Le Bondy Blog : Vous êtes productrice du film documentaire « Partir ? » réalisé par Mary-Noël Niba, qui raconte le parcours de migrants économiques d’Afrique subsaharienne. Pourquoi ce choix ? 

Laurence Lascary : Quand j’ai découvert l’histoire, j’ai trouvé qu’il y avait une vraie singularité dans l’approche de ce sujet. Les migrants font partie de notre quotidien, il y a des drames. Je les vois tous les jours en voiture dans la rue aux portes de Paris, dans des situations ultra-précaires. On les côtoie sans le savoir. Ils travaillent clandestinement dans la restauration ou ailleurs. Mary-Noël Niba donne la parole à ces personnes, elle nous fait découvrir leurs trajectoires. On est plus familier avec ceux qui fuient la guerre, mais les migrants économiques on les entend moins. Ceux qui viennent en Occident pour tenter de s’épanouir et subvenir aux besoins de leur famille. Elle leur a donné la parole et de la dignité, c’est ce qui m’a saisie. 

Aujourd’hui, beaucoup d’Africains considèrent qu’il est impossible de s’épanouir dans leur pays d’origine. Il faut aller voir du côté de la colonisation, de la mondialisation pour trouver des réponses à ce phénomène

Le Bondy Blog : Quel est votre personnage préféré dans ce film et pourquoi ?

Laurence Lascary : Le personnage de Guy Roméo Amougou m’a intriguée car il a décidé de venir en France pour percer dans le monde du rap. Il voulait rencontrer son idole, le rappeur Mac Tyer, pour qu’il l’aide. Cela a un côté magique de voir à quel point un individu peut être transcendé par ses rêves. En même temps, c’est de la folie car le périple de Guy Roméo a duré quatre ans. Il est passé par le désert, la Libye, il a vu des gens mourir et il est arrivé en France. Mais à quel prix ? Il a laissé une partie de lui-même en route, et aujourd’hui il bénéficie d’un soutien psychiatrique. Est-ce que tout cela en vaut réellement la peine ? Aujourd’hui, beaucoup d’Africains considèrent qu’il est impossible de s’épanouir dans leur pays d’origine. Il faut aller voir du côté de la colonisation, de la mondialisation pour trouver des réponses à ce phénomène. 

Le Bondy Blog : Les situations de ces migrants vous ont-elles personnellement touchée ?

Laurence Lascary : J’ai croisé des personnes sans-papiers, peut-être à une période où les choses étaient plus simples. Enfin, si on peut dire qu’elles l’ont été un jour. Que l’on ait côtoyé ou pas des sans-papiers, les personnages du documentaire nous touchent car la réalisatrice a réussi à restituer leur humanité, on peut s’identifier à eux.

Cela demande du courage de rentrer chez soi car la ‘mission’ initiale était de ne pas rentrer sans avoir réussi

Le Bondy Blog : Pour vous, quel est le passage le plus important du film ?

Laurence Lascary : Très bonne question. Le plus important selon moi, le passage qui m’a le plus touchée, c’est quand le sociologue sénégalais Aly Tandian dit qu’il invite chacun à prendre ses responsabilités. Le message, c’est d’arrêter d’entretenir le mythe d’une Europe idéalisée où tout serait plus facile, notamment auprès des plus crédules. Ce que j’ai aimé aussi, c’est le passage où Stéphane – un des protagonistes – raconte les emplois parfois sordides qu’il a dû occuper, car les Occidentaux ne veulent pas voir les sans-papiers mais sont bien content de les trouver pour faire le sale boulot. 

Le Bondy Blog : Quelles réactions espérez-vous susciter avec ce film ?

Laurence Lascary : On a envie que ce film suscite le débat et qu’il pose la question du futur de l’Afrique subsaharienne. On a envie d’insuffler de nouvelles idées et de changer le regard, de montrer qu’il est possible de s’y épanouir. Sur les cinq protagonistes, il y en a quatre qui ont fait le choix de rentrer chez eux. Ça ne vaut pas le coup de dépenser des sommes faramineuses, de gâcher des années de sa vie à faire des boulots que personne ne veut faire et d’être considéré comme un sous-homme. Rentrer au pays sans un sou en poche alors qu’on était censé aller en Europe et revenir comme une star, ça traumatise. Cela demande du courage de rentrer chez soi car la « mission » initiale était de ne pas rentrer sans avoir réussi. 

