mènerait nulle part, cherche une alternative. « La seule chose que je savais faire, c’était le basket ». Du jour au lendemain, il s’entraîne quotidiennement, signe dans un club nantais, joue en deuxième division et passe son diplôme d’État d’entraîneur — pour lequel il obtient la meilleure note de sa promotion (« quand quelque chose m’intéresse, je fais tout pour y arriver », avoue-t-il en souriant). Sa condition physique d’antan le rattrape peu à peu : après plusieurs blessures et déceptions (« je déteste l’incompétence »), Fara Sene arrête le basket.
« Le cinéma, c’est comme un sport collectif»
La suite se déroule du côté de Paris où un ami à lui réalise des clips. Créant la société 4Lim Productions, Fara Sene songe à devenir acteur et écrit six longs-métrages qu’il adapte ensuite en courts. Son premier, Le temps d’un battement de cils, avec Lucien Jean-Baptiste et Max Morel, remporte le Prix du Jury et du Public du festival FIFCM en 2006. Son deuxième, Libre arbitre, dépasse les 30 000 vues sur Dailymotion en 2007. Voulant aller à l’assaut du septième art, Fara Sene débarque à Cannes avec un costard et une mallette de DVD. Il serre des mains, fait des rencontres, mais regarde surtout les films des autres. « C’est là que j’ai vu que les films d’amour cartonnaient ». Tant que tu respires, son troisième court-métrage en sera donc un. Suivi, un mois plus tard par Jeu de société, diffusé sur BDM TV.
De 2008 à 2010, c’est le carton plein. Tant que tu respires est primé dans plusieurs festivals français, obtient le Prix Images de la Diversité, le Prix Qualité du CNC, et lui permet de rencontrer la société Cinétévé qui produira Être. « Le cinéma, c’est comme un sport collectif : le président du club, c’est le producteur ; le réalisateur, c’est le coach ; les joueurs se sont les acteurs et les techniciens. Chacun apporte ses compétences ».
Pour ce fan des Évadés, de Usual Suspects et des Affranchis, le cinéma français est « une vieille pute qui couche toujours avec les mêmes amants plutôt qu’avec de jeunes vigoureux ». Milieu fermé ne parlant que de « bobos », ce cinéma fait du peuple un « cliché » et est représentatif, pour Fara Sene, de la France : « ce n’est ni en fonction de tes compétences, ni de ton savoir-faire ou de ton talent que tu y arrives, mais en fonction de ton ADN ou de ta lignée ».
Lui qui habite aujourd’hui à Alfortville (94) considère que la plupart des gens en banlieue sont comme tout le monde — « travaillent, sont parents, aident à faire bouger la France » —, mais bénéficient d’un traitement médiatique cliché : « je n’ai jamais vu plus de violence ou de trafic de drogue en banlieue qu’ailleurs. C’est partout pareil ! Si la France veut du respect, il faut qu’elle respecte ses enfants ».
Alors, pour la filmer, Fara Sene la regarde comme « n’importe quel endroit » et aspire à impulser de l’émotion, de l’action et de la réflexion, « parce que le cinéma sert à parler des gens qui sont vrais, pas à les enfermer dans des images pseudo-clichées ».
Claire Diao
Être de Fara Sene – 2015 – France — 1h24 – Avec Bruno Solo, Salim Kechiouche, Djena Tsimba…
Sortie nationale le 10 juin 2015
Crédit photo : Marianne Grimont

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