Bondy Blog : Si tu devais te présenter pour celles et ceux qui ne te connaissent pas encore et qui ne t’ont pas encore lu chez nous !

Médine : Rappeur tout simplement, j’espère bon rappeur !

Bondy Blog : En février dernier sortait ton cinquième album Prose Elite. Raconte-nous la genèse de ce projet.

Médine : Cet album est né dans une période de réconciliation avec pas mal d’identités qui me compose. Je suis un rappeur français issu de l’immigration, musulman, amoureux de la langue française, provocateur, au sens irrévérencieux du terme. Toutes ces composantes de ma personne ont été longtemps en conflit et cet album a influencé ma réconciliation avec toutes ces identités, d’où le titre qui est à la fois provocateur et élément de réconciliation. Prose Elite, au sens phonétique, tu le comprends comme celui qui fait l’apologie de ses idées, de ses croyances, mais au sens littéral, tu le comprends la promotion de la langue française et de la beauté de la francophonie.

Bondy Blog : Est-ce que l’une de tes identités a pris le dessus sur les autres durant ta carrière ?

Médine : J’espère que non et j’espère qu’au cours de toute ma vie d’homme aucune identité ne prendra le dessus parce que c’est de ça qu’on est fait, de pleins de petites choses qui font ce que nous sommes. En faire prévaloir une sur l’autre, c’est se travestir.

Bondy Blog : Tu as souvent été associé à un rappeur adoptant des prises de positions extrêmes au cours de ta carrière. Pourquoi selon toi ?

Médine : Parce que j’ai joué sur les représentations et les images, cela m’a permis d’être suffisamment provoquant pour toucher un public et l’interpeller mais cela a pu être un repoussoir pour d’autres qui préféraient faire des raccourcis sur ce qu’ils pensaient de moi plutôt que d’étudier mon travail ou d’aller le lire pour avoir un véritable avis.

Bondy Blog : Sur la pochette de l’album figure le visage de Victor Hugo en filigrane, pourquoi l’avoir choisi plutôt qu’un autre auteur ?

Médine : La barbe ! (rires). Victor Hugo c’est la kaïra de son époque, c’est le gars qui arrive dans le théâtre classique en ne respectant pas les codes. Il y amène un nouveau style avec le drame romantique et qui ressemble beaucoup au rap d’ailleurs. Le rap, c’est la musique qui rentre dans la culture française en cassant les codes avec le sampling : on prend des morceaux d’autres musiques pour faire notre son, avec des slogans, un phrasé qui peut paraître inaudible dans les oreilles de profane. Pour moi, Victor Hugo est le punchlineur de son époque aussi parce qu’il en avait à la pelle : « La musique c’est du bruit qui pense », « N’imite rien ni personne, un lion qui imite un lion c’est un singe », « Ouvrez des écoles, fermez des prisons ». C’est ce genre de punchlines qui me parlent beaucoup.

Bondy Blog : C’est un auteur que tu as découvert plus jeune ou sur le tard ?

Médine : Je l’ai étudié approximativement à l’école, comme beaucoup, mais j’ai découvert son envergure plus politique récemment parce que je me suis intéressé de plus près au personnage.

Bondy Blog : Quels ont été les retours sur l’album Prose Elite ?

Médine : Très positifs ! J’ai l’impression d’avoir fait l’album que je devais faire pour le public, à la fois celui qui me suit depuis une dizaine d’années et celui aussi qui me découvre avec ce dernier travail. Je trouve que je ne suis pas tombé dans de la facilité ni dans quelque chose de trop complexe. J’ai à la fois vulgarisé certaines références pour rendre cet opus accessible et en même temps, j’ai complexifié certaines choses qui sont de l’intelligence organique des quartiers et romancé la vie de rue.

Bondy Blog : Te semblait-il nécessaire de sortir ce projet dans une période où de nombreux événements ont contribué à une certaine tension de la société ?

Médine : J’essaie de ne pas m’aligner sur le calendrier ou l’actualité parce que malheureusement même en sortant un album tous les deux mois, t’es encore dans le feu de l’action. Il se passe tellement de choses aujourd’hui, on reçoit tellement d’informations à tel point que si tu sortais un album tous les deux mois avec des sujets abstraits, tu serais quand même dans l’actualité.

