Rien ne prédestinait ce passionné de jazz et de rock à travailler avec le monde du rap. Il a pourtant collaboré avec de grands noms du hip-hop tels que Lino, Youssoupha ou encore Soprano. Né à Aubervilliers en 1980, c’est dans le quartier du Clos Saint-Lazare à Stains qu’Issam Krimi passe toute son enfance, avec ses deux frères. A l’âge de cinq ans, il est poussé vers la musique par ses parents : «Mes parents regrettaient de ne pas avoir eu la chance d’étudier la musique en conservatoire étant petits, alors ils nous ont mis, mes frères et moi, au conservatoire de Stains très tôt. »

Le jeune Issam prend goût à la musique en poursuivant sa scolarité dans un collège musical de Dugny. A cette époque, c’était le seul établissement scolaire de Seine-Saint-Denis à dispenser ce type de cursus, en partenariat avec le conservatoire d’Aubervilliers.

Pendant quatre ans, Issam partage sa vie entre les cours et l’apprentissage de la musique. Cette expérience lui laisse un goût amer de la musique classique : « Nos profs de solfège étaient présents pendant nos conseils de classe, ce que je trouve assez bizarre vu qu’il y a une sorte de pression. Je n’ai pas du tout aimé ce rapport à la musique, qui était fait de souffrance. Je ne l’ai jamais conçue comme ça, et j’ai senti un certain décalage, » raconte-t-il.

Du classique au jazz…

Issam a donc besoin de s’émanciper de la pression des résultats scolaires et des récitals de piano qu’il devait jouer à la perfection, sous l’œil d’une professeure qui, aujourd’hui encore, ne le laisse pas indifférent : « Un jour, au lendemain d’une élection, elle m’a dit : “J’ai voté Front National, mais toi Issam, je t’aime bien !”. Essaie de jouer ton morceau après avoir entendu un truc pareil ! » se remémore-t-il en rigolant.

Rapidement, il se lasse d’étudier des heures durant une musique qu’il n’écoute pas en dehors des cours. Ce grand fan de rock apprend alors à jouer de la guitare électrique, en autodidacte : « La musique, tu l’écoute et tu as envie d’en jouer. A l’époque, je ne comprenais pas comment cela était concevable. Le fait d’apprendre à jouer de la guitare était une volonté de reprendre les choses en main, d’une certaine manière. »

Ce sont mes parents qui m’ont donné cette vision des choses : ils me disaient que la vie ne se limitait pas seulement à l’école, et qu’il fallait savoir voir en dehors aussi. Il fallait savoir apprendre des choses par soi-même

L’apprentissage de l’instrument le mène petit à petit vers la découverte du jazz, qui sera un véritable tournant dans la vie personnelle et artistique du compositeur en devenir : « Le jazz a permis de réconcilier des conflits par rapport à la musique classique notamment. Ça m’a permis de revenir au piano, d’aimer de nouveau la musique classique. J’ai senti un vent de liberté, d’improvisation et de création, » raconte-t-il.

Tous les samedis après-midis, l’adolescent arpente toutes les médiathèques de Paris pour dénicher des disques de Miles Davis ou Louis Armstrong. Il emprunte également de nombreux livres sur des compositeurs de musiques, en pur passionné qu’il est : « Ce sont mes parents qui m’ont donné cette vision des choses : ils me disaient que la vie ne se limitait pas seulement à l’école, et qu’il fallait savoir voir en dehors aussi. Il fallait savoir apprendre des choses par soi-même. » Ensuite, il se lance dans l’orchestration, la musicologie et l’analyse de la musique contemporaine, qui le fascine particulièrement – bien que ses premiers albums soient entièrement jazz.