Ceux qui ne se sentent pas concernés ont tort. C’est l’un des sujets majeurs, si ce n’est le sujet majeur du 21ème siècle

Le Bondy Blog : Comment comptez-vous toucher la part du public français qui se sent bien loin de tous ces problèmes ?

Laurence Lascary : Ceux qui ne se sentent pas concernés ont tort. C’est l’un des sujets majeurs, si ce n’est le sujet majeur du 21ème siècle. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’ONU : c’est un défi majeur. On fera de notre mieux pour mobiliser la presse sur notre film. C’est une vraie question que vous me posez. Il faut communiquer auprès des bonnes cibles, des gens intéressés par ce sujet, par les documentaires. En même temps, on sait que cette cible est plus restreinte, élitiste, intellectuelle. On veut aussi susciter le débat sur le sujet à travers des projections-débats. On pourra aller à la rencontre d’un plus large public par la suite. 

Le Bondy Blog : Comptez-vous diffuser le film en Afrique ?

Laurence Lascary : C’est notre objectif. On voudrait déjà le finir puis le présenter au Burkina Faso, dans le cadre du FESPACO [Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou, ndr]. C’est le plus grand festival d’Afrique francophone. 

Le Bondy Blog : La production de ce film a-t-elle été un parcours difficile ? Vous avez investi votre propre argent ?

Laurence Lascary : Je ne m’attendais pas à ce que cela soit aussi difficile. Suite au succès du film Ascension que j’ai produit, nous avons généré du fonds de soutien du CNC – Centre nationale du cinéma et de l’image animée – qui prélève une taxe sur chaque entrée au cinéma. Une partie est reversée au producteur. J’ai donc investi une partie de cet argent mais ça n’a pas couvert la totalité du budget. Toutes les aides que nous avons sollicitées nous ont été refusées. Cela pose la question des commissions qui attribuent ces aides. Peut-être que les membres n’ont pas trouvé digne d’intérêt notre film car c’était un sujet africain porté par une femme africaine ? 

Le Bondy Blog : Pour rebondir sur ce que vous venez de dire, est-ce que vous pensez qu’en tant que femme de couleur et productrice, cela a été plus difficile pour vous de collecter les fonds ?

Laurence Lascary : C’est un métier qui est difficile, c’est dur pour tout le monde. Maintenant, ce qui est sûr c’est quand on débarque dans ce secteur sans contacts, avec peu de moyens et des projets complexes, c’est encore plus difficile. Mais bon, ce n’est pas grave. Je n’étais pas attendue sur des films commerciaux, pourtant j’ai produit L’Ascension. Là, c’est pareil avec ce film d’auteur, je n’ai pas les réseaux mais je suis portée par mes convictions. 

Je crois au fait de pouvoir changer les choses avec le divertissement

Le Bondy Blog : Pour promouvoir ce film, avez-vous contacté des associations de solidarité et d’aide aux migrants et réfugiés ?

Laurence Lascary : On est en train de s’ouvrir et de contacter ce genre d’associations. C’est un peu délicat a priori car certaines pourraient être perplexes face à notre approche. Ces associations veulent avant tout accueillir ces réfugiés. Quand on amène de la complexité, on peut déstabiliser ces acteurs qui sont habitués à un rapport de force plus binaire. Soit on veut accueillir les réfugiés soit on ne veut pas les accueillir. Mais vraiment, on commence à peine à les contacter, je ne sais pas à quoi nous devons nous attendre. 

Le Bondy Blog : Dans le futur proche, vous avez d’autres projets du même type ?

Laurence Lascary : Les documentaires, c’est tellement éprouvant, je ne vais pas en faire tous les quatre matins. On se sent seul, les partenaires économiques attendent que le film soit terminé pour le voir donc ce sont des risques importants pour la société de production. En revanche, je continuerai à faire les films qui, je l’espère, auront un impact sur les spectateurs. Je crois aussi au fait de pouvoir changer les choses avec le divertissement, insuffler des idées fraîches comme on l’a fait avec le film L’Ascension.

Le Bondy Blog : En un seul mot, quel est le message du film ?

Laurence Lascary : Afroptimisme ! 

Propos recueillis par Natalia ODISHARIA

 

Pour participer à la campagne de financement du film documentaire Partir ? et avoir plus d’informations, c’est ici: https://www.kisskissbankbank.com/fr/projects/partir–3

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