Le premier long-métrage de Mehdi Fikri sort ce mercredi 15 novembre. « Avant que les flammes ne s’éteignent » suit le personnage de Malika – interprétée par Camélia Jordana – dans sa quête de vérité et de justice suite à la mort de son frère entre les mains de la police dans un quartier à Strasbourg. Mehdi Fikri nous parle de son film. Interview.

Quel a été le déclic pour faire un film au sujet des violences policières ?

J’ai une foi absolue dans le fait que le cinéma est un médium privilégié pour rendre justice et vérité à ce qu’il se passe dans les quartiers populaires. Je pense que ce média est une porte d’entrée vers l’intellectuel et l’émotionnel. La thématique des violences policières est centrale dans la représentation des banlieues en France depuis 30 ans.

Ces familles qui se battent méritent leur place dans le récit national

Je pense qu’il restait à faire un film où la question du drame familial et la politique se retrouvent. D’un point de vue esthétique et narratif, ces luttes sont profondément romanesques. J’avais envie de montrer des gens de quartiers qui agissent, qui pensent et qui brillent parce que ces familles qui se battent méritent leur place dans le récit national français. Je voulais en faire des héros.

Votre film fait forcément écho aux révoltes urbaines de juin dernier suite à la mort du jeune Nahel, tué à Nanterre. Avez-vous eu l’impression de voir votre film à travers votre télévision ?

Lorsque l’affaire Nahel a éclaté, nous étions en postproduction du film et ce drame a été un moment d’émotions et d’indignation pour toute l’équipe. Malheureusement, c’est un mécanisme qui se répète, c’est systémique. Concrètement, le film est inspiré de nombreuses affaires. Par exemple, à Clermont-Ferrand, la famille El-Yamni a pris, comme dans le film, des photos du corps à l’hôpital sur les conseils du personnel médical. Il y a aussi le collectif pour Ali Ziri qui s’est battu pour qu’un juge d’instruction soit nommé. Finalement, il n’y a pas un seul élément que j’ai décrit dans le film qui n’est pas arrivé à au moins plusieurs familles.

L’un des personnages de votre film évoque la différence entre les familles dont on parle et celles dont on ne parle pas et le lien avec la rapidité de leur réaction. Pensez-vous que les familles sont dans un ultimatum entre amener l’affaire en justice et faire le deuil ?

Oui totalement. Lorsque j’étais journaliste pour l’Humanité, une famille m’avait appelé car leur enfant était mort entre les mains de la police un an et demi auparavant. Ils avaient fait leur deuil, enterré le corps, écouté la version de la justice et au bout de 18 mois, ils se sont rendu compte que rien n’allait dans cette histoire.

Le problème, c’est qu’il était trop tard, la vérité de la justice avait pris le pouvoir. J’ai trouvé la structure de mon scénario dans cet intervalle, lorsque les voitures brûlent, mais qu’il n’y a pas encore d’affaire. Un moment durant lequel les membres d’une même famille font preuve de solidarité et doivent discuter sur ce choix entre enterrer le corps ou mener l’affaire en justice. C’est pour cela que mon film s’appelle « Avant que les flammes ne s’éteignent ».

Camélia Jordana incarne le personnage principal dans votre film, c’est elle qui porte le combat pour son frère. Pourquoi avoir choisi une figure féminine pour incarner ce rôle ?

J’ai choisi une femme, mais pas seulement. J’ai choisi une femme arabe, mariée, mère d’un enfant et qui a un business qui tourne. Les femmes des quartiers populaires sont une catégorie invisibilisée qui n’existe pas dans le cinéma et dans la fiction. Pour ce personnage, on s’est inspiré de femmes avec des parcours brillants comme Assa Traoré ou Ramata Dieng. Les femmes ont un statut assez particulier, car elles sont pénalement moins fragiles, elles risquent moins de se faire contrôler.

