Le Bondy Blog, après nous avoir envoyées à l’opéra, nous demande d’aller au ballet. On ne se fait pas prier. Voici au Centre national de la danse de Pantin. Rick Odums, le célèbre chorégraphe américain nous fait un topo des extraits de ballet que nous allons voir. En arrière-plan et en vrai, les danseurs, eux, font leurs échauffements. C’est la première fois que nous nous retrouvons dans une ambiance de ballet, et nous avons des accès de rire. Comme lorsque le chorégraphe demande à l’un de ses danseurs de montrer au public la manière dont il casse des pierres dans le spectacle. Mais heureusement, notre professionnalisme et notre grand sens du sérieux prennent le dessus.

La représentation commence. « Nous avons un petit problème technique », s’excuse le chorégraphe avant de lancer de nouveau la musique. Les danseurs entrent en scène main dans la main, liés comme les maillons d’une chaîne. C’est « Rainbow ’round my shoulder ». L’œuvre du chorégraphe noir américain Donald McKayle, raconte une histoire d’esclaves à travers leurs souffrances et leurs rêves d’une femme, qui peut être soit la mère, la sœur ou l’être désiré. Ces trois-là sont interprétées par une seule et même danseuse. Le tout avec beaucoup de poésie, dans une mise en scène où chaque geste a son importance.

Second extrait : « Roots d’Eleo Pomare ». La reine déracinée de sa terre d’Afrique, l’esclave qui voit un corps pendu sur la musique de « Strange fruit » (le célèbre poème chanté par Billie Holiday qui décrit la pratique du lynchage dans le sud des Etats-Unis et parle des corps pendus aux arbres comme des fruits étranges) et enfin la descendante, celle qui va se battre pour des droits, sont interprétées par deux autres danseuses.

Ce qui frappe d’emblée, c’est la mixité des danseurs ! On aurait pu penser que tous les danseurs seraient noirs. Mais non. On trouve même un sosie du rugbyman Sébastien Chabal. « Le message est universel, c’est une souffrance qui a été ressenti un peu partout dans le monde. On a connu les bagnes en Afrique mais aussi en Allemagne ou encore en Guyane », explique le chorégraphe. Cependant, Leslie Dayan, une autre chorégraphe américaine qui a travaillé avec eux, ne voulait que des danseurs noirs. « C’était important pour elle, intervient Iris, la plus jeune des danseuses. Elle voulait que les racines des danseurs soient les mêmes que ceux qui ont vécu la chose et puis elle nous demandait de faire un vrai travail au niveau de nos origines. » « Je ne suis ni noire ni américaine, lance à son tour Cathy, mais ça ne me semble pas si étrange de danser dans ce ballet, qui me parle et me touche. »

Cet avant-goût des ballets était avant tout destiné aux jeunes de Pantin et environs. Patricia, 21 ans, chorégraphe d’un groupe de Hip Hop du 19e arrondissement de Paris, « Body and Soul » : « J’ai vraiment beaucoup aimé les technique de danse du spectacle. Chaque geste voulait dire quelque chose, tout était bien placé. Mais j’avoue avoir préféré la partie des garçons parce que j’aime beaucoup l’effet de groupe. Les solos étaient aussi vraiment bien. J’ai senti une présence. Etant moi-même danseuse, j’aime aller voir comment ça se passe chez les autres, c’est toujours intéressant. »

Iris la jeune danseuse, est ravie : « C’est un honneur d’avoir dansé aujourd’hui et d’avoir travaillé avec ces chorégraphes. J’ai moi-même fait un travail énorme sur la recherche de mes origines (elle est d’origine guyanaise). Il suffit de me regarder, je n’ai pas la peau tout à fait noire… Ça a changé ma vie et ma vision de voir les choses. » Julien le blond et David le brun sont d’accord pour dire que « c’est agréable de danser dans un ballet qui veut vraiment dire quelque chose et qui en vaut vraiment la peine »« Je suis vachement touché par cette histoire, confie Julien, cherchant ses mots. Je ressens la difficulté de l’existence. »

Rick Odums le chorégraphe, qui vit dans l’Hexagone depuis 1979, dit être « fou de Rainbow ’round my shoulder depuis tout petit ». « J’ai dansé dans ce ballet plus jeune. C’est un rêve, tout ça, sourit-il. C’est la première fois que ce ballet est montré en Europe et c’est la première version française. Jusqu’à présent, les grandes institutions ne s’intéressaient pas à la danse noire. » L’effet Obama? « Non, je ne pense pas. Je travaille sur ce projet depuis novembre 2007, mais comme on dit, l’heure c’est l’heure, il y a des choses qui tombent à pic. »

Ndembo Boueya et Mathy Mendy

Représentation ouvertes au public, du 1 au 4 avril. En attendant, une exposition se tient dans le hall du bâtiment, jusqu’au 7 avril. Centre national de la danse, 1, rue Victor-Hugo, 93507 Pantin. RER E Pantin. http://www.cnd.fr/

Ndembo Boueya

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