« Indignez-vous ! », enjoint Stéphane Hessel. He bien je m’indigne ! Ce livre est un scandale. Il est scandaleux qu’un tel livre puisse exister ! Oui, ce livre est un scandale pour ce qu’il dit de la société française, mais d’abord et surtout pour ce qu’il dit de ces hommes et femmes politiques qui nous inondent de discours à la sauce de « il faut faire ceci, il faut faire cela, je vais faire ceci, je vais faire cela… ». Après avoir lu ce livre, j’ai envie de leur dire à chacun d’aller se faire voir chez les Ouzbeks !

Pourquoi tant de rage ? « Home Boy », le livre de Florent Le Reste, réveille en moi ce côté obscur que beaucoup en banlieue essaye de canaliser, cette part de frustration, ce sentiment d’être disqualifiés, d’être rabaissés. Bref, cette impression qu’on s’est foutu de notre gueule, nous qui vivons dans les quartiers populaires.

Florent Le Reste raconte sa vie dans ce livre, son enfance, ses années collège et lycée, ses bêtises… Le mec est né en 1974, il a aujourd’hui 37 ans. Malgré la génération qui nous sépare, c’est le même destin, la même déflagration. Une différence, peut-être : eux s’habillaient en ensemble Adidas, nous en Lacoste (ou avec le logo en chinois, pour les moins dotés en capital) violet-jaune-vert avec le bas du survêt’ rentré dans les chaussettes. Eux étaient encore au merguez-frites, nous au grec-frites… Voilà l’évolution pour ceux qui ont grandi dans cette daube de « couronne rouge ». Un grand merci à nos amis socialistes et communistes qui ne nous veulent que du bien…

Calmons-nous maintenant, je vais essayer de vous résumer le contenu du livre. Florent Le Reste est né à Paris dans le 12e arrondissement. Son père ouvrier décide d’emménager à Bagnolet, une ville de Seine-Saint-Denis limitrophe de Paris. Les pavillons délabrés au pied des barres HLM, les Gitanes qui soulèvent leur robe pour pisser debout, l’enseignement qu’on ne qualifie plus…

Le tableau brossé par Florent Le Reste est accablant. Certaines « anecdotes » qu’il rapporte font échos à mon vécu. J’ai eu moi aussi des professeurs perdus de la vie, comme celle que décrit l’auteur à travers une scène de classe d’une rare violence. Je me souviens, de ma professeur de français l’année où j’avais retapé ma troisième. Elle n’avait aucune autorité sur nous, répondait aux allusions sexuelles que lui lançaient certains en classe.

Un jour elle se ramena avec sa fille en classe. Une fillette de 6 ans, toute mignonne. La professeure l’installa sur une chaise. De toutes les chaises de la classe, elle fit asseoir sa fille sur celle où était écrit « Payet sale pu** ». Notre professeur de musique, péta les plombs à plusieurs reprises jusqu’à en venir aux mains avec des élèves. Dans le collège que je fréquentais, ce n’était que ça… Sans parler des bastons lors des récréations : tout le monde dans un mouvement de foule impressionnant se précipitait vers le lieu de l’affrontement.

Les Blancs dans tout ça ? Si certains étaient rejetés, ce n’était pas dû à leur origine de « François ». C’était simplement une question d’adhésion. Il y en avait qui s’excluaient de la masse parce que leur délire était différent de celui de la masse. Et l’on retrouve ce phénomène dans toutes les écoles, les collèges et lycées de France. Dans la société en générale. A ce sujet, Florent Le Reste raconte la fois où il a brûlé avec deux de ses potes « français de souche » le drapeau tricolore du cimetière, et ce dans une immense joie. « Je n’explique pas le pourquoi du comment de ce petit plaisir. Peut-être parce que l’on ne nous donnait à voir que les mauvais côtés de la France ? », écrit-il. On accusa les étrangers du quartier…

Vous avez dit identité nationale ? « Fondamentalement, je n’en ai rien à foutre d’être français ou européen ! Je n’en dégage aucune fierté particulière, aucune notion de citoyenneté ou d’appartenance. Je ne vaux pas mieux que les autres… » Preuve, selon moi, que le raisonnement en termes d’intégration et d’assimilation se focalisant sur les « issus de… » et autres « originaires de… », n’est qu’un enfumage politicien de plus.

« Home Boy » est un récit de vie entrecoupé de citations tirées de chansons de rap, malheureusement souvent mal imbriquées dans le texte. Le hip hop occupe une place prépondérante dans la vie de Florent Le Reste et donc dans ce livre. Il raconte sa découverte du mouvement, donne sa vision sur l’état du mouvement actuel, et l’on en déduit que pour lui, le rap c’était mieux avant. « Home Boy », c’est la rencontre entre un destin de vie violent que beaucoup veulent ne pas voir en face, celui de Florent, et d’un mouvement qu’il a vu émerger, le hip hop. A plusieurs reprises on rit jaune, on cherche le bout du tunnel, la lumière dans tout ce chaos. Mais on ne la trouve pas. Et c’est ça la force du bouquin : le contenu est vrai sans chercher à plaire. Ce livre est ma Kryptonite.

Aladine Zaïane

Florent Le Reste, « Home Boy. Du quartier au hip hop », Michalon, 276 pages.

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