Steve Tientcheu habite la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. Il a un secret qu’il cache à ses potes et à son entourage. Il se rend régulièrement à Paris. Non pas pour suivre une vague formation en audiovisuel comme il prétend mais pour rejoindre le Cours Simon avec l’espoir de réaliser son rêve : devenir comédien professionnel. Alice Diop, jeune documentariste de 31 ans, également originaire d’Aulnay-sous-Bois, a fait de cette aventure un long métrage, intitulé La mort de Danton, et présenté vendredi dernier dans la catégorie Contrechamp français du 33e Festival international de films documentaires, « Cinéma du réel », au Centre Beaubourg à Paris.

Pendant ces trois années, Alice Diop n’a pas lâché Steve d’une semelle dans l’apprentissage de son métier. A chaque répétition, à chaque confrontation avec le public ou avec les professeurs, à chaque moment important comme la rencontre de Steve avec un agent artistique, elle est là. Dans les moments difficiles, elle est aussi à ses côtés. Parfois, elle le questionne et sa parole devient voix off. Alice Diop pousse Steve à s’interroger sur ce qu’il vit et à se livrer quand ils se retrouvent en tête à tête devant la caméra. Car pour Steve, 24 ans, au physique aussi imposant qu’un boxeur catégorie poid-lourd qui aurait raccroché les gants, ce passage au Cours Simon est une véritable épreuve. Seul élève noir, à venir d’un quartier « chaud », il n’arrive pas à faire corps avec le reste de la troupe et reste très en retrait.

« Des fois, j’me sens pas à ma place. Eux et moi, on est pas pareil ». Lui et ses camarades ont grandi dans le même pays mais il a l’impression de ne pas faire partie du même monde. Et ceux qui discutent avec lui ne cessent de lui rappeler que son physique « armoire à glace » et sa personnalité impressionnent. Pourtant, Steve en plus d’une grande timidité qu’il domine sur les planches souffre d’un mal universel, qui, pour lui, n’a rien à voir avec son parcours chaotique du mec d’un quartier difficile qui a fait des conneries de jeunesse. Il manque de confiance en lui.

Un manque de confiance qu’il vit comme un handicap, qui le plonge parfois dans un grand désarroi et l’empêche de s’imposer auprès des autres et des intervenants du Cours Simon. « Le problème, c’est moi » confesse-t-il.  Mais ce qu’il ne semble pas voir et qu’Alice Diop révèle aux yeux des spectateurs, c’est le carcan dramatique dans lequel ses professeurs l’ont enfermé. Depuis son arrivée au Cours Simon, ils ne distribuent Steve que dans des rôles écrit pour des noirs (indigène, militant des droits civiques américains, gangster du ghetto…).

Pourtant, lui rêve d’incarner Danton et réciter sur scène le discours prononcé avant son exécution mais il n’aura jamais l’audace de réclamer ce rôle. Pour le spectacle de fin d’études au Théâtre du gymnase, il jouera celui de Morgan Freeman dans Miss Daisy et son chauffeur puis se glissera dans les coulisses pour suivre l’interprétation du révolutionnaire guillotiné par le camarade qui a eu le rôle, les yeux remplis d’envie déçue.

Plus que l’histoire du parcours hors norme de Steve qui vient de signer son premier contrat d’engagement pour la série Braquo d’Olivier Marchal, diffusée sur Canal+, et dans laquelle il joue un braqueur, le documentaire d’Alice Diop parle avant tout des préjugés. De tous les préjugés. Ceux dont souffre Steve, ceux qu’il se créé aussi et de la violence morale et des incompréhensions qu’ils génèrent. Et quand il avoue enfin à ses amis de la cité qu’il prend des cours de théâtre à Paris, d’autres préjugés tombent : ceux sur la réaction supposée de ses potes. Car chez ceux qui l’apprennent, plus que les vannes, c’est la fierté et l’admiration qui dominent : « Ça fait plaisir… C’est bien ce que tu as fait là. Au moins à 27 balais, t’as pas dormi… Wallah, Félicitations ! »

Car l’autre tour de force de La mort de Danton est de montrer la difficulté d’abattre ces murs invisibles et les barrières mentales qui entourent un quartier comme les 3000 d’Aulnay-sous-Bois et qui le rendent, quelque soit le côté du périphérique d’où on le regarde, comme une forteresse infranchissable pour ses habitants comme pour les autres…

Sandrine Dionys

En savoir plus : Entretien avec Alice Diop

Projections-débats Hors les murs en présence de la réalisatrice
Samedi 2 avril à 14h30 à la Maison des Metallos à Paris XI°
Mardi 5 avril à 20h30 au cinéma l’Etoile à La Courneuve
Jeudi 7 avril à 20h00 à l’Espace 1789 à Saint-Ouen
Vendredi 8 avril à 20h00 au cinéma Louis-Daquin au Blanc-Mesnil

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