« Moi, j’essaie pas de tout dire sur le bon morceau. Non, j’essaie d’être bon sur tous les morceaux » rappe Black Kent en guise d’introduction de ses Morceaux d’un homme, un deuxième album plus mature car plus personnel. Avant sa montée sur la scène parisienne du Trac, nous avons reconstitué le puzzle de Franck Kacou, l’homme derrière le micro.

Comme beaucoup de rappeurs, Black Kent raconte qu’il « revient de loin ». Dans We Love Black, l’artiste estime qu’il est parti de rien. « Je suis né en Côte d’Ivoire puis j’ai déménagé au Kenya pour ensuite atterrir à Bordeaux. On est loin des lieux où les yeux du rap sont braqués », explique-t-il. En 1994, le premier album de Notorious B.I.G., Ready to die, lui offre sa première claque auditive. Grand-père était poète, petit-fils sera rappeur.

Ayant résidé au Kenya, pays africain anglophone, Black Kent a baigné dans deux cultures : « Je me surnomme ‘l’Américain du bled’, ça me représente bien ». L’influence des États-Unis est telle qu’en 2009, le rappeur a repris entièrement l’opus Tha Carter III de Lil Wayne. Il réitéra l’expérience en 2014, en publiant The College BlackOut, reprise du classique de Kanye West. « Ces deux albums font partie de mon top 5. Reprendre intégralement un disque, c’est du travail, c’est original ».

Certains accusent le « Boy Black » de se tourner les pouces. Pourtant, avec une dizaine de projets depuis 2007, on ne peut pas dire qu’il chôme : « Je suis en studio non stop, des pulsions me font écrire, cracher ». Son mode de vie n’a d’ailleurs pas toujours été accepté par ses proches. Dans son plus grand succès, Il m’a dit, l’homme traitait de sa relation avec son père. Parce que l’industrie musicale est une jungle, Blacky doit assurer, rassurer. « C’était chaud au début car j’étais en France pour finir mes études, pas pour rapper. J’ai du tourner le dos à mes parents, leur prouver que j’étais sérieux. Il a fallu qu’on les pousse à écouter mes sons » avoue-t-il.

Des morceaux parfois rappés dans la langue de Shakespeare. En effet, en 2010 a été publié Yes I Kent, une mixtape ambitieuse qui n’a pas été compris. « Faire un projet en anglais était un rêve de gamin. Tous les rappeurs français ont le même. J’aurais du prendre plus d’élan, plus de temps », analyse-t-il, bien qu’il ne regrette rien. Après cet échec, Black Kent a du repartir à zéro. En 2012, il devient « Vendeur de rêves », titre de son premier album officiel. Grâce à celui-ci, il a l’honneur d’être invité dans Planet Rap, émission phare de la radio Skyrock, mais n’entre pas en playlist. Le succès n’est finalement que d’estime. Alors le rappeur disparaît, travaille dans l’ombre pour d’autres chanteurs comme Tal, M. Pokora, Matt Houston, Sheryfa Luna. Autant d’artistes critiqués malgré leurs nombreux tubes.

« Allez leur dire que mon producteur c’est K-Maro. Que les les hypocrites et les frustrés se calment, quel rappeur peut dire qu’il veut pas le succès de Shy’m? », clame Black Kent pour annoncer sa signature chez Universal en 2014. Si cette citation peut étonner, le rappeur préfère assumer : « K-Maro a une vision, il est a la tête de mon label. Il n’est pas derrière les manettes mais suis ce que je fais ». Rassurez-vous, ‘Une Femme like you 2.0′ n’est pas en préparation. Mais un classique de cette envergure ne se refuserait pas.

Parce que l’estime ne paye pas, Black Kent a souvent cherché la collaboration avec les rappeurs à la mode afin de prouver qu’il pouvait rivaliser. « J’étais frustré à l’époque. Maintenant, si je chante avec Youssoupha et Soprano c’est parce que je les admire ». Vendeur de rêves est devenu homme, comme il le dit lui-même. Celui qui se voyait comme Bart Simpson ne rit plus jaune. Même si beaucoup le considèrent comme le rappeur français le plus sous-estimé, il voit le verre à moitié plein : « J’aimerais savoir ce que ça donnerait si on me mettait devant les yeux de tout le monde mais je suis content de ma situation car cela me permet d’avoir un lien particulier avec mon public ». Un public très présent sur le continent africain. Les vues sur Youtube ne démontrent pas tout. L’homme retourne « au bled » six à sept fois par an et rentre toujours la boule au ventre.

En attendant que les médias relaient son œuvre (qu’il voit comme une part de vie), Black Kent laisse vivre Franck Kacou, un mari et un père de famille depuis le 18 Mars 2015, titre d’ouverture de Morceaux d’un homme. Dans ce dernier, sorti en Janvier, l’homme se confie quitte à dérouter parfois son public plus habitué à le voir « kicker ». Pour le meilleur et pour nous est une déclaration d’amour à sa femme. C’est sur cette chanson qu’il a fait sa demande en mariage le soir de ses trente ans en mai dernier. « Il y a un rapport particulier entre le rap et l’amour, un manque de sincérité alors que nous en avons besoin » estime celui qui ouvre son cœur dans ce disque.

À la fin de ses 19 morceaux, Black Kent fait part de ses doutes en s’adressant à son public. Seras tu là? Une question laissée sans réponse jusqu’au 11 Mars, première date de son Tour d’un homme. Sur scène, un DJ, un pianiste et un rappeur qui a laissé son cardigan au vestiaire afin d’enfiler sa plus belle chaîne en or. Visiblement ému, l’homme remerciera à de nombreuses reprises ce public qu’il n’espérait pas aussi nombreux. Un concert dans une petite salle pleine vaut mieux qu’un Stade de France vide. « Azeulai » (à l’aise) derrière un micro comme l’indique le titre de son single, Black Kent semble perdre aussitôt tous les doutes qui le rongeaient. Les titres s’enchaînent, le public majoritairement masculin récite les paroles par cœur. Le chanteur Singuila vient épauler son ami sur le duo Comme avant.

« Si vous avez aimé, parlez-en autour de vous. Dites aux gens qui sont partis qu’ils peuvent revenir, que notre moment viendra. Les autres ont trop de mal à me mettre dehors » conclue Black Kent après plus d’une heure de « communion ». Avec son album, la tournée et un autre disque en préparation, l’homme prouve qu’il ne lâchera jamais le morceau.

Oumar Diawara

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