Bondy Blog : Plusieurs rappeurs français ou américains ont admis avoir accéléré et avancé la date de sortie de leur album à la suite de certains événements…

Médine : Ça m’influence dans l’écriture évidemment mais pas dans la sortie du projet. J’ai envie de sortir des albums le plus régulièrement possible, c’est ma règle générale, peu importe l’actualité. Certaines choses vont s’ajouter en fin d’écriture parce qu’il est important de mettre du relief à mes morceaux, de faire sentir au public que les morceaux ont été écrits dans l’instant chaud.

Médine, interview à Aulnay-sous-Bois, samedi 29 avril 2017.

Bondy Blog : Pourquoi avoir adopté des sonorités trap sur cet album ?

Médine : Parce je suis un progressiste dans ma démarche ! Mon style de rap évolue en même temps que le rap. Si le rap fait peau neuve de nouvelles sonorités, pourquoi je ne m’en nourrirai pas moi-même dans mon style ? Est-ce que je devrai être le porte-étendard d’un courant de ce rap ? Je n’ai pas envie d’être cloisonné à un seul courant, le rap s’influence de sons afro-caribéens ou électroniques, elle devient une musique enrichie au contact d’autres musiques. J’espère que mon style évoluera de la même manière que le rap aujourd’hui.

Bondy Blog : L’un des morceaux phare de l’album est le titre « Grand Paris ». Comment t’est venue l’idée et pourquoi avoir réuni autant de rappeurs à tes côtés ?

Médine : C’est ce qu’on appelle un « Posse Cut », une espèce de freestyle avec des courants différents et des voix différentes. Je voulais montrer que, quelque soit le courant, quelque soit la génération dont on est issu, il y avait la possibilité de se réunir le temps d’un morceau, avec des styles et des idées différentes, la possibilité de se réunir et de ne pas être dans la culture du clash.

Bondy Blog : Le titre « Alger Roi » figure aussi sur l’album, une sorte d’hommage à la capitale de ton pays d’origine qui a toujours eu une place importante dans ton œuvre. Pourquoi ?

Médine : C’est vrai qu’il y a une récurrence. J’ai plusieurs morceaux qui traitent de l’Algérie du moins de mon rapport avec ce pays. J’ai écrit un premier morceau en 2006 « 17 octobre » qui faisait état des relations entre la France et l’Algérie à travers un évènement historique dramatique, le 17 octobre 1961. Cette manifestation pacifique de dizaines de milliers d’Algériens contre le couvre-feu qui les vise, a été fortement réprimée par les autorités françaises , un massacre où des dizaines d’Algériens ont été exécutés sur ordre du préfet Maurice Papon (des historiens évoquent entre 150 et 200 Algériens exécutés dont certains corps ont été jetés à la Seine). Cette histoire sombre méritait d’être évoquée pour que notre histoire de personnes issus de l’immigration soit complète. Et puis, il y a le morceau « Alger Pleure » dans lequel j’essaie d’être dans une logique de réconciliation parce que des ultra-nationalistes des deux côtes soufflent sur des braises pour garder l’antagonisme qui avait lieu dans la période coloniale et post-coloniale. Dernièrement avec « Alger Roi », c’est ma façon d’être algérien. Le message n’est pas de dire que tout le monde est algérien mais qu’on peut se sentir algérien comme se sentaient algérien Franz Fanon ou encore Amilcar Cabral qui avait prononcé cette phrase : « Les Chrétiens ont le Vatican, les musulmans ont la Mecque, les révolutionnaires ont Alger ». C’est dans cette tradition-là que je me sens algérien, le pays qui a un moment a été le centre névralgique de tous les damnés de la terre qui voulaient s’émanciper du colonialisme et du paternalisme, c’est de cette façon que je me sens algérien. Ce n’est pas sortir les drapeaux ni le folklore algérien avec les gâteaux ou le selecto ! Franz Fanon était martiniquais et se sentait algérien avec cet état d’esprit, Amilcar Carbal était un Cap-Verdien guinéen et se sentait algérien avec cet état d’esprit, Nelson Mandela aussi. Tu penses que Mandela voulait être algérien à cause des makrouds ? Je ne pense pas (Rires).

Bondy Blog : Tu sens que cette tension entre la France et l’Algérie existe encore aujourd’hui ?

