Nous les remarquons depuis plusieurs années. Ils se réunissent à Châtelet le samedi ou le dimanche. Ils sont en bande, s’amusent et regardent passer le temps. « Ils », ce sont des sourds. Ce samedi, il fait un peu froid et le forum est bondé. On aperçoit un groupe de jeunes qui agitent les mains et les bras pour communiquer entre eux. On s’approche, l’entente est immédiate, cependant, seule une jeune fille (la seule fille du groupe), Beyla, 15 ans, est partante pour répondre à quelques questions.

Chacune munie d’un bloc note, nous couchons nos questions sur le papier et eux feront de même pour leurs réponses. Beyla nous explique qu’elle n’est pas née sourde. Elle a perdu l’ouïe à 8 ans après être tombée malade. Quand nous lui demandans quelle maladie l’a plongée dans la surdité elle écrit: « Euh, je ne connais pas le nom. » Du groupe, c’est la plus « bavarde », la moins timide et celle qui semble s’en sortir le mieux avec son handicap. Elle sait lire sur les lèvres et nous servira de traductrice pour le restant du reportage.

« On vient à Châtelet environ trois fois par semaine, toujours en face du Quick. On vient à peu près tous de la banlieue parisienne et donc c’est un endroit pratique pour nos rendez-vous », nous dit Beyla. On a l’impression qu’ils se connaissent tous. Pendant que la discussion se poursuit avec Beyla, certains commencent à se prêter au jeu. D’autres jeunes, malentendants aussi, viennent discuter avec ceux du groupe. « On se connait tous grâce aux amis des écoles spécialisées pour les malentendants qu’on a en commun, personnellement je viens de l’INJS de Paris (Institut national de jeunes sourds, ndlr) », ajoute l’adolescente.

Les autres membres du groupe veulent aussi dire quelque chose. Au final, nous sommes sollicitées de tous les côtés. On ne nous parle pas mais on nous touche ou nous tire un peu sur les vêtements, c’est drôle et original. Les blocs-notes ne suffisent plus, on utilise la fonction SMS des téléphones portables pour communiquer plus rapidement. Aucun signe d’hostilité de leur part. Certains se montrent même taquins. La barrière du langage qui nous paraissait si grande s’estompe. On rigole, on prend des photos avec eux, certains nous font quelques démonstrations de danse et d’autres sont pressés, entraînement de basketball oblige.

Nous nous dépêchons et insistons pour que des garçons répondent à nos questions. Après quelques hésitations, ils sont enfin partants. Azad a 17 ans et évoque la difficulté qu’ont les malentendants à trouver du travail. « Les patrons ne nous comprennent pas, alors on ne trouve pas de travail. » Alexandre, 28 ans, ajoute : « Je travaille dans le design des moteurs à Roissy, mais la plupart des malentendants sont chômeurs. C’est vraiment très difficile. » François, 22 ans et demi (il y tient), semble un peu blasé de Châtelet. « Ça fait quatre ans que je viens ici et j’en ai marre, j’ai envie de partir en Guadeloupe. »

Souleymane, 18 ans se distingue des autres jeunes. Il n’entend pas vraiment mais peut parler assez clairement. Il explique que c’est parce que ses parents l’ont toujours fortement incité à s’exprimer; d’où cette facilité à communiquer avec les entendants. Son ami prend également part aux discussions mais toujours un peu distant, il ne souhaite pas nous dévoiler son identité. Il nous annonce que ses parents ont fait preuve de la même rigueur avec lui. On ne saura pas si cette attitude les a aidés, ni pour Souleymane qui travaille en cuisine, ni pour lui. Notre question les laisse indifférents.

Et à part ça, comment réagissent les gens en vous voyant ? « Ils nous regardent bizarrement, ils sont plutôt intrigués par le LSF (langage des signes français, ndlr) », répond Beyla. « C’est très agréable de les voir. Ils sont toujours de bonne humeur et contrairement à d’autres jeunes qui, eux, ne sont pas sourds, ils n’embêtent personne. Les seuls bruits qu’ils font viennent de leurs éclats de rires. Nous regrettons même de ne pas connaître le langage des signes pour communiquer avec eux », nous confient Cécile et Anne-Claire, qui travaillent au forum des Halles.

Alors qu’ils fument leur cigarette, Arnaud, 29 ans, et Antoine, 23 ans, disent que « c’est sympa de les voir se rassembler. En plus ils sont stylés, ils s’habillent bien. Ça permet de voir d’autres gens qui viennent d’autres milieux et puis on voit que ce sont des personnes handicapées qui assument complètement leur handicap et qui vivent comme tout le monde. » Grégory, 17 ans, et Nandy, 16 ans, affirment ne pas faire attention à eux parce qu’il ne les voient pas comme des personnes différentes, « ce sont des jeunes comme tout le monde ».

Oui, des jeunes comme les autres. Comme tous les jeunes, ils aiment Chatelet « pour y retrouver des amis, y faire des achats et aller au cinéma où les films sont sous-titrés », expliquent Beyla et Alexandre. Comme tous les jeunes, ils aiment danser et draguer, d’ailleurs deux d’entre eux ne se gênent pas pour demander le numéro de Wellé.

Comme tous les jeunes, ils ont aussi leurs codes, leurs façons de « parler » ou même d’écrire. Par exemple un « nom signe » est un pseudonyme. Alexandre nous mime une main qui tient une tondeuse et qui rase un côté de sa tête. Il explique que c’est son « nom signe » et qu’il le porte parce qu’il avait l’habitude de se raser souvent la tête.

Ndembo Boueya et Wellé Koné


Let’s dance!
envoyé par Bondy_Blog

Ndembo Boueya

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