Il connait le rap français sur le bout des doigts. À la tête du site L’abcdrduson.com, le jeune homme a aujourd’hui écrit un livre sur cette culture musicale. Pari réussi, l’ouvrage de Mehdi Maïzi situe le mouvement et se place tel un guide explicatif nécessaire.
À la lecture de Rap Français, une exploration en 100 albums (avril 2015, édition : le mot et le reste)  on se demande déjà pourquoi un bouquin de ce type n’avait pas déjà été produit avant, pour le grand plaisir d’une génération tout entière.
Mehdi Maïzi, n’est pas un inconnu pour les personnes qui s’intéressent de très près au rap français. Depuis quelques mois, il impose sa posture sérieuse, mais pas trop, avec un site qui a véritablement commencé à faire parler de lui il y a quelques années :  l’abcdrduson.com. Un site sérieusement érudit en culture hip-hop, qui a tenté de classifier les 100 meilleurs morceaux de rap français, un défi relevé avec brio et énormément de recherche.
Le « Monsieur Interview » de l’abcdr a déjà à son palmarès un éventail large de pilier du mouvement ou du « game » : Booba, Mac Tyer, Lino, Akhenaton, Youssoupha, Alkpote… Interview.
Bondy Blog : Pourquoi avoir écrit ce livre, mais surtout, pourquoi l’avoir fait maintenant ?
Mehdi Maïzi : Il y a un truc dans le rap qui fait que tu as envie d’y participer d’une manière ou d’une autre. Ca te paraît accessible et simple soit tu fais du son, tu rappes, ou tu fais autre chose. J’étais parti sur un projet il y a quatre ans sur les nouvelles manières de vendre la musique, et j’ai eu chez le même éditeur un bouquin Rap, Hip-Hop en 150 albums, de Kurtis Blow à Odd Future (novembre 2013). Dans son bouquin, l’auteur ne parlait quasiment que d’albums américains. J’avais l’envie de consacrer du temps pour faire ça, mais à la sauce française, il y avait une contrainte au niveau du format, 2200 signes par album. Le plus dur était de se contenir et de ne pas tomber dans l’euphorie de donner envie de découvrir un album. Ce livre est aussi une porte d’entrée pour les novices.
Y’a-t-il un fil conducteur de la première compile Rapattitude 1990 à Jul 2015 ?
Mehdi Maïzi : Oui c’est déjà un rap français, on m’a souvent demandé ce qui fait que ce soit du rap français et, qu’est-ce qui fait que ce n’est pas uniquement une déclinaison du rap américain. Je pense que du « bom bap » d’hier à la « trap » d’aujourd’hui on peut dire qu’il y a une influence américaine. Là où les Français se différencient, c’est dans le profil des rappeurs, un noir américain ne va pas raconter la même chose qu’un fils d’immigré algérien, qui ne va pas raconter la même histoire qu’un chicanos. Aujourd’hui on entend dire « Orelsan ou Vald sont les nouveaux Eminem français », ok c’est marrant pour les médias généralistes, mais leurs histoires n’ont rien à voir. Ils ont une culture française. Quand t’écoutes NTM dans « je rap » ou Jul aujourd’hui bien sûr c’est différent, mais les deux racontent une réalité qui est archi française.
Réhabilitons Jul alors ?
Mehdi Maïzi : Complètement, je ne suis pas un fan de la musique de Jul, mais ça marche et tant mieux pour lui. Le mec a un public et il a fait ça tout seul faut respecter ça. C’est fait avec honnêteté et sincérité. C’est un mec de maintenant qui écoute Meek Mill Young Thug, il fait ça avec les moyens Français et avec son identité.
L’explosion des rappeurs de Province comme Gradur, c’est un peu Paris qui perd le trône, comme New York a perdu flamme dans le rap US  ?
Mehdi Maïzi : New York s’est essoufflé, mais on ne peut pas comparer la France aux États-Unis. La fin de New York est venue avec l’émergence des industries dans les autres États des USA. En France tu es toujours encore obligé de passer par Paris pour la promo, les label et médias, tout est encore centralisé. Tous les rappeurs de province qui percent comme Joke Niro ou Nemir sont obligés de passer par Paris.