La (re)découverte du hip-hop

Ce sont ses travaux d’analyse de la musique contemporaine et de la musique populaire qui l’amènent à s’intéresser au rap, bien qu’à la maison ses deux frères aient été avides de cette musique : « Mes frères écoutaient en boucle des groupes de rap français, tels qu’Assassins par exemple. Personnellement, je ne les écoutais pas et préférais rester en retrait. Malgré cela, j’entendais tellement ces albums à la maison qu’aujourd’hui je suis capable d’en rapper certains par cœur. » Issam trouve le rap d’abord à travers des artistes américains tels que The Roots, Busta Rhymes ou encore Redman, le membre emblématique du Wu-Tang Clan.

Au début, quand j’ai commencé à bosser avec les rappeurs, je sentais qu’ils se demandaient: “Mais qui est ce gars-là ?” parce que les gars comme moi ne font pas du rap

Ensuite, c’est tout naturellement qu’Issam décide de travailler avec des rappeurs. Il rencontre alors quelques a priori de la part de certains artistes, mais également une incompréhension chez ses amis de la musique classique et du jazz : « Au début, quand j’ai commencé à bosser avec les rappeurs, je sentais qu’ils se demandaient: “Mais qui est ce gars-là ?” parce que les gars comme moi ne font pas du rap,” se souvient Issam. “A côté, j’ai perdu beaucoup de potes à cause de ça. Lorsque j’ai lancé le hip-hop symphonique, France Culture me connaissait par le jazz, et j’ai reçu beaucoup de remarques péjoratives, » regrette-t-il.

En parallèle, l’artiste se met également à la composition de musique de films et de courts-métrages, un véritable bonheur pour ce grand cinéphile : « Je suis un fou de cinéma ! » lance Issam. « Il m’arrivait de regarder dix films par jour. Et quand je bossais avec un réalisateur, j’aimais regarder toute sa filmographie : j’allais jusqu’à chercher ses tout premiers films pourris, pour observer son évolution, » explique-t-il d’un ton moqueur. Issam a composé la musique de nombreux documentaires pour France Télévisions, ainsi qu’un film franco-tunisien de Lotfi Achour, Père.

Hip-hop symphonique

Il y a trois ans, le compositeur a lancé le hip-hop symphonique show en partenariat avec Radio France : c’est un concert où des stars du hip-hop rejouent leurs plus grands hits, accompagnés uniquement d’un orchestre symphonique. La troisième édition, qui se tiendra le mercredi 31 octobre prochain, accueillera Dosseh, Sofiane, Sniper, Wallen et S.Pri Noir. Lors d’éditions précédentes, Issam et son orchestre ont joué entre autres avec IAM, Mc Solaar ou Oxmo Puccino : « Faire le premier hip-hop symphonique avec IAM et Solaar était plus cool, mais j’ai toujours voulu qu’il y ait de jeunes artistes sur la programmation. C’est pour cela que dans l’édition précédente il y avait BigFlo et Oli. Cette année, j’étais vraiment content d’avoir Dosseh à nos côtés. »

Aujourd’hui, Issam Krimi est fier d’être le premier compositeur au monde à avoir organisé un concert de hip-hop avec un orchestre uniquement : « Certes, Jay-Z s’est produit avec les Roots, qui sont des musiciens, mais si tu regardes bien les images, il y a un DJ avec lui sur scène ! » plaisante-t-il.

Issam a également crée Proses, un concert au cours duquel un artiste hip-hop se produit avec un quatuor à cordes et revisite l’un de ses textes, ainsi que des textes littéraires. « C’est vraiment un projet personnel et un esprit d’invitation et de partage », précise Issam. « J’aime cette idée de laboratoire hybride. » Cette année, ce sont les artistes Chilla et Lord Esperenza qui se produiront le samedi 10 novembre à l’Institut du monde arabe.

Félix MBENGA

Crédit Photo: Elsa GOUDENEGE

« Hip-hop symphonique show« , en partenariat avec Radio France, avec Dosseh, Sofiane, Sniper, Wallen et S.Pri Noir, mercredi 31 octobre à 20h30, maison de la radio, auditorium de Radio France

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