Le Bondy Blog : Pour quelles raisons avez-vous eu envie de devenir comédien ?

Lucien Jean-Baptiste : C’est un rêve d’enfant. Petit, je faisais plein d’imitations. J’avais ça en moi. Malheureusement quand tu grandis en banlieue dans les années 70, tu n’as pas beaucoup de représentants. Jusqu’à mes 30 ans, j’ai toujours cru que le fait de devenir acteur n’était pas pour moi. J’ai vécu un drame personnel qui m’a permis de réaliser que je devais vivre mes rêves, je suis donc allé m’inscrire au Cours Florent, la vie a suivi son cours et j’ai réussi à jouer dans des films.

Le Bondy Blog : Vous avez travaillé dans l’événementiel avant de connaître le monde du cinéma. Que vous a apporté cette expérience ?

Lucien Jean-Baptiste : Ça m’a apporté deux choses. J’ai eu une vie. Une vie normale avant de devenir acteur puisque j’ai commencé à 30 ans. Toute expérience est bonne pour un acteur. Il faut vivre autre chose. Ce n’est pas comme si je n’avais fait que ça. Je sais ce qu’est la vraie vie. J’avais un poste de manager. Ça m’a aidé à diriger une équipe. Ça ne me faisait pas peur.

Le Bondy Blog : Pourquoi avez-vous accepté de parrainer la cinquième saison de Quartiers Lointains dont le thème porte cette année sur « l’image de soi » ?

Lucien Jean-Baptiste : Parce qu’on a besoin de faire évoluer les imaginaires. Ces jeunes auteurs et réalisateurs, c’est notre nouvelle vague à nous. On a besoin de voir leurs histoires. Ces jeunes ont besoin d’être soutenus pour faire évoluer le cinéma français.

S’il faut mettre des quotas, on met des quotas, quitte à les enlever après

Le Bondy Blog : Que pensez-vous de l’idée d’instaurer des quotas « diversité » dans le cinéma ?

Lucien Jean-Baptiste : C’est très bien et en même temps ce n’est pas bien. C’est toujours le même problème, même pour les femmes. Malcolm X disait « By any means necessary » [Tous les moyens sont bons, NDLR]. S’il faut mettre des quotas, on met des quotas, quitte à les enlever après. Mais il faut faire bouger les choses. Tous les gens qui sont contre auront beau dire qu’on est déjà assez représentés, mettons des quotas et on verra ce qui se passe. On l’a fait en politique pour avoir la parité et on voit encore qu’il n’y a pas assez de femmes.

Le Bondy Blog : C’est avec La Première Étoile, votre premier long-métrage de fiction, que vous êtes passé en 2009 derrière la caméra. Vous vous êtes offert votre premier rôle au cinéma.

Lucien Jean-Baptiste : C’est un épanouissement, la réalisation d’un rêve d’enfant. Au-delà de ça, c’est la possibilité de raconter mes histoires et aussi des histoires que moi seul pouvais raconter. Aujourd’hui il y a un problème de représentativité. On a l’impression de ne pas exister dans l’imaginaire du cinéma français alors que ce « nous », c’est les gens – et je n’aime pas ce mot-là – que l’on considère comme minorités visibles, diversité… Plein de mots pour cacher un mal-être d’une France qui a du mal à accepter son nouveau visage. Une France plurielle, qui n’est pas que comme dans les publicités. Le fait de faire mes films me permet de sortir de l’imaginaire et des codes classiques qu’on a l’habitude de voir au cinéma.

Quand tu grandis en banlieue dans les années 70-80, tu as trop tendance à faire des footballeurs et des rappeurs tes héros

Le Bondy Blog : Quand vous étiez jeune, avez-vous été inspiré par des acteurs ?

Lucien Jean-Baptiste : Tarzan (rires). Gamin, je me suis toujours identifié à des héros blancs. Les Noirs étaient sous-représentés dans le cinéma américain. Je ne comprenais pas pourquoi une fois arrivé à l’école, mes petits camarades m’appelaient Cheeta au lieu de m’appeler Tarzan, que j’imitais. C’était dur à l’école, alors qu’aujourd’hui on a quelques modèles comme Omar Sy ou Djamel Debbouze qui ont apporté un grand bol d’air, qui ont montré que c’était possible.

Chronologiquement j’ai du mal à m’identifier aux pauvres noirs qu’on voyait dans les films américains comme Autant en emporte le vent ou les Noirs de La Case de l’oncle Tom. Mais on a commencé à voir des gens comme Greg Germain, dans la série Médecin de nuit, Brahim Ghenaim dans la série Le Thé au harem d’Archimède, les premiers héros noirs. Après il y a eu Antonio Farcass, alias Huggy les bons tuyaux, Eddie Murphy, Denzel Washington. J’ai énormément d’admiration pour les acteurs français blancs que ce soit Delon, Ventura, Belmondo, Gabin, Pierre Brasseur, Fernandel, de Funès… J’adorais tous ces acteurs mais j’avais l’impression que ce n’était pas pour moi. J’avais comme une culpabilité à les admirer. Dès lors que j’ai découvert tous les acteurs noirs que je viens de citer, j’avais une sorte de légitimité.

Heureusement, les choses évoluent, certes lentement. Quand tu grandis en banlieue dans les années 70-80, tu as trop tendance à faire des footballeurs et des rappeurs tes héros. J’aimerais qu’aujourd’hui les jeunes se disent : « Non, il n’y a pas que le football ou le rap ».

Le Bondy Blog : 

Qu’avez-vous à dire aux jeunes ?

Lucien Jean-Baptiste : J’ai deux choses à dire. Il faudrait que les jeunes continuent à se battre en racontant leurs histoires. C’est la seule solution. Ça ne sert à rien de dire tout le temps : « Il n’ y a rien ». Il faut créer, il faut faire. On ne peut plus attendre, OK ? Il faut prendre le stylo et écrire. Deuxièmement, c’est très bien d’enseigner la musique au collège mais il faudrait aussi une heure de théâtre en classe pour que tous les jeunes puissent s’exprimer.

Propos recueillis par Olufemi AJAYI

Crédit photo : Manu Dorlis

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