Un soir, durant une de mes tournées de livraison (marchandise honorable, soyez rassurés) dans le 95, entre Beauchamp et Enghien-les-Bains, agacé par ce silence de mort et la solitude, j’allume la radio. Je dirige la fréquence du bout du doigt et me retrouve sur une station musicale pour jeunes, plus précisément pour ados. Et là ! Et là ! Et là ! Je tombe sur une Chose ! Selon mes critères, je définirais cette Chose comme… un navet. Un morceau de musique rap complètement déplumé de toute profondeur aussi bien dans l’instrumental que dans les textes. Ça parle de « dernier parfum à la mode », des « dernières Gucci », de « pain de mie ». Bref, ayant quand même un certain respect pour le travail qu’ont fait ces bons hommes dans le passé, je ne révélerai pas leur identité.

Ah ! Le passé du rap, justement. Beaucoup le regardent avec des yeux humides et nostalgiques. Time Bomb, La Cliqua, 45 scientific… A ce sujet, si vous pensez que le propos de ce papier est de dire « le rap c’était mieux avant », je vous préviens que vous faites fausse route. Peut-être le premier paragraphe vous aura-t-il induit en erreur : toutes mes excuses, ce n’étaient que des mesures d’échauffement pour mon poignet, test micro ! Check ! Ok, c’est parti !

En se promenant sur les forums hip hop des sites spécialisés, on tombe fréquemment sur les mêmes critiques à l’envers de la tournure qu’a connue le rap : « C’est que du bizness », « c’est commercial », « ils se prennent pour des gangsta, mais c’est que des bouffons »… Ces critiques sont empreintes d’une dose de naïveté inquiétante. Nan mais franchement, faut se réveiller ! Où se trouvent la plupart des rappeurs « bankable » ? Dans des grosses maisons de disques, des « majors » comme on dit. Peu importe le type de contrat qui lie ces rappeurs (en licence ou autre), ils se trouvent dans un système qui va au-delà du rap, c’est le monde des « billets violets » et autres « easy money ». Donc forcément ils doivent adapter leur approche de manière commerciale (ce mot en fait fuir beaucoup).

La stratégie a bien été résumée par Joey Starr dans une interview où il expliquait qu’il fallait faire un morceau « commercial », léger, pour attirer l’attention des gens vers leurs albums, où ils trouveront là des morceaux plus « digestes ». Et ils sont nombreux à le faire, si ce n’est tous.

Toutefois, on retrouve assez fréquemment des trajectoires échappant à cette logique que certains définissent comme « capi-capi-capi-capitaliste, égoïste et narcissique ». Les années 1999 et 2000 seront marquées par le premier véritable gros coup commercial du rap en structure indépendante, avec la sortie d’un album considéré comme le meilleur album du rap français encore aujourd’hui. Il s’agit de « Mauvais œil » du groupe Lunatic.

Des textes conscients, sombres, durs et crus qui leur ont fermé la porte des majors et des radios mais pas celle du succès. Au total, plus de 120 000 exemplaires vendus, grâce notamment à la structure indépendante qu’ils ont mise sur pied à l’époque et qui n’existe plus maintenant : le label 45 scientific.

Plus récemment et toujours dans la rubrique des rois de la débrouille, on retrouve un autre rappeur qui a surpris les charts en France, c’est LIM (à noter : ancien membre du 45 scientific) qui en 2007 au sein de sa propre structure Tousillicites production et avec l’album « Délinquant » est arrivé premier au top album et aujourd’hui est disque d’or à son tour. Ses textes sont également très crus et lui ont valu une diffusion très limitée sur les ondes. Voici pour cette liste non exhaustive de ces « HLM résidents », qui à la base ne sont que de simples passionnés et sont parvenus à déjouer tout un système. Passionnés par un art qui leur a ouvert une tribune leur permettant d’exprimer leur quotidien et par-là même, d’en vivre pour certains.

Petit malaise, quand même, tout petit malaise. Malgré le caractère assez exceptionnel de ces trajectoires, il est « surprenant » de constater la manière dont les médias (quotidiens, hebdos, télé, radios) font la sourde oreille au sujet de ces rappeurs, issus des quartiers populaires, avec tout le lot de difficultés sociales (ils ne sont pas « fils de », leur environnement n’est pas forcément propice à l’éclosion d’une carrière) et économiques que cela comporte. Il faut attendre 3 heures du matin pour voir les clips rap ou payer le câble pour avoir accès aux chaines spécialisées.

