« Mais comment il va faire ? », s’inquiète le rappeur Soprano à propos du collectif de chansigne Integraal, pendant les répétitions du Hip-Hop Symphonique. « J’ai déjà fait Eminem en langue des signes ! », lui sourit Vincent aka VinzSlam, les deux pieds campés sur la scène de l’auditorium de Radio France.

Pour les profanes, le chansigne est une expression artistique en langue des signes, en rythme ou en musique. Ce soir, les chansigneurs accompagnent les artistes et traduisent les paroles en langue des signes. Le live a eu lieu mercredi 16 novembre à l’auditorium de Radio France. Elle sera rediffusée à partir du 21 décembre sur la radio Mouv’, et le 11 janvier prochain sur Canal+.

Sur la scène de l’auditorium, VinzSlam a interprété en langue des signes les morceaux Bruce Lee de Soprano et Windsor de Fianso. VinzSlam a aussi chansigné un morceau de Gazo, et Chop, le tube du gagnant de l’émission Nouvelle Ecole diffusée sur Netflix : Fresh LaPeufra.

J’ai déjà fait Eminem en langue des signes !

Une fierté pour VinzSlam, second chansigneur sourd à se produire sur cette scène. « On est des passeurs de sens », précise la chansigneuse, Elodia. « Le but est que les personnes sourdes et signantes (pratiquant la langue des signes, NDRL) comprennent les propos des rappeurs », complète Laurent aka Erremsi, rappeur et manager de l’équipe. Sur scène, ils incarnent l’artiste. Ils regardent des interviews, ils apprennent à le découvrir. Chaque chansigneur a son identité donc il y a une grande part de créativité. » 

Réconcilier les mondes pour un soir

Le mariage du hip-hop et de la musique classique peut paraître, lui aussi, audacieux. Un a priori que rejette Soprano qui se produit pour la première fois à Radio France. Le Marseillais le rappelle : le sample de musiques classiques existe depuis la naissance du rap. « Avec Psy4, je samplais déjà du classique. On rappait sur les instrus de Mob Deep », se souvient-il.

Le chansigneur, Vinzslam, qui signe le morceau Chop de Fresh la Peufra. © Christophe Abramowitz

L’autre union, avec les chansigneurs, a lieu ce soir . Une nouveauté pour les rappeurs et rappeuses. Ces mondes n’ont pas l’habitude de se rencontrer. Erremsi, rappeur né de parents sourds, aujourd’hui manager du collectif Integraal, fait le pont : « Je rappe depuis mes 10 ans, et la langue des signes, c’est ma langue maternelle ».

J’ai choisi d’interpréter Hiro parce que c’est un morceau qui a du sens, et j’étais heureux qu’il soit compris par tous.

Entre artistes et chansigneurs : s’adapter à l’autre

Lors des répétitions, ces deux mondes ont dû accorder leurs violons. En effet, les artistes rap sont habitués à être seuls sur scène, et à se lancer dans des improvisations. Une coordination de dernière minute s’est donc jouée, compliquant le travail des chansigneurs. 

« La traduction du français vers la langue des signes, ce n’est pas du mot pour signe. C’est aussi un travail d’équipe, on débat sur chaque phrase, chaque mot, chaque double sens. Il n’y a pas d’impro dans notre travail. Les chansigneurs doivent apprendre toutes les chansons par cœur ! », détaille le manager du collectif Integraal. Il reste aux petits soins pour toute son équipe, caméra à la main pour ne louper aucune prestation.  

Le collectif de chansigne, Integraal, pendant les répétitions du Hip-Hop Symphonique. © Anissa Rami

Après quelques balbutiements, c’est une rencontre réussie sur cette scène impressionnante. « J’ai choisi d’interpréter Hiro parce que c’est un morceau qui a du sens, et j’étais heureux qu’il soit compris par tous. La chanson Racines où je parle de racisme, quand je l’ai vue l’interpréter pendant les répétitions, j’ai eu des frissons », raconte ému Soprano, qui a remercié les chansigneurs à chacune de ses prestations.

Un autre monument du rap a souhaité mettre en lumière leur travail : Fianso. À sa demande, il a appris a dire « c’est la loi » en langue des signes pour interpreter le morceau d’Elodia à ses côtés. Un moment fort du show où les deux artistes côte à côte ont partagé la scène en chansigne.

Fianso pendant le morceau « C’est la loi », aux côtés de la chansigneuse Elodia. © Emilie Vetter

« On le fait pour que des sourds entrent dans ces lieux » 

Au premier rang du spectacle : les parents d’Erremsi, qui suivent du regard la traduction des chansigneurs et les prestations des 14 artistes qui se succèdent, sourires aux lèvres. À leurs côtés, une vingtaine de collégiens, lycéens et étudiants, sourds et malentendants, vivent un moment trop rare. Ils ponctuent chaque morceau en agitant les mains en l’air.

C’est la première fois que je vais voir un concert avec mon frère.

« C’est la première fois que je vais voir un concert avec mon frère », témoigne en langue des signes Nisrine, étudiante en littérature, et vice-présidente de l’association Sourd’iants. Conquise par la performance des artistes, elle se réjouit de vivre ce moment en famille : « Mon frère est entendant, il est passionné de rap, il va être trop content ! »

Artistes et chansigneurs ont salué ensemble le public pour clôturer cette septième édition.

« Habituellement, on sent les vibrations mais ça ne suffit pas. Avec le chansigne on comprend vraiment le sens. Les différentes interprétations en chansigne transmettent beaucoup d’émotions », se réjouit Shane, jeune comédien sourd, à la sortie du spectacle. Un show qu’il espère un jour vivre sur la scène : « C’est comme un rêve. Mais ce n’est pas un jeu, je dois d’abord découvrir les techniques du chansigne. »

« Pour nous, le plus important c’est l’éthique, pas l’esthétique »

Des propos qui résonnent avec les objectifs du collectif Integraal, que transmet Erremsi : « On refuse de chansigner un concert s’il n’y a pas de sourds signants dans la salle. Hors de question que je fasse du folklore. On le fait pour que des sourds entrent dans ces lieux et soient considérés. Pour qu’ils se disent que, eux aussi, peuvent être sur cette scène. »

Cette septième édition du Hip-Hop Symphonique est entièrement filmée. Elle sera diffusée en décembre sur la radio Mouv’, et le 11 janvier prochain sur Canal+. Une diffusion de l’évènement qu’Elodia regrette ne pas voir traduite intégralement en langue des signes : « Pour la télé, on est là pour faire joli ! Mais pour nous le plus important c’est l’éthique, pas l’esthétique. » 

Anissa Rami.

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