Médine : Oui et elle est alimentée par les deux côtés parce qu’il y a des ultras figés qui ont connu des choses douloureuses mais qui ne concernent plus qu’eux. Je connais l’histoire des deux pays, mais une fois qu’on a évoqué l’histoire, la question est de savoir comment on s’en sert pour devenir des Franco-Algériens, des Français nouveaux ou des Algériens nouveaux. Le but n’est pas de ressasser l’histoire pour se rappeler les blessures mais de l’évoquer pour s’en émanciper, pour faire quelque chose de nouveau. J’ai l’impression d’être un nouveau Franco-Algérien comme Jacques Vergès; l’état d’esprit n’a pas de frontières.

Bondy Blog : Est-ce que, selon toi, c’est ce qui explique que certains jeunes, nés en France, se sentent plus Algériens que Français ? C’est un problème selon toi ?

Médine : Oui, c’est un problème parce que c’est alimenté à la fois par des histoires de familles qui idéalisent un camp ou un autre et à la fois par un contexte identitaire qui nous renvoie sans cesse à cette appartenance. Personnellement, j’ai arrêté de me définir comme on voudrait que je me définisse soit comme un Algérien soit comme un Français. Je me sens Franco-Algérien, je refuse qu’on me cloisonne à une seule identité, c’est trop étroit pour moi. J’ai envie de cultiver une nouvelle culture : le Franco-Algérianisme.

Bondy Blog : Dans Prose Élite, on retrouve également le morceau « Enfant du Destin » qui raconte l’histoire de Nour, une enfant Rohingya, cette minorité musulmane persécutée et victime de massacres en Birmanie. Tu t’es d’ailleurs rendu en Birmanie où tu as également réalisé le clip de ce morceau. Pourrais-tu nous en parler ?

Médine : C’était important d’aller en Birmanie pour corroborer tout ce qu’on entend, lit, sur les Rohingyas. Il y a une situation réelle, des droits humains bafoués, un silence étatique qui est frappant surtout venant d’une lauréate du prix Nobel de la Paix comme Aung San Suu Kyi. C’est frappant de voir qu’on peut être prix Nobel de la Paix, être entendue sur la scène internationale et être prise au piège du carcan politique de son propre pays, d’être réduite au silence sur l’absence de droits humains et de ne pas s’insurger de cette situation. Sur place, j’ai eu accès aux humanitaires qui relatent des situations extrêmes sur le terrain avec des photographies à l’appui, c’est très dur, très poignant. J’avais besoin de me rendre sur le terrain pour être ancré dans le réel, savoir où était l’émotionnel et où était la réalité. J’ai vu des choses sur le terrain que j’avais lues, entendues sur internet, je n’ai pas vu en Birmanie d’autres choses qui étaient dites, j’avais besoin de me rendre là-bas pour ne pas relayer de fausses informations. Quand j’y suis allé, je me suis dit que j’allais revenir avec des images fidèles au contexte, pour que moi aussi je puisse rapporter des informations de première source.

Bondy Blog : Tu rends également hommage au Dr Denis Mukwege dans le morceau « L’homme qui répare les femmes ». Pourrais-tu le présenter pour ceux qui ne le connaissent pas ?

Médine : Denis Mukwege milite contre l’arme de guerre, comme il l’appelle, à savoir le viol à l’encontre des populations civiles de la région du Kivu en République Démocratique du Congo, une région riche en minerais. C’est une zone de conflits très dangereuse qui donne lieu à des exactions : les jeunes femmes y sont violées pour qu’elles quittent le terrain et que les exploitants s’approprient le coltan, ce minerais qui sert à fabriquer nos smartphones. Le viol est utilisé comme arme de guerre car, culturellement, dans cette région du monde, le viol est vécu comme un déshonneur sur plusieurs générations. Le docteur Mukwege, gynécologue-obstétricien, lutte contre ce phénomène en reconstruisant ces femmes et en fournissant une aide physique et psychologique via notamment sa fondation. Il dénonce, sensibilise à l’international sur la démilitarisation de la région, sur notre responsabilité en tant qu’utilisateurs de smartphones, sur les origines du coltan. J’ai eu la chance de le rencontrer au Havre, dans le cadre d’une conférence. Sur ce morceau qui lui est consacré, on retrouve des figures nationales et internationales comme Mokobé, Youssoupha, Soprano ou Omar Sy, des personnes qui sont proches de moi artistiquement mais qui ont une envergure et un rayonnement qui peut envoyer le message encore plus loin.

Bondy Blog : Quel souvenir gardes-tu de cette rencontre avec Denis Mukwege ?

