Au MC93 de Bobigny, théâtre, lecture, opéra et concert se côtoient tout au long de l’année. L’éclectisme des genres artistiques représentés est souvent inversement proportionnel à la diversité du public qui fréquente ce lieu. Dimanche 5 décembre, m’en allant assister à un concert de maloya organisé dans le cadre du festival Africolor, je m’attends donc à retrouver ce même public, plutôt parisien, plutôt intello et toujours fidèle aux programmations des théâtres nationaux de banlieues. Mais non, l’auditoire est à l’image du département qu’est la Seine-Saint-Denis : dans la salle Oleg Efremov, tour de Babel 2010 version boule à facettes, on entend parler créole, français, wolof et anglais !

Huit cents personnes se sont déplacées pour écouter un concert donné par le groupe réunionnais Groove Lélé (photo), accompagné du violoncelliste hollandais Ernst Reijseger et du chanteur sénégalais Mola Sylla. Un violoncelle sur des airs de maloya ? Et pourquoi pas… Le maloya est un genre musical typique de l’île de La Réunion et originellement interprété par les esclaves. Longtemps considéré comme iconoclaste en raison entre autres de sa dénonciation du colonialisme et de ce fait, interdit dans le département d’outre-mer jusque dans les années 1970, il associe chant exclusivement en créole, danse et instruments de musique (tambour, kayamb, roulèr, etc.) qui font boum, boum, boum.

Bref, l’emploi d’instruments à corde tels que la guitare, l’alto ou le violoncelle relève du sacrilège en maloya. Or le groupe Groove Lélé, en choisissant d’introduire un instrument plus attendu dans des concerts de musique de chambre, a non seulement ravi le public qui ne s’attendait guère à un tel métissage musical mais aussi bouleversé les traditions instrumentales propres au maloya. C’est une petite révolution qui s’est ainsi opérée au MC93 de Bobigny devant un public ébahi.

Le public, parlons-en. La Maison de la culture ce dimanche après-midi, ce sont des centaines de têtes chauves ou chevelues, blondes ou crépues, avec des dread locks ou reluisantes de gel qui remuent en tous sens. Ça danse, ça applaudit, ça rit dans une ambiance familiale et bon enfant que je n’avais pas encore eu l’occasion de voir au MC93 avant cette date.

Après une heure de danse effrénée, l’entracte arrive presque comme un cheveu sur la soupe. Les gens en profitent pour se désaltérer avec une bonne dodo (la bière locale réunionnaise) et grignoter quelques spécialités de l’île Bourbon (ancien nom de la Réunion) vendues dans le hall. A peine le temps d’avaler tout ça qu’une sirène retentit. Les spectateurs regagnent leur siège ou plutôt se tiennent debout devant celui-ci en vue de reprendre leur pas de danse et de pousser à nouveau la chansonnette.

C’est Daniel Hoareau en personne (Danyèl Waro en créole), illustre chanteur de maloya, qui assure la seconde partie de ce concert, lui à qui le prix Nobel 2008 de littérature Jean-Marie Le Clézio a rendu hommage dans son discours de réception à l’académie de Suède. Ce n’est pas rien, quand même. Il interprète plusieurs de ses classiques, slame, danse, parle surtout en créole, plus rarement en français mais s’amuse autant que son public dans la salle. Je jette un coup d’œil à ma montre : il est déjà 19 heures et j’ai l’impression que le spectacle vient à peine de commencer alors que nous sommes arrivés à 15h30. « Ça passe trop vite ! » regrette une demoiselle debout derrière moi.

Rassurez-vous ! Le festival Africolor se poursuit jusqu’au 24 décembre dans diverses salles de spectacle du département (Montreuil, le Blanc-Mesnil, Achères). Alors, si vous avez envie d’entendre du maloya, genre musical classé au Patrimoine mondial immatériel de l’Unesco (rien que ça !), de vous laisser entraîner sur les rythmes des tambours mandingues du Mali ou de vous initier à l’électro métisse, dans une ambiance conviviale, c’est au festival Africolor qu’il faut aller.

Gaëlle Matoiri

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