L’agenda de Jean-Baptiste Phou, 35 ans, ancien cadre de la finance, intermittent du spectacle et formateur-coach, ne désemplit pas. Entre des formations, des spectacles, des tournages, la sortie imminente d’un CD, il mêle sa passion à son métier sans appréhensions.

On se retrouve au Père Tranquille, dans le centre de Paris. Lieu luxueux, à l’image de sa carrière. Il est déjà là. En communication. Il est vêtu d’une veste noire, d’une écharpe grise bien serrée, de chaussure haute gamme et tente de raccrocher.

Avec une formation continue, il a repris ses études après être sorti du système scolaire à 17 ans, bac L en poche. À l’IUT de Sceaux (92), il entreprend un DUT en technique de commercialisation qu’il obtient en un an. C’est pour lui une révélation. « J’avais toujours été un élève assez moyen. Et là, j’ai commencé à avoir d’excellentes notes. Je deviens même majeur de promotion. » Il intègre l’Université Paris-Dauphine où il obtient une Maîtrise des Sciences de gestion, toujours en accéléré. En deux ans, il rattrape son retard. Il est encouragé à poursuivre un 3ème cycle, mais il ne sait pas où il veut se diriger. Il suit le conseil d’un professeur : « Si tu ne sais pas ce que tu veux faire, fais de l’argent, ça te servira toujours ! » Il se spécialise en finance, en master à l’ESCP Europe, entre Madrid et Londres. « Je me suis retrouvé dans un univers que je ne connaissais pas, les grandes écoles, avec des profils qui étaient à des années lumières de moi. Mais on était à la même place. Je n’étais pas plus bête qu’eux » dit-il avec confiance.

En banque d’investissement à Barcelone, il travaille dans le développement commercial pendant un an. Cela ne l’intéresse pas vraiment. Il est ensuite débauché à Singapour par la BNP Paribas où il devient responsable marketing de la zone Asie du Sud-est. Toujours pas plus d’intérêt. « Ça arrive en même temps que les questions que tu te poses d’un point de vue identitaire. » Alors le rythme ralenti. Il prend le temps de combler le manque en se rendant au Cambodge. Il avait 25 ans quand il y est allé pour la première fois.

« C’est un pays que j’ai rejeté. Ce décalage est lié à des questions familiales, parce qu’à la maison on ne m’en parlait pas. Mes parents étaient les premiers à renier le pays, en disant que le Cambodge c’était fini. J’en avais donc une image négative. » Depuis, il a voulu tout comprendre : l’histoire, la culture. Il suit même des cours de danse classique cambodgienne, de boxe khmère, de langue khmère.

Son ami, le Cambodge

« En plein pendant la crise financière de 2008, c’était surtout la crise dans ma tête. Je me posais des questions sur mes origines. J’ai commencé à me rendre souvent au Cambodge, à 1h30 de vol de Singapour. En même temps, j’avais l’envie de faire autre chose ». Gamin, il rêve de devenir chanteur. Il a alors l’opportunité de passer un casting pour une comédie musicale produite par des Américains. On lui offre un rôle pour faire partie de l’ensemble et il démissionne pour les 2 mois de répétitions et le mois de représentation, sans savoir ce qu’il allait faire après.

Après cette aventure extraordinaire, une question existentielle s’est posée : partir ou rester ? À New York, il part suivre une formation en comédie musicale puis obtient un premier rôle à Los Angeles. Il décide alors de rentrer en France et c’est la douche froide. « Dès qu’on me propose un rôle, c’est fait le chinois. J’ai refusé, tout le temps. Je l’ai fait une fois dans un casting, mais c’était vraiment en me faisant violence. » Silence « Jusqu’à ce que maintenant je ne le fais plus, je refuse. Parce que je n’ai pas envie d’être un instrument de cette caricature. »

Il décide alors de créer sa première pièce, alors qu’il n’a aucune notion d’écriture et de mise en scène et que sa culture théâtrale se résume aux rares pièces qu’il a vues pendant les sorties scolaires. Il a préféré mettre un point d’honneur à ne pas prendre de cours ni à suivre des ateliers d’écriture. Il voulait exprimer sa parole, de façon brute, avec sa part de défauts et de maladresses, mais de manière assumée.

