Il est 20 heures à Clichy-sous-Bois et devant l’Espace Victor Hugo, banlieusards et parisiens se bousculent déjà devant les portes de l’espace culturel. Ce soir, l’œuvre de JR, « l’activiste urbain » né à Montfermeil il y’a 32 ans et connu pour son œuvre participative « Tous au Panthéon ! », a réuni toutes les générations, toutes les classes sociales, toutes les origines géographiques. Des hipsters parisiens aux Clichois, tout le monde a répondu présent. Fédérateur, l’art de JR unit deux mondes sociaux qui ne se côtoient jamais.
À 20h30, la salle est bondée. Le maire de Clichy-sous-Bois, Olivier Klein, entouré des deux artistes, JR et Ladj Ly, membre du collectif Kourtrajmé, ouvre le bal. Ému, il remercie l’engagement des deux artistes pris il y a 2 ans qui a débouché sur « une œuvre artistique, pas un film » précise-t-il. Il ne finit pas de tarir d’éloges sur cette initiative artistique qui a profondément marqué les esprits des habitants de Clichy-Montfermeil : « Ce projet a de multiples qualités : l’implication des habitants de Clichy-Montfermeil, l’art qui est un élément du vivre ensemble, de la rencontre et c’est aussi un moment d’histoire pour Clichy-sous-Bois et Montfermeil, puisqu’il retrace nos moments difficiles, les rencontres, une histoire d’amour et la rénovation urbaine qu’a connu notre quartier ».
Il conclut : « Pour les Clichois, ce quartier du Chêne Pointu est encore là et c’est le début du travail à faire sur la mémoire du quartier. On veut tous qu’il change et les images qui resteront de ce film seront le témoignage de ce que ça a été ». JR et Ladj Ly, la trentaine, se sont rencontrés, il y a plus de 15 ans, en bas des tours des Bosquets à Montfermeil. Au début des années 2000, dans leur quartier, ils ont construit leurs projets artistiques, JR en passant par la photographie et Ladj Ly, caméra en main, en filmant son quotidien et ses proches.
JR présente le court-métrage comme une œuvre inopinée : « Il y a 11 ans, quand avec Ladj Ly, on collait des images, on n’aurait jamais imaginé en faire un film. On se lance toujours dans des projets sans savoir où ça mène. Il y’a 10 ans, on était des gamins et très vite, on  a pris conscience qu’on avait une responsabilité de par ses images. Quand Ladj Ly tient sa caméra comme une arme par exemple ». Fidèle à son quartier natal, JR, malgré son ascension et sa notoriété continue à porter la voix des quartiers : « On a voyagé avec Ladj Ly, on a monté des projets un peu partout, dans les favelas notamment, mais on a toujours continué à travailler ici. Ce sont les animateurs, les éducateurs, les danseurs, les profs et les habitants qui font les quartiers. »
Intense et spectaculaire
Après un selfie collectif made in JR, le film est lancé. Une musique classique majestueuse et tonitruante signée Pharell Williams accompagne 10 ans d’images d’archives du quartier vétuste des Bosquets avant et pendant sa démolition en 2011, des émeutes de 2005 et d’images personnelles de Ladj Ly se mêlent à une sublime danse des corps alternant entre ballet et hip-hop sur un parking entouré de voitures brûlées et sur le toit d’une barre d’HLM interminable. La mise en scène fait étrangement écho aux émeutes urbaines de 2005. Une horde de jeunes afflue dans la Cité, tandis que les danseurs du ballet de New York et un danseur de hip-hop subliment le décor austère et sombre du quartier. Le mouvement des corps et des barres HLM qui s’écroulent en continu est fluide, intense et spectaculaire.
Les images émouvantes et puissantes du documentaire resteront gravées dans l’espace et le temps à Clichy-sous-Bois. Acclamé par les spectateurs, le projet artistique de JR est un véritable succès. Marjorie, 23 ans, habitante des Bosquets depuis sa tendre enfance, le sourire aux lèvres, sort enchantée de la projection : « J’ai beaucoup aimé, Ladj Ly c’est comme mon grand frère. Il m’a vu grandir et ce que j’aime chez lui, c’est qu’il n’oublie pas d’où il vient, il est toujours là pour représenter et soutenir le quartier ». Youma, 25 ans, son amie, habitante des Bosquets aussi en sort bouleversée : « J’ai ressenti une vraie nostalgie en voyant les images du quartier avant la démolition, on est attaché aux Bosquets ».
Pour Siaka Traoré, 32 ans, frère du défunt Bouna, mort électrocuté dans l’enceinte d’un poste électrique à Clichy en 2005, ce projet est une fierté : « Je suis fier du produit fini. J’ai participé activement au projet en assurant la médiation et la sécurité dans le quartier sur le tournage et lors du tournage, il y a eu une vraie solidarité, des affinités, des liens qui ont été créés à jamais entre toutes les générations ».
Siaka se souvient avec amertume de la mort de son frère et des émeutes de 2005 : « A Clichy, on est une grande famille, depuis les émeutes, il y a une vraie solidarité, encore plus forte qu’auparavant ». Mais pour lui, tout reste à faire dans son quartier : « Ce qui a changé depuis 2005, ce sont les bâtiments, mais aujourd’hui, ce que je voudrais c’est que tout le monde ait un travail et qu’il y ait la paix et que chacun aide son prochain ». Dix ans après les émeutes de 2005, à Clichy-sous-Bois, les liens tissés entre les habitants sont encore plus puissants, mais l’heure est au bilan.
Myriam Boukhobza

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