Freda est le premier long-métrage de la réalisatrice et actrice haïtienne Gessica Généus. Le film raconte l’histoire d’une famille haïtienne vivant à Port-au-Prince en proie aux maux d’une société défigurée. Trois femmes campent les personnages principaux : la mère Janette interprétée par Fabiola Remy et les deux sœurs, Freda – le personnage central- illuminé par Néhémie Bastien et Esther jouée par Djanaïna François. Ces trois femmes survivent à leur manière dans la capitale où 60% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour.

Une jeunesse politisée malgré tout

Freda continue ses études tout en ayant à cœur de se battre pour l’avenir de son pays. La jeune femme a bon espoir que la situation s’améliorera dans un pays toujours rongé par la corruption et la violence. Une situation qui ne s’améliore d’ailleurs pas depuis le séisme de 2010 qui a amorcé une crise sociale sans précédent, avec un bilan dévastateur : 220 000 morts, 300 000 blessés, 1,5 million de sans-abris.

C’était important pour moi de poser le regard sur eux parce qu’il s’agit d’eux, de leur avenir.

Malgré la situation dramatique, l’espoir persiste. La jeunesse haïtienne veut vivre malgré tout et le film met en scène des débats où les jeunes questionnent l’avenir du pays et réfléchissent sur comment se relever de la crise qui dure depuis tant d’années. Gessica Généus évoque à ce sujet l’importance de l’implication des jeunes : « On est 70% de jeunes là-bas donc y’a pas le choix de compter sur cette jeunesse. C’était important pour moi de poser le regard sur eux parce qu’il s’agit d’eux, de leur avenir. Ils n’ont pas le choix à part tout essayer et se demander ce que cela va donner plus tard. »

Des choix familiaux qui racontent la réalité d’Haïti

Dans le film, la jeune Esther souhaite s’assurer un avenir en partant à la quête d’un homme riche à marier. Sa sœur Janette souffre de son côté et survit comme elle peut dans cette vie faite de débrouillardise, mais on apprendra plus tard qu’elle vit aussi avec un lourd secret impliquant Freda.

Le personnage de Janette est quant à lui assez consensuel. Cette mère perdue et secouée la plupart du temps souhaite le meilleur avenir possible pour ses filles, et parfois même à leur détriment. On sent surtout une femme désemparée à tel point qu’elle veut absolument un mariage pour sa fille Esther, et ce presqu’à n’importe quel prix. C’est une vie pleine de désespoir qui pousse cette femme à privilégier un niveau de vie supportable à la liberté ou à l’indépendance pour ses filles.


La bande annonce de Freda en salles depuis le 13 octobre dernier. 

Le personnage de Freda ne veut pas quant à elle quitter Haïti pour un meilleur avenir. Elle souhaite croire qu’il y’a d’autres moyens pour lutter pour l’amélioration de la situation du pays et surtout elle souhaite rester aux côtés de sa famille.

L’exil ou une vie de survie

Les spectateurs suivent ainsi le quotidien de cette famille ordinaire dans un Haïti en proie à des émeutes régulières avec le risque de mourir d’une balle perdue à tout moment. Le pays est plongé dans le chaos et l’insécurité avec des tirs qui peuvent provenir n’importe quand mais la jeunesse ne s’empêche pas de sortir et de vivre malgré tout. Une jeunesse mais tout un peuple en proie au questionnement face à leur relation au pays, aux interrogations face à l’exil, à l’identité haïtienne.

La plupart des jeunes souhaitent rester et se battre, d’autres comme le frère de Freda, ont profité de l’ouverture des frontières du Chili pour partir et se construire une nouvelle vie en remettant en question l’histoire et la politique du pays. Mais d’autres comme Freda s’interrogent sur leur place à Haïti, et beaucoup de jeunes n’hésitent pas à manifester malgré les risques.

L’équipe du film lors du dernier festival de Cannes.

En novembre 2018 notamment, plusieurs milliers de personnes avaient manifesté contre la corruption et le pouvoir en place avec des jeunes en première ligne. En 2019 ils étaient également très nombreux et plus récemment en 2021 lorsqu’une partie de la population manifestait contre l’ancien président, Jovenel Moïse.

Une colonisation qui laisse des traces

Au-delà aussi de la pauvreté et de la violence, Freda livre un message d’espoir en montrant ces femmes qui vont vouloir vivre malgré tout et donne à réfléchir également sur le passé colonial du pays. Un pays extrait de la colonisation française depuis 217 ans, et qui pourtant en garde encore des traces. Le film évoque d’ailleurs certains phénomènes hérités comme la question du blanchiment de la peau à travers le personnage d’Esther qui cherche à acquérir des produits toujours plus performants que les autres. Le blanchissement de la peau n’est pas la seule question abordée, il y a aussi l’importance de la langue et notamment du créole.

Entre français et créole, les restes de la colonisation restent présents et les conséquences sont souvent dramatiques sur place avec des crises politiques et institutionnelles qui n’en finissent plus. Bien que le français soit imposé dans les écoles, le film est largement en créole, une preuve de la détermination de préserver un héritage trop longtemps effacé et de le faire rayonner jusqu’au festival de Cannes.

Le créole langue de la résistance

Le français qui était auparavant imposé à Haïti, l’est moins mais reste quand même la langue enseignée à l’école. Dans le film, les échanges entre étudiants prouvent que l’héritage du créole est encore un sujet de réflexion dans le pays. « Auparavant le français était imposé, mais à outrance, tu te faisais frapper si tu ne parlais pas français. À l’école, tout était en français et du coup le créole était amené à disparaître. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse qui arrive. Il y a beaucoup de choses qui se font pour maintenir le créole, il y a même l’Académie du créole. Le français est devenu une langue intellectuelle que l’on parle à l’école. Le problème c’est que les enfants créolophones arrivent et doivent apprendre et étudier en français et tu ne peux pas avoir de réel rapport avec cette langue car ta première rencontre avec le français est violente », explique la réalisatrice du film Gessica Généus.

Quand les femmes partent cela veut dire qu’elles ont tout donné

Au-delà de tout cela, il y a aussi dans Freda la volonté de montrer la force de ces femmes de faire leurs propres choix dans une société où les hommes sont majoritairement présents partout. Les femmes sont d’ailleurs au centre du récit, ce sont elles qui s’élèvent pour leurs droits tandis que la plupart des personnages masculins préfèrent fuir le pays. Gessica précise à ce sujet : « Quand les femmes partent cela veut dire qu’elles ont tout donné et quand elles partent, elles reviennent plus difficilement. L’idée n’était pas forcément de faire un film féministe mais Freda reste un film où l’on raconte des histoires de femmes. »

Farah El Amraoui

Articles liés