Il a choisi le partage et l’écriture comme réconciliation. Il écrit pour le théâtre depuis plus de vingt ans et s’engage aussi quotidiennement auprès de jeunes qui rencontrent des difficultés d’insertion. Dans son tout premier roman Ma mère dit « Chut », un doigt sur les lèvres, Yakoub Abdellatif fait sans cesse dialoguer révolte et tendresse.

Le jeune garçon arrive en France à peine âgé de 5 ans avec ses parents et ses sept frères et sœurs. Sa famille, forcée de fuir l’Algérie durant l’hiver 1962 suite aux accords d’Évian, traverse la Méditerranée sur un paquebot avec en tout et pour tout deux valises, débarque dans le flot des rapatriés et trouve refuge au château de Poix-de-Picardie, avec 300 autres harkis, entassés, des dépendances aux écuries.

Cohabitation heureuse de deux communautés

Les textes d’inspiration autobiographiques parlent de la jeunesse de l’auteur, dont le père était harki, et les proches de sa mère des fellagas. C’est l’histoire d’une immigration qui nous est proposée dans Ma mère dit « Chut ». Une immigration racontée à travers les yeux d’un enfant. Dès les premiers lignes, le personnel prend toute la place. Yakoub Abdellatif retrace l’origine de son prénom, celui du prophète Jacob : « c’est celui qui est monté au ciel pour se battre contre un ange et qui en est redescendu avec une jambe blessée, boiteux ».

Sans jamais tomber dans la facilité, Yakoub Abdellatif raconte « comment deux communautés que l’histoire a rapprochées ont appris à vivre ensemble ». Le héros de dix ans partage son amour entre sa mère algérienne et « Madame Rameau », la dame de la Croix-Rouge, qui achète les champignons qu’il ramasse avec ses copains. Elle leur offre souvent des cadeaux et les invite à manger chez elle. « Elle est d’une délicatesse déconcertante. Elle est tellement différente de nos mères ! » Plein de sensibilité et d’humour, l’auteur révéle les allers-retours entre la langue française d’un côté, celle qui est utilisée à l’école, et la langue maternelle, le berbère, de l’autre.

« J’irai mourir là-bas, près de ce rocher ombragé, à côté de la montagne et du village de mes parents »

Le récit commence en 1967. L’année du 54ème Tour de France remporté par le Français Roger Pingeon devant l’Espagnol Julio Jiménez. Le héros s’en souvient bien puisque ses parents feront le voyage jusque Paris pour assister à l’arrivée des coureurs. Reste un exil doublement difficile. Difficile d’abord parce que les harkis ont été contraints de quitter leur terre natale pour rester dans leur patrie de cœur. Difficile aussi car ils sont à la fois maltraités en France et rejetés par les immigrés algériens qui les considèrent comme des traites. Dans sa peine, la famille de Yakoub partage les moments douloureux avec les siens, les autres membres de la communauté kabyle. Une communauté dont la culture, le mode de vie, la langue les maintiennent parfois étrangers aux yeux des certains Français. « Wallah, je jure devant Dieu : j’irai mourir là-bas, près de ce rocher ombragé, à côté de la montagne et du village de mes parents », déclare la maman, qui souffre du mal du pays. « Si nos enfants finissent mal, ce sera de ma faute, entièrement de ma faute. On n’aurait pas dû venir ici. Ce n’est pas notre pays. On ne sera jamais chez nous« , tranche le père, digne.

Dans la famille, on ne parle pas d’amour, par pudeur, même si l’amour est là. Il y a aussi la pudeur d’un enfant qui n’a pas su dire « je t’aime » à ses parents. « Je respecte énormément mon père, relate l’auteur. Devant lui je baisse toujours la tête. À dix ans, je ne sais pas dire la couleur de ses yeux […] Cela me fait mal d’écrire que mon père est étranger, et je regrette immédiatement ces mots ». Le texte demeure pourtant une magnifique déclaration d’amour d’un gamin à ses parents, une forme de remerciement.

L’intégration picarde

Les matchs de foot, les fruits volés dans les champs, le langage codé utilisé pour ne pas être compris des grands, les bêtises que l’on fait lorsque l’on est enfant, les clans, les mensonges avancés pour éviter les coups… sont autant d’anecdotes décrites avec humour par l’auteur, et qui nous plongent réellement dans sa vie d’enfance. Le jeune garçon s’intègre parfaitement dans le village picard. Il relate les moments de partage autour du terrain de football pour encourager leur équipe. « Allez la J.S.K.H ! C’est la jeunesse sportive kabyles des harkis de l’union sportive de Poix-de-Picardie […] C’est que nous sommes fiers de porter le maillot de l’union sportive de Poix-de-Picardie […] Certains supporters, des autochtones ou des fans avertis, applaudissent en riant ». Il n’existe finalement plus deux communautés séparées, mais une seule vivant en harmonie.

Ma mère dit « Chut », un doigt sur les lèvres complète les 12 pièces écrites par Yakoub Abdellatif, qui a reçu la médaille du Haut Conseil de l’intégration en 2004, remise, est-il écrit, « aux Français venus de loin ». Dans l’épilogue, l’auteur dédie son livre à ses parents, disparus quand le roman a été publié. Quand le fils annonce qu’il veut suivre des études de théâtre, le père s’emporte : « tu es une honte pour la famille, va-t’en, tu ne seras jamais plus jamais mon fils ». L’amour de l’enfant demeure malgré tout. « C’était mon père, je l’aimais fort, plus que tout, sûrement plus que je ne m’aimais ».

Kab NIANG

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