Comment se préparer quand Booba accepte une interview ? Est-ce le même exercice avec un autre rappeur moins exposé ?
Mehdi Maïzi : Quand je me prépare pour Booba, je sais qu’au niveau audience les chiffres de vues vont être exponentiels. C’est Booba, c’est une carrière l’enjeu est d’avoir une interview pointue et grand public. Je sais qu’il y a énormément de médias qui le demandent, je me dis allons sur de vraies questions.
Nous à l’Abcdr, on peut faire des grands écarts, interviewer Booba, mais aussi Alkpote ou Hyacinthe et LOAS. C’est aussi ça le rap.
Dans vos interviews, vous montrez aussi qu’il n’y a pas qu’un seul public stéréotypé de banlieusard qui aime le rap…
Mehdi Maïzi : L’idée c’est de montrer que le rap français ce n’est pas « le rap game » et il ne vient pas forcement de la banlieue. L’idée reçue que le rap français vient des quartiers pauvres est donc un peu erronée, le rap français est historiquement arrivé dans le luxe du showbiz. Il est arrivé avec Chargin d’amour par exemple. Quand tu lis l’ouvrage Regarde ta jeunesse dans les yeux de Vincent Piolet (Editon : Le mot et le reste), tu te rends compte que la naissance du hip-hop ne s’est pas fait dans des lieux uniquement de précarité. Il ne faut pas oublier que Paco Rabanne était un des mécènes du hip-hop français
Le rap c’était mieux avant ?
Mehdi Maïzi : Jamais de la vie ! Akhenaton donne une bonne explication alors qu’il a reçu cette image de gardien du temple, le mec écoute des trucs à l’ancienne comme Alchemist, il me dit moi j’écoute du rap d’avant, mais la notion de sauver le hip-hop j’en ai rien n’a foutre. Il y a un coté nostalgique bien sûr, moi si tu me demandes de garder un album, je te dis « Ready to die » de Biggie, mais c’est une réponse de vieux con, au moment où je l’ai écouté j’ai pris une claque tellement forte que je ne prendrai plus jamais de ma vie.
Demain un gamin de 15 piges qui découvre Young thug, je pense qu’il se prendra la même claque et peut être dans 15 ans il dira que le rap c’était mieux avant en 2015. Mais il y a des gens qui disent aussi que le rap c’était mieux en 1985, moi je pense que quand tu as 30 ans tu es moins naïf et ne te prends plus les mêmes claques qu’à 15 ans. En gros, en temps qu’auditeur c’est plus compliqué d’être surpris quand on connaît les codes. Il y a une génération qui te dira aussi que le rap français c’était mieux avec Sefyu. Alors que pour certains, quand Sefyu était arrivé c’était la fin du monde… On peut vite devenir un vieux con et c’est ma plus grande crainte, le temps est traître.
Pour beaucoup de gens, un travail comme celui de labcdr cicatrise tout une époque où nous avions des grands simulacres d’interview de rappeurs, où les intervieweurs ne connaissaient rien au son, et accueillaient les artistes avec des « yoyo » condescendants. Cette époque est-elle révolue ?
Mehdi Maïzi : Les gens à qui tu fais allusion n’ont pas été élevés par le rap, ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est que ces médias-là commencent à comprendre leurs erreurs. Quand tu as Antoine de Caunes qui accueille Booba en 2012 avec des « yoyo » tu vois qu’on manque de respect à ce mec-là et on manque de respect à toute une culture. Le « yoyo » détruit tout. Tout ce qui a été construit avant est anéanti avec ce « yoyo » qui pour ta daronne ou la ménagère de plus de 50 ans va résumer le rap. Nous on a cette chance-là, d’avoir vu Fabe se barrer de Taratata, nous on arrive avec d’autres codes.
Je pense que des trucs comme le Before du Grand journal montre que c’est en train de changer. On parle de musique avant de faire « yoyo », les trucs écrit dans les Inrocks dernièrement vont dans le bon sens. Ça va de mieux en mieux quand je vois des médias comme Snatch ou Society, des médias jeunes fondés par des gens qui ne sont pas issus du rap, mais quand ils en parlent c’est avec bienveillance et avec une certaine connaissance.
