Pour connaître la vie de Malcolm X, il vaut mieux savoir lire en anglais. La bibliographie autour du leader afro-américain n’est pas très fournie en France. L’ouvrage de Jonathan Demay, Malcolm X – Sans lutte il n’y a pas de progrès, a le mérite de proposer une lecture critique du parcours du militant et déconstruire l’image médiatique qui fait de lui un homme raciste et violent. Interview.

Le Bondy Blog : Qui êtes-vous, Jonathan Demay ?

Jonathan Demay : J’ai 26 ans je suis journaliste diplômé de l’ESJ Pro de Montpellier en 2015, j’écris pour le site Basket USA, référence française sur la NBA. La question noire et les mouvements civiques m’ont particulièrement intéressé lorsque j’étais jeune, notamment le personnage de Malcolm X. C’est l’absence de livres de référence en français le concernant qui m’a poussé à écrire cette biographie.

Le Bondy Blog : En quoi la question noire et le mouvement des droits civiques vous ont passionné durant votre jeunesse ?

Jonathan Demay : C’est une question de culture, je viens du quartier Les Fontaines de Tours. J’ai baigné dans un environnement où ces questions et ces sujets sont ordinaires. J’aime le rap grâce à Tupac qui était le fils d’une Black Panther donc on fait rapidement le lien : lorsqu’on étudie les Black Panthers, on tombe très vite sur le parcours et la pensée de Malcolm X.

Le Bondy Blog : Comment avez-vous découvert la vie de Malcolm X ?

Jonathan Demay : Je l’ai découverte à travers des chansons de rap, en écoutant des paroles où il est cité et des morceaux de discours qui sont repris. Et puis il y a également le biopic américain réalisé par Spike Lee qui m’a permis de le découvrir. J’ai ensuite fait plusieurs recherches personnelles pour en savoir plus. C’est son autobiographie, écrite par l’écrivain Alex Haley, la source de référence, qui a été déterminante.

Le Bondy Blog : Le rappeur Médine a préfacé votre livre. L’artiste avait clamé son respect pour Malcolm X dans le morceau « Du Panjshir à Harlem » qui retrace la vie du leader afro-américain et du Commandant Massoud. Dans ce titre, il évoque le militant comme le « précurseur du soulèvement des ghettos ».

 

Jonathan Demay : Les thèmes de la remise en question, des recherches sur soi-même et sur le monde sont présentes dans les chansons de Médine que j’écoutais plus jeune. La préface est très axée sur les contradictions. Je sais que Médine se bat avec ses contradictions et essaye de trouver des réponses aux questions qu’il se pose tout comme Malcolm X tout au long de sa vie. Je trouvais beaucoup de points communs entre les deux Ça me semblait donc naturel de proposer à Médine de rédiger cette préface.

Le Bondy Blog : La bibliographie autour du leader afro-américain n’est pas très fournie en France.

Jonathan Demay : Effectivement. Je regrette que son autobiographie ne soit plus disponible et éditée en français, alors qu’elle mériterait d’être dans toutes les libraires. Je sais que le rappeur Disiz La Peste voulait la rééditer à un moment mais il a abandonné le projet à cause de problèmes juridiques.

Le Bondy Blog : Comment s’est déroulée la rédaction de cette biographie ?

Jonathan Demay : J’ai lu son autobiographie et Malcolm X, une vie de réinventions, la biographie de référence écrite par l’universitaire Manning Marable en 2011 et traduit par les éditions Syllepse en 2014. C’est certainement un des ouvrages les plus complets. Il a fallu croiser l’autobiographie la biographie, les discours et les lettres qu’il a envoyées. Par ailleurs, les Américains ont beaucoup écrit sur lui puisqu’on trouve des biographies sur sa jeunesse, sa fin de vie et sa vie religieuse. Il a donc fallu compiler tout ça. Cela m’a pris six mois pour tout lire – je lisais entre sept et neuf heures par jour – et ensuite j’ai mis trois pour rédiger le manuscrit.

Le Bondy Blog : Avez-vous pu rencontrer des proches de Malcolm X ?

Jonathan Demay : Non. Je n’ai pas essayé de rencontrer ses proches car j’ai voulu faire une compilation de tout ce qui avait été fait aux États-Unis sur lui pour proposer un livre pédagogique de 250 pages pour que les gens qui ne connaissent pas Malcolm X puissent apprécier l’essentiel de sa vie. Pour ceux qui veulent en savoir plus, j’ai mis une bibliographie à la fin de mon livre où je détaille tous les ouvrages qui ont alimenté mon travail.

Le Bondy Blog : Votre bibliographie tente de déconstruire l’image médiatique qui fait de Malcolm X un homme raciste et violent en analysant son parcours, son discours et sa pensée.