Médine : Très bon et c’est le cas de tous ceux que je rencontre et qui sont soucieux de répandre les droits humains partout, que ce soit dans le Nord-Kivu ou dans les quartiers, toute proportion gardée bien sûr car on ne vit pas les mêmes choses. Mais il y a une transversalité dans nos préoccupations à savoir amener un maximum de droit dans ces zones où il y en a le plus besoin au final.

Bondy Blog : Tu t’es produit ce samedi soir dans le cadre de ta tournée à Aulnay-sous-Bois, un concert forcément symbolique puisque c’est ici que Théo a été victime d’un viol présumé de la part des agents de police. Quel est ton regard sur cette affaire et les évènements qui ont suivi par la suite ?

Médine : Je ne peux pas parler de Théo sans évoquer Adama Traoré. C’est la temporalité qui me choque dans cette affaire. Depuis une vingtaine ou trentaine d’années, on est encore sur ces questions de violences policières faites aux jeunes des quartiers populaires. À l’époque déjà, des associations militaient pour que des leviers politiques soient mis en place et permettent de stopper ces violences. Tant d’années plus tard, on ne voit même pas l’espoir d’un début de quelque chose qui pourrait endiguer ce problème, c’est ce qui me choque le plus.

Bondy Blog : Dimanche dernier, le Front national accédait au deuxième tour de l’élection présidentielle. Ton rap est assez engagé politiquement, qu’as-tu pensé de la campagne présidentielle ?

Médine : Je vais vous étonner mais j’ai trouvé ça passionnant : avoir onze candidats différents, des étiquetés et non étiquetés, qu’on soit sorti du duel gauche-droite. J’ai suivi les débats qui étaient plus spectaculaires qu’argumentés.  Aujourd’hui, ce qu’on retrouve sur le plan national, on le ressent au niveau local avec des abstentionnistes qui ne sont pas dépolitisés. Ils ont refusé la proposition faite dans les urnes mais vont être au rendez-vous aux prochaines législatives et aux municipales. La société civile est en ébullition et la campagne présidentielle rend possible l’espoir de se coaliser sans être encarté dans un parti.

Bondy Blog : Comprends-tu les abstentionnistes qui n’iront pas voter le 7 mai ?

Médine : Bien sûr que je les comprends ! Et je n’ai aucun droit à les juger. Il ne faut pas les dépolitiser et croire qu’ils n’ont pas d’avis.

Bondy Blog : As-tu peur d’une victoire de Marine Le Pen et des conséquences que cela pourrait avoir ?

Médine : Je le regretterai, je le redoute en tant que jeune de quartier, issu de l’immigration, je le redoute sur le plan des questions identitaires qui vont s’exacerber et également en tant que musulman. Mais ce qui est le plus révoltant, c’est que les idées de l’extrême droite, du Front national soient victorieuses dans la bouche d’autres partis qui se disent plus respectables.

Bondy Blog : Tu as récemment écrit une préface sur le livre Jonathan Demay, une biographie de Malcolm X. Pourquoi il t’a toujours fasciné ?

Médine : Pour la figure contrastée qu’il était. Malcom X a été beaucoup caricaturé, les médias le voyaient comme le diable en personne, violent et ségrégationniste. Il y a aussi le point de vue communautaire qui nous présente Malcolm X comme un prophète, comme quelqu’un exempt de toute imperfection et idéalisable en tout point. Ce qui m’intéresse chez lui c’est qu’il s’agissait d’une personne normale qui a fait des choses extraordinaires, quelqu’un aussi de tiraillé, qui doutait, une personne qui s’est trompée et qu’il l’a admis, qui a eu des amitiés importantes et qui en a brisé d’autres pour des raisons identitaires et qui a toujours assumé. Il m’a intéressé quand j’étais adolescent pour me construire et encore plus aujourd’hui dans ma vie d’adulte quand je découvre cette biographie qui met en évidence le tiraillement profond de Malcolm X sur des questions politiques et humaines. C’est intéressant de voir que Malcolm X raisonne dans le temps et en tout temps si bien dans les années 90 dans lesquelles j’ai grandi et dans les années 2010 parce que son parcours personnel nous donne des enseignements pour comprendre les questions identitaires, les questions de lutte contre la radicalisation. Il nous donne ces enseignements parce qu’il est passé par toutes ces phases, dans sa plus grande jeunesse jusqu’à sa mort. Ses combats raisonnent encore à l’heure actuelle.

Propos recueillis par Félix MUBENGA

Crédit photo : Elsa Goudenege

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