Mohamed, piaf à la voix éraillée. Les parisiens qui voyagent régulièrement sur la ligne 2 du métro entre Nation et Place de Clichy l’ont sûrement croisé un jour. Il s’agrippe à un petit orgue électronique aux touches rafistolées qu’il colle à son oreille comme un coquillage dont il voudrait entendre la mer. Son regard voilé par un glaucome fixe le vide, droit devant lui. Mais le son de sa voix écorchée par des années de chant dans le métropolitain capte toutes les attentions.

Avec des chansons d’amour venues du bled (Tlemcen, en Algérie) ou d’Amérique comme sa version inimitable d’Hotel California, il tente de recouvrir le bruit assourdissant des freins des nouvelles rames de la ligne 2 et d’agrémenter le train-train des voyageurs. Si parfois des sourcils se soulèvent agacés, comme ceux de ces femmes d’une soixantaine d’années à l’allure très bourgeoise qui se racontent des souvenirs d’enfance, la plupart des regards qui se posent sur Mohamed semblent intrigués voire attendris…

Station Jaurès. Une blonde quadra interroge une femme, visiblement d’origine maghrébine, qui ne cache pas son admiration. « Savez-vous en quelle langue il chante ? » « A mon avis, c’est un vieux dialecte. Sa chanson parle d’amour déçu… ». Après avoir assuré une traduction sommaire, la femme se lève pour donner une pièce à Mohamed et lui glisser un compliment à l’oreille. Des mercis à ceux qui le félicitent, Mohamed en distribue beaucoup comme à cette jeune fille. Elle lui avoue timidement que ses chansons et sa voix l’ont atteint en plein cœur.

Depuis des années, la ligne 2 est le terrain de jeu musical du jeune homme de 29 ans mais il songe à s’exiler sur la ligne 9 pour varier les plaisirs et le public. De quoi l’éloigner de la station Belleville et de son bar fétiche, le Zorba où il se produit parfois en concert comme ce soir et où il donne rendez-vous pour une interview. Il commande un diabolo-menthe avant de se confier : « Ça fait 8 ans que je vis en France. Je suis hébergé chez un oncle qui habite en Seine-Saint-Denis. Ici, je suis heureux car je me sens libre. Je peux faire ce que je veux sans me soucier des qu’en dira-t-on. Si j’ai envie de rentrer dans un bar, personne ne va aller le répéter à ma mère pour l’embêter… Mais si je suis venu à Paris, c’est surtout pour réaliser mon rêve : percer dans la musique… ». Mohamed est mal voyant. Depuis une opération qui a échoué, il redoute de repasser sur le billard. « L’opération a 50% de chance de réussir ou de rater. Je préfère pour l’instant ne pas prendre le risque d’un autre échec… ». Le risque d’être déçu une nouvelle fois. On s’imagine aussi que son handicap, au fil de ses concerts impromptus dans le métro parisien, est devenu une force et un signe qui le distingue des autres musiciens.

Dans la cave au sous-sol du Zorba, les fans de Mohamed se serrent les uns contre les autres. Émile, un intermittent, chef électricien à la télévision est fidèle au rendez-vous : « Dans le quartier, les nouveaux ou ceux qui y habitent depuis 20 ou 30 ans, tout le monde connaît Momo ! On est tous super émus de sa façon de jouer et d’imposer de la sérénité… ». Le concert commence et Mohamed enchaîne ses tubes personnels dans lesquels se mélangent souvent sa langue maternelle et le français. Le public, très complice, n’hésite pas à le taquiner et Mohamed le lui rend bien. « Tu veux nous faire chialer, c’est ça ?!? » invective un spectateur. « Ouh, vous êtes chauds » répond-t-il, hilare aux bravos et applaudissement enthousiastes. « Je transpire mais ça donne de l’énergie …». Il termine après le second Hotel California de la soirée réclamé par une demoiselle à qui il n’aura pas su dire non. Malia, une amie de Mohamed venue avec le slameur d’Aubervilliers Hocine Ben, avoue qu’elle n’avait pas assisté à un concert aussi émouvant depuis longtemps. Et pour Hocine, « c’est sa fragilité surtout qui nous touche… »

Qu’il perce ou non dans le business de la musique, Mohamed sait déjà qu’il peut compter sur un public aimant et fidèle. Qu’il le rencontre sur les tabourets du Zorba ou sur les strapontins de la 2 ou de la 9, peut-être sa nouvelle ligne de chance…

Sandrine Dionys

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