La première fois qu’elle manipule un appareil photo, Lolita a six ans. « Je le partageais avec sa sœur », précise-t-elle en riant. À dix ans, sa tante lui en offre un pour elle toute seule. La fillette commence alors à photographier les membres de sa famille, un thème qui la poursuivra dans sa vie d’artiste.

Co-fondratrice de l’association “Les cousines”, Lolita Bourdet développe aujourd’hui « des espaces de création et d’échanges avec le public », à Montreuil. L’artiste visuelle conserve dans ses projets une patte singulière et un souci de l’autre. « La question du lien, c’est quelque chose qui m’habite beaucoup », explique-t-elle.

Son tout premier projet photo porte ainsi sur ses deux grands-pères, René et Jean. Le premier a eu mille vies : comédien, poète, chanteur de rue et metteur en scène. Le second était gardien de musée. « Il a une histoire complètement ouf ! De SDF sur les fouilles archéologiques des Jardins du Carrousel, il est devenu l’homme de main et de confiance du directeur du Louvre de l’époque. Puis gardien de musée avant d’être médaillé Chevalier des Arts et des Lettres », retrace Lolita.

Après avoir eu des vies « bien remplies », René et Jean décident de revenir s’installer seuls dans leurs maisons d’enfance respectives. « Ils se sont mis à accumuler des milliers d’objets qui peuvent paraître “à côté” pour certains, mais qui ont une valeur émotionnelle à leurs yeux. C’était limite maladif tellement il y en avait », raconte Lolita.

Alors qu’elle est en dernière année d’étude à L’École nationale supérieure d’arts de Paris Cergy, ses grands-pères vont se révéler être de parfaites muses. Lolita se met à photographier cette accumulation d’objets pour immortaliser leur art et leur rendre hommage. « Je me suis rendu compte qu’il y avait des objets qui étaient placés intentionnellement avec une visée poétique ou artistique, raconte Lolita. J’ai tripé sur le fait qu’ils tripaient eux-mêmes. » Un projet pour lequel elle remporte son premier prix avec LE BAL et qu’elle adapte en livre.

Culture punk et lutte des classes

Ses deux grands-pères ne sont pas les seuls artistes de la famille. Les parents de Lolita sont issus de la première génération de punks, son père était musicien et chanteur et sa mère, plasticienne. « Être punk, c’est une attitude rebelle de manière générale. Ça se traduit beaucoup par des codes vestimentaires, Mais c’est surtout un refus de la société de consommation et des normes préétablies », définit Lolita.

Avant de déménager à Montreuil, Lolita a vécu dans l’emblématique quartier de l’îlot Chalon, dans le 12ᵉ (Paris), jusqu’à ses 12 ans. Quartier historique d’immigration depuis la fin de la Première Guerre mondiale, il a été démoli dans les années 90. « On se trouve dans une situation où les administrations, par leur passivité, laissent pourrir un quartier pour ensuite faire une opération de rénovation au meilleur prix », expliquait Daniel Tartier, membre du comité de défense des habitants de l’îlot Chalon, dans une archive de l’INA.

Lolita a assisté à toutes ces luttes de l’intérieur, sa grand-mère et son père étant très investis en faveur de la préservation du quartier. Des luttes qui l’ont marquée et qui ne sont pas pour rien dans son obsession de garder une trace du monde qui l’entoure.

Les cousines : « Mettre nos forces en commun »

Après avoir été artiste freelance et intervenante dans un centre social, Lolita fonde en 2014, avec deux amies à elle, l’association Les Cousines, exclusivement féminine. « On voulait mettre nos forces en commun, le milieu de la photographie est un domaine très masculin et la plupart des collectifs sont majoritairement composés d’hommes », pointe-t-elle.

Le choix du nom de l’association résonne avec le côté familial et solidaire que souhaite impulser les trois artistes. « L’école avait été très compétitive. Nous, on avait plutôt envie d’être dans la bienveillance », insiste Lolita.

« Les cousines » s’installent à Montreuil avec l’ambition de monter des projets artistiques en incluant les habitant·es de la ville. Dans “The Big Project”, réalisé avec Charlotte Yonga au Morillon en 2017 et aux Ruffins en 2018, les habitant·es choisissent des objets ayant un lien avec leur histoire personnelle et les confectionnent à grande échelle. Les clichés immortalisant les habitant·es et leurs œuvres sont aujourd’hui accrochées en très grand format sur les façades de plusieurs bâtiments de leur quartier.

Photo issue de « The Big Project » réalisé avec Charlotte Yonga au Morillon en 2017

Aller vers les publics les plus fragilisés par la société et les valoriser dans les projets 

« Notre but, c’est d’aller vers les publics les plus fragilisés par la société et les plus en marge avec toujours pour idée de les valoriser dans les projets », détaille Lolita. Ce qui l’intéresse, c’est de construire et de créer avec la culture des habitants sur place : « On dit tout le temps qu’il faut ramener la culture auprès des gens comme s’ils n’en avaient pas eux-mêmes », s’indigne la jeune femme. « Pour moi, ramener la culture auprès des gens, ça veut plutôt dire se déplacer en tant qu’artiste et créer des projets à partir d’elles·eux ». En parallèle, elle organise des résidences et des formations à destination de jeunes artistes habitants en banlieue.

Lolita a récemment remporté des prix pour son dernier projet “Caravana obscura” sur le site des Murs à Pêche à Montreuil. Avec un appareil photo géant, équipé d’un labo argentique, elle enseigne les procédés de la photographie et réalise avec le public des portraits en noir et blanc. 30 ans après avoir eu son premier appareil photo entre ses mains, Lolita n’en a pas fini de tirer des portraits.

Noujoud Rejbi

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