Jonathan Demay : Malcolm Little est né dans un contexte singulier, dans une Amérique profondément ségrégationniste. Il s’est construit dans un environnement hostile qui l’a conduit à la criminalité, la drogue et la prison. Son père est assassiné par une mouvance du Ku Klux Klan, sa mère est noyée par des impératifs matériels. Elle sera placée par les services médicaux et lui par les services sociaux dans une famille d’accueil. La société lui a montré qu’il n’avait pas sa place puis à l’école il a des bonnes notes, il peut être avocat mais on lui explique qu’il faut être réaliste : un Noir ne peut pas devenir avocat dans une société pareil. Malgré ses bonnes notes, on lui explique qu’il ne pourra jamais être comme les Blancs. Malcolm X a eu des réactions racistes, on ne peut pas le nier et c’est un fait mais, on lui a montré qu’on ne voulait pas de lui dans la société. On l’a opposé au pacifiste Martin Luther King, seulement on oublie souvent de dire que Luther King a rejoint les idées de Malcolm X durant les dernières années de sa vie !

Le Bondy Blog : Il y a aussi la découverte de l’islam puis son entrée dans la Nation of Islam qui vont bouleverser sa vie.

Jonathan Demay : La Nation of Islam lui a offert des réponses sur la société qu’il n’avait pas auparavant. L’islam lui a donné un sens à sa vie. L’organisation avait des côtés sombres mais a apporté une hygiène de vie et une dignité à des gangsters, des gens qui vivaient dans la rue. On peut considérer que la Nation a embrigadé certains Noirs à l’aide de discours alléchants et très éloignés de l’Islam sur certains points mais Malcolm n’aurait pas pu devenir ce qu’il est devenu à la fin de sa vie s’il n’y avait pas eu la Nation pour le cadrer à ses débuts et lui offrir les bases d’une théologie.

Le Bondy Blog : Vous expliquez que son passage en prison a été déterminant notamment par le biais de lettres qu’il a échangées avec l’un de ses amis au cours de sa détention. Comment avez-vous eu accès à ces correspondances ?

Jonathan Demay : Il en est question dans certaines biographies, et sur internet il y a des sites où des personnes mettent des photocopies des lettres. Manning Marable lorsqu’il a écrit la biographie avait demandé à des étudiants de réunir tous les documents possibles sur Malcolm X et les a mis sur internet.

La prison est vraiment un tournant, il était bon élève à l’école mais n’était pas un amoureux des livres ou des études, il avait simplement un esprit vif. Lorsqu’il arrive en prison, les premiers temps sont difficiles puisqu’il est sevré. Il va rencontrer un codétenu qui va lui ouvrir les portes de la bibliothèque et va lui dire : « si tu ne veux pas mourir en prison ou sortir dans un pire état que tu ne l’étais, prends un livre ! » Lorsque Malcolm lisait certains livres, il rencontrait des difficultés de vocabulaire et c’est à ce moment qu’il a recopié entièrement le dictionnaire d’A à Z pour comprendre tous les mots. C’est un tournant car il dit lui-même qu’il ne s’est jamais senti aussi libre qu’en prison parce qu’il passait des journées et des nuits à lire. Lorsqu’il en est sorti, il se sentait prêt à intégrer la société alors qu’avant son entrée en prison, il voulait quitter cette société et vivre comme un voyou.

Le Bondy Blog : Selon vous, quel serait le regard de Malcolm X sur la situation des afro-américains et des musulmans dans le monde d’aujourd’hui ?

Jonathan Demay : C’est la grande question ! C’est toujours compliqué d’imaginer les propos de quelqu’un cinquante ans après sa mort dans des contextes différents. La situation a évolué entre les années 60 et maintenant mais il y a toujours des impasses et des problèmes, il aurait été le premier à voir les contradictions. Il serait révolté de voir des Noirs mourir dans les bras de la police et voir des policiers s’en sortir serait insupportable pour lui. Il a également été intéressé par la lutte des classes et les questions sociales en mettant la couleur de peau après l’aspect économique et c’est là où Luther King l’a rejoint. Il serait donc inquiet sur leur situation économique, il était quand même très à gauche sur ces questions-là. J’ai envie de dire qu’il aurait changé son discours parce que l’époque a changé et les États-Unis avec, et en même temps est-ce que cela a vraiment changé ? En lisant James Baldwin ou Martin Luther King, on a l’impression de lire des textes rédigés en 2014 ou 2015.

Malcolm était noir et musulman. Lorsqu’il voyageait dans les pays musulmans, il était très honoré d’être perçu d’abord comme un musulman alors qu’aux États-Unis, on le percevait comme un Noir avant tout. Malcolm s’est toujours mis du côté des minorités opprimées même si cette minorité était blanche.

Le Bondy Blog : Il fut perçu comme dangereux au moment où son discours s’était adouci…

Jonathan Demay : C’est assez paradoxal ! C’est le moment où il a été le plus ouvert et donc il pouvait rassembler le plus, il était vu comme plus dangereux. À partir du moment où vous avez un discours ouvert et que vous réussissez à rassembler des gens aussi divers, vous devenez beaucoup plus dangereux aux yeux des Blancs à l’époque. Et cela est pareil pour Martin Luther King : lorsqu’il avait un discours pacifique, il n’était pas inquiété mais lorsqu’il a commencé à dire qu’il fallait se battre aux côtés des pauvres et contre le Vietnam, il a été abattu.

Propos recueillis par Félix MBENGA

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