En 1996 dans un débat télévisé, Éric Raoult (ministre de la Ville à l’époque) interroge Kool Shen sur la redistribution de ses bénéfices avec un : « où vont les thunes ? » qui paradoxalement pose une vraie question sur la transmission dans le rap français. Dans les moyens financiers et dans l’héritage musical, peut-on transmettre le relai dans le rap ?
Mehdi Maïzi : L’histoire du label 361 d’Akhenaton, résume bien l’économie précaire, chaque album qu’il produisait était une prise de risque, jusqu’à ce qu’il arrête après un échec. Je ne pense pas que les rappeurs doivent redistribuer leurs thunes, il ne faut pas trop en demander aux rappeurs.
Les rappeurs ont-ils une responsabilité ?
Mehdi Maïzi : Je pense qu’il y a des rappeurs qui assument leurs responsabilités, il y a des rappeurs qui veulent avoir un impact et d’autres comme Kaaris qui ne veulent pas être plus qu’un rappeur. Kaaris veut divertir les gens, il n’a pas cette volonté de représenter les gens, même s’il dit des choses, il brandit le 93 en portant Sevran.
Pourtant, aux élections municipales dans la ville de Sevran l’an dernier, on aurait pu avoir des bulletins de vote de Kaaris vu à quel point il a réussi à faire connaître sa ville au niveau national…
Mehdi Maïzi : Il y a des chances, mais les rappeurs ne doivent pas outrepasser leurs compétences, il y a beaucoup de rappeurs qui ont été invités dans des débats sérieux et ont été décevant.
Comme Disiz pendant les émeutes de 2005 ?
Mehdi Maïzi : Pas seulement lui, c’est loin d’être le seul. De toute façon il n’y a pas grand monde qui avait été brillant et il n’y a pas grand monde qui avait su se défendre face à des interlocuteurs dont le métier était de parler de ça tout le temps.
Les rappeurs restent des artistes. Il y a des sujets complexes sur lesquels certains ont été superficiels par exemple le morceau Hardcore d’Ideal J, aussi immense soit-il dans l’histoire du rap français, ce n’est pas que je ne l’aime pas, je regarde juste sa construction, il cite des faits et je ne suis pas sûr qu’il aurait pu se défendre à l’époque face à un contradicteur. Quand Ekoué (la Rumeur) va écrire des choses très engagées, je sais qu’il a les armes pour ça il a réfléchi sur ce qu’il dit. Despo Rutti aussi réfléchit beaucoup sur ce qu’il dit. Quant à Kaaris, on ne lui demande pas de commenter l’actualité économique du pays et c’est très bien comme ça. Des fois des mecs qui disent « on s’en bas les c… » ça parle 1000 fois plus qu’un mec qui va se documenter pour écrire une rime.
Dans 100 ans lequel aura un nom de rue ?
Mehdi Maïzi : Imagine une rue Elie Yaffa à Boulogne, une avenue Phillipe Frangione a Marseille, un boulevard Housni Moukboi à Vitry…
Quel message pouvons-nous donner aux personnes qui détestent le rap ?
Mehdi Maïzi : Je respecte celui qui a fait l’effort de l’écouter déjà. On ne va pas évangéliser la France. Malgré tout, mon ouvrage s’adresse aux gens curieux. J’ai juste voulu montrer que c’est une vraie musique et qu’il existe plusieurs manières de penser, de voir et de pratiquer le rap. Par rapport à mon parcours personnel, je ne demande pas aux artistes de m’orienter dans la vie, même si musicalement le rap a changé ma vie et permit d’être ce que je suis. En revanche, si je paye mes impôts honnêtement ce n’est pas grâce à Rockin Squat.
Propos recueillis par Saïd Harbaoui
Dédicace : dans un style libre de rap, on termine généralement par une dédicace et il faut parfois faire des amalgames (par exemple : yoyo la famille). Je dédie cet horrible article à tous les amoureux de cette future ex-sous-culture, mention spéciale à mon pote artiste Yuri-J.

Articles liés