Il l’a passé. Ce cap du long-métrage, tant souhaité par les cinéastes cantonnés au court. Et n’en est pas peu fier : « Ce film, c’était une ambiance humaine de fou. Tous les matins, je récupérais les camions, j’achetais les croissants, ma femme s’occupait des costumes, mes parents des repas et le soir, après avoir tout rangé, je dérushais».

Tourné en 25 jours dans dix décors différents avec 16 comédiens (dont Hammou Graïa et Sabrina Ouazani, qui a participé à la production), Vole comme un papillon est un film dramatique qui interroge les liens fraternels : un adolescent découvre que son propre frère est à l’origine du coma dans lequel est tombé son meilleur ami.

« Jérôme a un véritable talent pour diriger les enfants et les comédiens non professionnels» dit de lui Aïcha Bélaïdi qui a sélectionné son film aux Pépites du Cinéma. Et pour cause, c’est la continuité des productions réalisées pendant dix ans avec l’association Cité Art de Vigneux-sur-Seine (91).

A l’époque, Jérôme étudie le théâtre au Conservatoire et à l’École Supérieure d’Art Dramatique de Paris. L’aventure démarre en bas d’une tour de Vigneux lorsqu’il décide de créer un atelier théâtre avec des amis. Les jeunes s’impliquent, plusieurs pièces de théâtre se montent et Cité Art devient « l’asso la mieux payée de cité sans être politisée » : 120 000€ de budget annuel pendant 5 ans.

Puis, Jérôme entend parler d’un concours audiovisuel organisé par La ligue de l’enseignement. La troupe se motive, tourne le court-métrage La deuxième porte et décroche le premier prix du festival Regards jeunes sur la cité : « Pour moi qui avait raté beaucoup de choses, j’étais enfin le premier », explique Jérôme.

Délaissant sa carrière de comédien, il s’oblige à taper des dossiers (« alors que l’écrit était ma faille scolaire »), chercher des subventions (« le brassage se fait à l’accueil de la mairie quand on t’oriente vers le service jeunesse plutôt que le service culture »), contribue à ce qu’une équipe de Vigneux fasse partie de l’émission Opération TéléCité de France 3, décroche le Talent des Cités 2002 et initie un festival, Nos Cités, avec le soutien de la Fondation TF1.

Durant trois éditions, de 2007 à 2010, Nos Cités réunit tous les jeunes réalisateurs d’Ile-de-France. Plusieurs associations se regroupent avec un projet de fédération. « On a fait trente réunions. On était tous réal mais on voulait développer l’accès à la culture des jeunes de banlieue ». De là naissent des statuts et un projet (la Fédération pour la démocratisation du cinéma, de l’audiovisuel et du théâtre, FEDCAT) qui n’aboutit pas. Après 43 courts-métrages et 18 documentaires réalisés avec Cité Art (dont 4 courts et un moyen-métrage à son actif), Jérôme est dépité : « La fédération m’a mis une claque, j’ai tiré ma révérence ».

Il fonde alors la société de production ADELA FILMS avec sa collègue de Cité Art, Liza Alster et deux autres coproducteurs, Alain Mougenot et Arnaud Carey. Ensemble, ils développent son court-métrage La guerre des bonbons, mais ne trouvent pas le bon producteur. Démarre alors Vole comme un papillon. Pour Jérôme, c’est l’’aboutissement de tout un parcours : « J’ai toujours été de l’autre côté : coach, comédien, réalisateur, producteur… Mais plus j’ai roulé ma bosse et créé mon réseau, plus je me suis rendu compte que le milieu est stérilisé ».

Déçu par les films d’auteur français et le fait que ce ne soient pas « des mecs de quartier qui percent » (Sara Forestier dans L’Esquive, Vincent Cassel dans La Haine…), Jérôme s’inspire davantage du néo-réalisme italien, de Scorsese, Ken Loach ou James Gray.

Dans sa jeunesse, ce sont les Marcus Garvey, Gandhi et Malcolm X qui répondent à ses interrogations de métis (« j’étais provoc’ et arrogant ») et lui servent de repère (« j’avais la rage mais à force de créer, je me suis calmé »).

Fils unique né à Vitry-sur-Seine (94) en 1974 d’un père indien plombier et d’une mère normande aide-soignante, Jérôme se considère à l’époque comme « plutôt gâté » ce qui lui donne « honte d’être un peu privilégié ».

Faute de grand-frère, l’ado « montre les crocs » à la cité Balzac, devient plus « gangsta » et se fait virer du collège en 4ème: « J’étais très mauvais à l’école, en rébellion constante ». Déménageant avec ses parents dans un pavillon à Vigneux, il décroche en Terminale Littéraire et devient animateur avant de se lancer dans le théâtre.

Amer de n’avoir pour l’instant que « semi-percé », Jérôme conseille aux jeunes de ne pas se diriger vers le cinéma pour les mauvaises raisons : « Si tu n’as rien à dire, tu vas être malheureux ». Revendiquant le fait qu’ « à force d’avoir des terrains de foot dans les quartiers, on a gagné la coupe du monde de 1998 », Jérôme filme la banlieue telle qu’il la vit, pour « redorer l’image du quartier» à travers ses œuvres.

Claire Diao

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