Le documentaire « Musulmans de France », diffusé mardi sur France 5, commence comme un film muet. Le premier volet, « Indigènes : 1904-1945 », nous montre des jeunes hommes qui sourient face caméra. En noir et blanc. Leurs dents blanches surprennent, leurs vêtements sont à la mode 1900. Coiffés d’un tarbouche ou d’un chèche. Ils sont cinq mille venus travailler en France, la plupart kabyles.

La bobine se déroule et soudain la tête d’un monsieur d’aujourd’hui apparaît. C’est l’un des intervenants de cette émission passionnante. Mohamed Zenef éducateur à la retraite. Il nous raconte l’histoire de son oncle « sacrifié à l’exil », dit-il, arrivé en France en 1886, « pour réclamer sa ration, le travail de la terre ne suffisait plus, il n’a pas émigré par hasard, c’est un destin, un choix. »

Cette première vague de 1904 va être à sa manière « chouchoutée ». Ces primo-arrivants sont peu nombreux. Ils ne sont pas dans la revendication. Ils vont grosso modo adopter les « codes » en vigueur, sans renoncer à leur religion. Ils vont se fondre dans la masse ouvrière métropolitaine. Et ce qui peut poser problème aujourd’hui, à l’époque semble n’en poser aucun : sacrifier un mouton, horaires souples pour le ramadan, comme dans les mines, pour pouvoir casser le jeûne, etc.

La démarche et la trame de cette fresque documentaire sont à saluer. On remonte les années à travers des faits et des témoignages d’historiens, de sociologues, héritiers ou non de cette histoire arabo-berbère, noire, française. La première guerre. Les indigènes sont des soldats. Des soldats d’Afrique du nord ou d’Afrique sub-saharienne. Ils sont tirés au sort : ceux qui partiront au front, ceux qui y échapperont. Leur destin dans un sac.

Mohamed Boubeker, sociologue, affirme : « La France aime ses musulmans. » On inhume les soldats indigènes morts au combat selon le rite islamique. Un cimetière leur est réservé. Revers de la médaille : on interdit les contacts entre Français – et surtout Françaises – et soldats nord-africains. On les cantonne dans un camp militaire pendant leurs permissions. Quand l’armistice est signé, le bilan est lourd pour tout le monde. 80 000 morts et autant de blessés du côté musulman.

Juillet 1926, inauguration de la mosquée de Paris. Salamalecs en veux-tu en voilà. Si Kaddour Ben Ghabrit, le recteur et haut fonctionnaire du Quai d’Orsay, en habit traditionnel. Il est décrit comme un larbin du pouvoir, il se comportera ensuite en héros face au nazisme. Cette mosquée, certains la voient comme un signe de progrès, d’autres comme un symbole d’une France musulmane. Chose inacceptable. Pour le petit peuple musulman, logé dans la misère, elle est un lieu de débauche, fréquentée par une élite.

Le deuxième volet s’intitule « Immigrés : 1945-1981 ». Cafés, bars, vie des immigrés. La guerre d’Algérie balaye tout sur son passage. Le documentaire ne cache rien. Attentats, répression. Papon 17 octobre 1961. Le téléspectateur est tenu en haleine. L’indépendance. Le flux migratoire, lui, continue. Bidonvilles. Les immigrés vivent dans des conditions déplorables, Oum Kaltoum leur remontent le moral à l’Olympia. Bruno Coquatrix la présente comme la descendante du prophète.

La France découvre une immigration colorée. Des Sénégalais, des Maliens et de Mauritaniens. Leur cohabitation avec les immigrés nord-africains est difficile. Car si les premiers sont dans leur grande majorité musulmans, ils sont surtout noirs. Comme le dit sans fioritures Abdel Raouf Dafri, le scénariste d’« Un prophète » : « Malheureusement, il faut être honnête. On (les Arabes) n’aime pas les K’hals (Noirs) ». C’est grâce à Mai 68 que les cités HLM sortiront de terre. Je continue à avaler la bobine jusqu’à en 1980. Le constat des années 70 est noir. Crimes racistes à gogo. Les foyers délabrés de la Sonacotra. Conditions de vie désastreuses des Harkis, traitres et vendus au yeux des immigrés algériens, « arabes » avant tout pour les Français, donc pas français. Nulle part ils ont leur place.

Troisième volet : « Français : 1981-2009 ». La « marche des Beurs » de 1983 fait penser à l’immense marche des Noirs américains pour les droits civiques. Les Beurs de ces années-là paraissent plus arabes que musulmans. Ils ont un aspect plus « laïque » qu’aujourd’hui. A l’époque, l’islam ne semble pas être au premier rang des revendications. Ils ont les cheveux longs, génération rock et reggae, pas encore rap. Mais une génération consciente de sa relégation. Une phrase résume cela très bien: « Quand James Brown dit I am Black and I am proud, nous on entend I am Arab and I am proud. » L’intégration, alors, c’est dans le sens « de faire comme tout le monde », le tout dans un climat de crise économique.

Cette marche se finira en cul de sac. Pas pour tout le monde : Jean-Marie Le Pen et S.O.S Racisme, curieux tandem. En 1989 éclate l’affaire du voile. C’est pour nous rappeler que l’islam remonte doucement à la surface. 1995, affaire Khaled Kelkal, attentats de 1995. La guerre civile algérienne frappe à la porte. Les jeunes fuient dans le hip hop, pour exprimer leurs sentiments et pour pouvoir gagner de l’argent.

En 1998, la coupe du monde de foot remportée par la France black-blanc-beurs. On croit au miracle. La seconde Intifada de 2000 fout tout par terre. Ramène chacun à son histoire, à son « identité », à son combat. Les émeutes de 2005 parachèvent cette déliquescence. En 2007, Nicolas Sarkozy fait de l’affichage en faisant entrer au gouvernement trois femmes « issues de l’immigration ».

Fin du documentaire. La France ne sera allée que de découverte en découverte avec ses « musulmans ». Une découverte sans fin. Est-ce qu’on se connaît vraiment ?

Nicolas Fassouli

Nicolas Fassouli

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