IMG_3140Sa pièce Cambodge, me voici naît en 2011. C’est l’histoire de quatre femmes cambodgiennes qui pour des raisons diverses se retrouvent au consulat du Cambodge à Paris. L’une a la vingtaine, elle est née en France et entreprend de se rendre au Cambodge pour la première fois, une autre qui a survécu au drame khmer rouge souhaite adopter une fille. Plus de trente ans après avoir quitté son pays natal, l’une d’entre elle retourne auprès de sa mère mourante. La dernière arrive en France pour se marier. Coincées dans la salle d’attente, elles confrontent leurs visions différentes du pays. Success story. Joué à guichet fermé au théâtre de la Reine Blanche, Jean-Baptiste Phou pioche dans les différents domaines artistiques – théâtre, danse, chant – pour rendre à ses questions identitaires un humour acide. Beaucoup de Cambodgiens de France étaient présents pour la première fois dans une salle de théâtre, car il parlait de leur histoire.

Son plus beau cadeau ? Les remerciements et les retours des spectateurs. « J’ai eu une femme de l’âge de ma mère qui m’a dit : “ça fait 38 ans que je ne suis pas retournée au Cambodge. Après avoir vu votre pièce, je peux accepter d’y retourner” Ou encore, une jeune femme de mon âge : “J’ai enfin compris que la recherche identitaire ne peut se faire que dans l’apaisement, et non pas dans la colère.” ». Ly Yann Kauv, l’une des comédiennes, clôture par « Il y a tellement de vérité dans cette pièce. Une vérité qu’on n’exprime pas, qu’on analyse pas, mais qu’on vit tout simplement, sans être compris ou sans pouvoir l’expliquer. La voir jouée, exprimée, être enfin représentés c’était irréel et c’était tellement juste. »

Appartenir à une double culture soulève également des contradictions « je l’ai longtemps vécu comme un fardeau. Je ne le vis pas non plus aujourd’hui comme une richesse. C’est un fait. Faisons avec, reconnaissons-le. Ce n’est pas quelque chose à brandir, c’est juste une partie de moi-même. Moi, c’est déjà marqué sur ma tête, je n’ai pas besoin de le dire. Je joue avec mes différentes identités, quand c’est utile. »

Le théâtre et lui

Après Cambodge me voici, il monte L’Anarchiste en 2014, une adaptation du roman de Soth Polin. En 1970, un directeur d’un journal politique cambodgien soutient le coup d’État qui a renversé le prince Sihanouk. Quelques années plus tard, il soupçonne son gouvernement d’avoir assassiné un de ses ministres. Il dénonce l’affaire puis s’enfuit en France et devient chauffeur de taxi en essayant d’oublier son passé, jusqu’en 1979 à la chute des Khmers rouges. Le monde entier se rend compte de ce qui s’est passé, il est convaincu d’avoir une responsabilité. Il se persuade que c’est à cause de son journal que les Khmers rouges sont arrivés au pouvoir et que son pays a connu un génocide. Avec cette pièce, plus sombre, il voulait explorer l’âme humaine dans toute sa noirceur.

Et même si ses parents ne l’ont pas toujours soutenu, il est ce qui est aujourd’hui. « Au début, mes parents ne comprenaient pas. Sauf qu’ils ont vu tout mon travail et aujourd’hui je peux dire qu’ils ont une fierté de ce que je fais. Ma mère suit mon actualité et me demande régulièrement quels sont mes projets. Et ça fait quelques années qu’ils ne me demandent plus quand je retourne dans la banque ! Quand mon père a vu “l’Anarchiste”, il m‘a dit en sortant : tu as compris notre souffrance. »

Après la souffrance, l’apaisement donc. En plus de ses activités artistiques, Jean-Baptiste Phou est formateur-coach « Je veux pouvoir permettre à d’autres de travailler sur leurs blocages, déceler et faire émerger leur potentiel caché ». Dans une note plus légère, il prépare également son premier CD avec sa partenaire de toujours Amara Chhin dont la sortie est prévue pour avril 2016.

Yousra Gouja

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