Un soir de 1985, des amis, juifs, pieds-noirs, musulmans originaires du Maghreb, « une belle tchoutchouka » comme le souligne Georges Morin, assistent, impuissants, à la montée de la xénophobie. L’ancien instituteur né à Constantine préside l’association Coup de Soleil, créée dans la foulée de ce soir-là. Pour éradiquer « le cancer du racisme » – nous sommes dans les années d’ascension du Front national –, cette assemblée de copains décide de promouvoir la littérature maghrébine. Cela donnera très vite le Maghreb des livres.

Encouragé par l’écrivain algérien Rachid Mimouni aujourd’hui disparu, Georges Morin organise depuis seize ans cet évènement littéraire. A chaque édition et à tour de rôle, un pays du Maghreb central (Maroc, Algérie, Tunisie) est mis à l’honneur. Cette tradition a été instituée en 2001. Bertrand Delanoë, qui vient d’être élu maire de Paris, met à disposition les salons de l’Hôtel de ville pour accueillir la manifestation. Pour le remercier, sa Tunisie natale est intronisée pays d’honneur. En 2003, c’est l’Algérie, dans le prolongement de l’Année de l’Algérie en France. Le Maroc s’intercale naturellement entre les deux.

Cette année encore, l’accent est mis sur l’Algérie. Hasard du calendrier, on commémore le cinquantième anniversaire de la disparition d’Albert Camus, les quinze ans de la mort de Rachid Mimouni et les vingt du décès de Kateb Yacine.

Cent vingt-six auteurs sont conviés. En plus de la production française, 1100 livres édités au Maghreb seront proposés aux lecteurs. Des nouveautés parues de l’autre côté de la Méditerranée. Des parutions en arabe mais aussi en tamazight complètent l’offre de littérature maghrébine que les visiteurs pourront découvrir

Le Bondy Blog s’associe à cette manifestation. Samedi et dimanche, nous allons nous faufiler dans les moindres recoins de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration pour partager nos rencontres, des histoires. Nous serons aussi présents pour raconter les coulisses, saisir l’ambiance et faire vivre par nos mots ce grand évènement littéraire. Que vous soyez néophyte ou passionné de littérature, nous vous entraînerons dans notre voyage, à travers notre regard subjectif, au cœur des richesses de la littérature maghrébine. Le week-end sera rythmé par nos billets, saisis sur le vif.

L’évènement littéraire prend ses quartiers dans un lieu symbolique dont l’ambition est de souligner l’apport de l’immigration la France. La France et l’Algérie vivent des rapports passionnés. Une histoire d’amour et de désamour empreinte de cette « nostalgérie » décrite par les auteurs pieds-noirs. Cette histoire complexe est narrée en français. Un pli pris pendant la colonisation, que les auteurs contemporains n’ont pas défait. L’écrivain Kateb Yacine considérait la langue française comme une conquête à valoriser, un « butin de guerre ».

La tradition littéraire algérienne prend sa source dans la colonisation. Aux premières heures de l’Algérie française, l’Orient faisait rêver et nombreux sont ceux qui ont voulu retranscrire l’exotisme des femmes, l’atmosphère et la beauté du pays colonisé. Eugène Fromentin, Alphonse Daudet, les frères Goncourt, Gustave Flaubert et André Gide se sont essayés à l’orientalisme et ont retranscrit une vision idéalisée du pays conquis. Durant l’entre-deux guerres les auteurs algériens se saisissent à leur tour de la littérature et décrivent leur réalité.

La dimension testimoniale y est prégnante. Parfois élaborée, parfois naïve, cette littérature se veut le reflet d’un univers qui se caractérise d’abord par son étrangeté pour le lecteur européen. Etrangeté qui sera même le principal motif de la lecture de ce dernier. C’est pour découvrir une culture maghrébine qui leur est étrangère, mais par laquelle ils sont concernés dans le fonctionnement politique français, que les lecteurs s’intéressent à ses textes.

On a coutume de considérer que le premier texte littéraire maghrébin de langue française important est de peu antérieur aux débuts de la Guerre d’Algérie. Ce texte, « Le Fils du Pauvre » de Mouloud Feraoun paru en 1950, mais composé dès 1939, est une autobiographie au déguisement volontairement transparent d’un instituteur issu de la paysannerie kabyle pauvre.

Cette littérature se garde d’émettre des critiques trop virulentes à l’égard des colons, certains écrivains ayant des amis parmi les Pieds-Noirs. On songe ainsi à l’amitié profonde qui lie Emmanuel Roblès et Mouloud Feraoun, condisciples à l’Ecole normale. Il ne s’agit pas d’attiser les rancœurs mais de crever un abcès. Cette littérature agit comme un exutoire mais reste une littérature de compromis. Compromis entre le silence et la dénonciation violente des vexations subies en Algérie par les colonisés. Les paroles restent prudentes, il n’y a pas de revendications nationalistes claires.

Cette tradition de littérature de combat se poursuit après l’indépendance. Bon nombre d’écrivains contemporains comme Maïssa Bey, Yasmina Khadra, Leïla Sebbar, Assia Djébar se replongent dans ce « passé qui ne passe pas » et utilisent la période coloniale comme toile de fond à certains de leurs romans. Lorsque l’histoire de l’Algérie s’écrit en lettres de sang dans les années 90, les écrivains payent un lourd tribut à l’islamisme. Une décennie douloureuse qui traverse les romans de ces auteurs comme Boualem Sansal, Rachid Boudjedra ou Aziz Chouaki.

Les femmes aussi prennent la plume pour dénoncer les maux dont elles sont victimes. Les tabous religieux et sociaux sont dynamités dans ces ouvrages. Une littérature de combat qui ici prend tout son sens et son éclat.

Au-delà des incompréhensions, des non-dits, le Maghreb des livres offre une occasion de découvrir ou redécouvrir cette littérature foisonnante dont l’histoire reste intrinsèquement liée à celle de la France.

Faïza Zerouala

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