Cela me plaisait beaucoup de filmer une famille arabe, de montrer la solidarité entre les femmes et les hommes et surtout de montrer que les femmes peuvent se battre pour les hommes. Dans le film, on le voit à travers le personnage de Driss (Sofiane Zermani) qui met symboliquement la couronne sur la tête de sa sœur en lui disant d’aller se battre et de porter le combat pour son frère.

Le personnage de Malika affirme, dans le film, que la docilité n’amène pas à la justice. La violence des révoltes urbaines éteint souvent le débat sur les causes de ces violences et pourtant, elles semblent être le signe que toutes les autres voies de communications sont bouchées. Comment le percevez-vous ? 

Ce que veulent les gens, c’est la vérité, comprendre ce qu’il s’est passé et surtout, ils veulent la même justice que tous les citoyens français. Aujourd’hui, certains partis pointent uniquement les violences urbaines pour pirater le débat. On se retrouve à répondre à des questions comme “pour ou contre la police” ou “pour ou contre les émeutes”.

Les gens veulent se faire entendre pour simplement avoir la vérité

Ce n’est pas le propos, les gens veulent se faire entendre pour simplement avoir la vérité. « Avant que les flammes ne s’éteignent » est un film sur le chemin difficile vers la vérité, aussi bien face aux institutions qui dissimulent, qu’à l’intérieur de la famille dont certains membres souffrent trop pour regarder les faits en face.

Vous avez été journaliste pour l’Humanité et vous avez d’ailleurs écrit sur les luttes sociales et les quartiers populaires. Quels liens il y a entre votre passé de journaliste et votre présent de réalisateur ?

Le cinéma est un autre moyen pour moi de parler de la réalité, un moyen plus artistique et émotionnel. Le lien entre les deux est que je conserve un intérêt pour la société française, je la trouve passionnante. Quand on creuse le réel, on peut y trouver de la dramaturgie. Même si je n’ai plus ma carte de presse depuis 2018, ce film trouve ses origines au sein de mon parcours de journaliste.

Je pense que ce film est un peu mon adieu au journalisme 

D’ailleurs, je pense que ce film est un peu mon adieu au journalisme (rires). Pour moi, le cinéma était quelque chose de nécessaire pour parler de ce sujet. Le cinéma permet de remettre de l’humanité sur cette thématique des violences policières et il permet de se laisser toucher par des destins qui ne sont pas les nôtres. Je me souviens avoir présenté ce film à Valenciennes à des lycéens issus de la campagne et qui ont été bouleversés par le film.

Pourquoi avoir choisi un quartier à Strasbourg ?

C’est un endroit où il y a une vraie tradition de lutte contre les violences policières et c’était aussi un choix esthétique. C’était un moyen de quitter la réalité pour aller vers la fiction, en s’éloignant de la réalité que je connais. Ce que j’ai aimé, ce sont ces bâtiments avec une architecture germanique, les rambardes, les murs en briques, la lumière froide du Grand-Est. J’ai trouvé ça magnifique !

Dans le casting, on trouve deux rappeurs : Fianso et Larry. Pourquoi ce choix dans votre casting ?

Je ne me suis pas dit que je voulais absolument des rappeurs, mais il est quand même intéressant de voir que c’est aussi ce type d’artistes qui a répondu présent. Ce que j’aime avec Sofiane, c’est qu’il n’a rien besoin de faire pour être intense dans son jeu et qu’il a un vrai lien avec la thématique des violences policières.

Au moment de l’affaire Théo, je me souviens que j’étais à la manifestation devant le tribunal de Bobigny, le jour du rendu de la décision de justice. Dans la foule, il y avait Sofiane qui faisait l’interface entre les jeunes et la police, ça avait suscité mon respect. Et du côté de Larry, je l’ai d’abord vu en essai, on a fait quelques lectures, et il a été génial ! C’est le premier rappeur de Strasbourg qui affirme de manière aussi forte dans ses chansons son appartenance à la ville.

Propos recueillis par Sélim Krouchi

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