Au début des années 90 il y avait Rapline sur M6. A cette époque, le rap prenait doucement son envol. Pourquoi, au moment où ce genre musical rapporte de l’argent (beaucoup d’argent) et est écouté par une frange importante de la population, n’a-t-il aucune visibilité sur les plateaux télé ? Le service public n’ouvre pas ses portes à ces artistes qui représentent un auditoire qui paye la redevance. Au final, nous retrouvons aux côtés de Michel Drucker toujours les mêmes (en général ses potes) Johnny Halliday, Michelle Torr, Sheila… Des chanteurs quadruplement liftés qui pour la plupart nous ressortent leur morceaux d’il y a 20 voire 40 ans. Si bien que la télé française le samedi soir dégage une vieille odeur de cuir craquelé. Franchement, entre nous, qui regarde ces émissions ?

C’est une limite que le rap n’a pas réussi à dépasser, et malgré ses nombreux coups d’éclat, il semble que le microcosme de l’exception culturelle à la française ne veuille pas s’ouvrir à d’autres horizons et à d’autres codes. Comble de cette méconnaissance, le soir où Kery James a interprété « A l’ombre du show bizness », son morceau avec Charles Aznavour sur le plateau de l’incontournable et indécrottable Michel Drucker. A la fin de sa prestation, M. Drucker s’approche du rappeur et lui dit : « Merci d’avoir fait tes grands débuts avec Charles »… « T’es fooouuuuu toi » aurait pu lui répondre Kery James qui a sorti son premier album à l’âge de 14 ans. Cela fait plus de 10 ans qu’il rappe, qu’il remplit des salles, qu’il traverse la France, qu’il vend des disques ; de quels « grands débuts » M. Drucker parle-t-il ? Des débuts aux côtés du grand Charles, peut-être…

Quelle leçon tirer de tout cela ? Au-delà même du cadre musical du rap, la réussite de ces artistes doit être une source d’espoir, dans le sens où elle donne le goût de l’effort à nos concitoyens des ghettos. Par exemple, on peut ne pas apprécier les textes et la démarche artistique de certains, mais retirer du positif de leur réussite. Le Ghetto Fabulous Gang ou LIM sont un bon exemple, qu’on prenne leur démarche musicale avec du recul ou non. A force de travail et de foi en eux-mêmes, ils ont réussi à faire leur place. Même si dans leurs propos il y a beaucoup de déchets, il reste indéniable que derrière, il y a eu un travail de terrain qui a payé.

Mais maintenant, pour aller au fond des choses, croire qu’une musique va changer positivement nos quartiers relève de la folie. Ce n’est pas en criant sur scène « Lève ton point en l’air yyyeeeaaaaahhhhhh !!! » que la discrimination qui fait tant de mal aux quartiers populaires disparaîtra. Tout comme ce n’est pas en chantant un hymne aux banlieusards que l’on va faire d’eux des ingénieurs ou des PDG !

Jusqu’à preuve du contraire les principales inégalités et injustices se sont dissipées via le politique ou des actions concrètes. Rosa Park ne s’est pas mise à gesticuler et à se dandiner dans le bus pour obtenir le droit de s’installer où bon lui semblait. Malcolm X lorsqu’il prenait la parole, ne s’est pas mis à chantonner le chant des esclaves. TOI, qui es à fond dedans, arrête de croire que le rap va changer les choses, cela reste un art et de la musique. Lorsque Rohff vend 300 000 albums, tout part dans sa poche. Tu as beau crier comme un dingue durant ses concerts ou en écoutant son CD dans ta Fiat Panda, mon frère, quand tu passeras le palier de ton appartement ou de ta maison, tu seras toujours chômeur, dans la galère et incompris.

Lorsqu’il y eut les émeutes revendicatrices de 2005, on a vu Joey Starr venir nous apprendre à aller voter. C’était mignon. Mais je me souviens qu’avant que ça pète, il était surtout visible au côté de la Jet Set et n’en avait que faire des quartiers populaires. Cela me fait penser à ces artistes de la variet’ qui vivent 364…bon, allez, on va dire 360 jours, 360 jours sans se préoccuper des SDF et des pauvres et qui viennent chanter un soir pour récolter des fonds.

Non et non ! Le changement viendra de la capacité des lascars à se rassembler dans le cadre d’un projet commun, fait de politique et de respect. Alors, au lieu de brasser du vent au-dessus de ton cuir chevelu avec tes mains, baissent les et fais-en quelque chose de concret… Check !

Aladine Zaiane

Aladine Zaiane

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