Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas vu, Mignonnes de Maïmouna Doucouré, raconte l’histoire d’Amy (Aminata) jouée par Fathia Youssouf, élève en 6e, dont la petite vie se retrouve bouleversée très vite : nouvel appartement, nouveau collège, bouleversements familiaux, la jeune fille va rapidement chercher un échappatoire et se retrouver entre deux mondes : celui des enfants et celui des adultes, aux portes de l’adolescence.

Le film traite avec brio et intelligence des sujets compliqués à aborder aussi bien d’un point de vue personnel que d’un point de vue sociétal et tout particulièrement l’envie de grandir très (trop) vite des enfants, surtout des filles. Mignonnes vient d’une réalité, d’une expérience personnelle de la réalisatrice, ayant assisté à un concours de danse en banlieue où des jeunes filles dansaient en petites tenues lascivement, devant leurs mères, raconte Maïmouna Doucouré au magazine Américain TIME.

 

La bande annonce du film sorti le 27 août 2020.  

Dans Mignonnes, Amy a du mal a gérer des changements dans sa vie personnelle liés au fait qu’elle devienne une adolescente. Alors qu’elle se retrouve face à des transformations physiques et de nouvelles responsabilités, l’idée de devenir une femme lui est presque terrifiante. Étant issue d’une famille conservatrice, elle devient fascinée presque par opposition, par un petit groupe de filles de son collège (et de son âge) qui twerkent et dansent avec insouciance.

Cette fascination est d’ailleurs cristallisée dans le personnage d’Angelica, une jeune fille du même âge qu’Amy, qui est la véritable « leader » de ce petit groupe de filles. Cette attirance presque magnétique se traduit par l’envie de se faire une amie, et l’envie inavouée de faire partie du monde d’Angelica. Une très jeune fille déjà bien à l’aise dans ses baskets et dans sa féminité naissante (ou mise en avant), et qui a envie de danser comme les adultes. Les ennuis commencent lorsque Amy et ses amies s’entraînent à danser dans le but d’être sélectionnées pour un concours, le début d’un engrenage difficile arrêter pour la principale protagoniste.

Un malaise plus que nécessaire

C’est là tout l’enjeu : ces enfants sont catapultées malgré elles dans un monde qui n’est pas le leur. La faute à une société de l’image qui a tendance à faire grandir les filles trop vite, avec toujours une représentation de la femme adulte qui doit rester désirable, sexy et libérée. Le personnage d’Amy doit ainsi dès l’enfance, faire face à une dichotomie entre ces images là, et les valeurs de l’islam transmises par sa famille qui a sa propre définition de ce que doit être une femme, sans pour autant que la narration indique un jugement de valeur dans les choix de la jeune fille.

Le film cherche et parvient à mettre les spectateurs et spectatrices mal à l’aise en montrant cette hyper sexualisation de la femme et ergo, des petites filles qui veulent déjà faire comme les grandes. Via un jeu de caméra, cette sexualisation est adressée au travers des points de vue de différents personnages, importants ou non. Lorsque les filles dansent entre elles, la caméra se focalise beaucoup sur leurs visages. A l’inverse dans les quelques scènes où elles dansent devant des adultes, l’angle s’élargit sur leurs corps. Mignonnes joue sur ce malaise et il arrive que l’on se dise intérieurement avec du recul « Non! » plusieurs fois tout au long du film, afin d’éviter à l’héroïne de faire les bêtises qu’elle fera. Tour de force.

Une distribution internationale houleuse.

Dans le sillage de la distribution du film, une forte polémique éclate. Le 20 août 2020,  la plateforme de streaming Netflix met en ligne un extrait du long-métrage et une affiche pour la distribution outre Atlantique du film, avec des poses sensuelles des quatre jeunes héroïnes. Postée sans contexte, l’affiche et le film enflamment Twitter. Très vite Netflix change l’affiche, et présente des excuses. Le mal est fait et des pétitions sont très vite lancées pour demander le retrait du film de la plateforme. Le 3 septembre, la Turquie via son organe de contrôle de l’audiovisuel, interdit la diffusion du film, accusé de montrer des images d’exploitation de mineurs.

 

 

En un coup de marketing (conscient ou non), la plateforme de streaming, mais surtout (et plus grave!) le film et toute son équipe se retrouvent entre autre accusés de « diffusions d’images pédophiles ». Maïmouna Doucouré a été vivement attaquée alors qu’elle découvrait en même temps l’affiche pour Netflix, allant même jusqu’à recevoir des menaces de mort, qui l’ont forcé à quitter Twitter. Si la réaction est particulièrement disproportionnée, le malaise originel peut se comprendre, selon la journaliste Jennifer Padjemi: « L’affiche choisie premièrement par Netflix met en scène un moment culminant de l’histoire, où le décalage entre les héroïnes et le public est total. Si c’est un choix délibéré, ce n’est pas vraiment contradictoire ».

Cette polémique vient d’un choix de marketing de mauvais goût de la part de Netflix, mais potentiellement aussi de différences culturelles, et du rapport à la représentation à l’écran des personnes mineures qui n’est pas la même, analyse Jennifer Padjemi. « Généralement les jeunes sont joués par des personnes plus âgées, un ado de 15 ans va être joué par un jeune adulte de 20 ans par exemple. Il y a des films ‘coming of age’ (illustrant le passage à l’âge adulte, ndlr) aux Etats Unis, mais il n’y a pas le même rapport au corps ».

Et si la réaction peut sembler contradictoire, elle ajoute, « les États-Unis sont tout de même le pays des concours de Mini Miss, interdits en France depuis 2013. » Il est aussi peut être important de se demander si l’on ne refuse pas de voir le réel problème en face : l’exposition devenue systématique de jeunes enfants à des images qui ne leurs sont pas destinées, notamment sur les réseaux sociaux.

La poudrière des réseaux sociaux au coeur de la polémique

Toujours selon Jennifer Padjemi, cette polémique est aussi le fait des réseaux sociaux et de leur fonctionnement. « Les réseaux sociaux font que tout va beaucoup plus vite, tout le monde y va de son commentaire et se retrouve scandalisé pour un film qu’ils n’ont pas vu! C’est un effet boomerang vraiment lié à Internet, il faut une réaction à chaud sur tout, et tout le temps. »

Les réseaux sociaux, et en particulier Twitter, ont tendance à faire exploser chaque sujet qui tombe, ce qui contribue à faire fonctionner la plateforme : plus la polémique est grosse, plus les utilisateurs vont aller de leur commentaire, plus l’affaire va grossir et créer une bulle, qui va se flétrir avec la prochaine polémique. « Des débats et des polémiques qui seraient restées dans un petit milieu se retrouvent à grossir d’un coup » décrypte la journaliste.

Mignonnes traite aussi du problème des réseaux sociaux, pas avec leur capacité à faire exploser un sujet mais par l’importance qu’ils prennent dans la vie des adolescents, de plus en plus jeunes, et des effets parfois dévastateurs de leurs fonctionnements.

Pour autant malgré la polémique, Maïmouna Doucouré espère que le film sera vu : « J’espère que ceux qui n’ont pas vu le film le verront et je veux voir leurs réactions. J’espère qu’ils comprendront que nous sommes du même côté dans cette bataille. Si l’on joint nos forces on pourrait faire du changement dans ce monde qui hypersexualise les enfants. » confiait-elle au magazine Deadline le 3 septembre dernier.

Mignonnes sort le 9 Septembre sur Netflix aux Etats Unis, et est toujours à l’affiche dans les salles françaises, depuis le 19 août.

Emilie Ritter

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