Des scènes d’Aubervilliers à celle du Printemps de Bourges, depuis quelques années Mustapha Terki a choisi un autre plateau, celui de Montréal. Mehdi l’a rencontré à l’occasion du festival de musique électronique au Québec.

Sur la photo, c’est lui, c’est « trente ans plus tard« , dans sa ville de cœur, à Aubervilliers. Il y est retourné, comme il y va souvent, avec un sac à dos et des lunettes de touriste. Il y a des histoires comme ça qui s’écoutent, et la sienne qu’il aime bien raconter. Mustapha Terki, un gars d’Aubervilliers, qui a organisé son premier festival, à 18 ans, « derrière la piscine de la ville« . Maintenant, il a 55 ans, il marche à Montréal comme chez lui, avec un chapeau en paille et un polo Lacoste, qu’on lui file « gratos« . Il passe, la nuit, d’un club à l’autre, pendant le MEG [Montréal festival electronic groove], le festival qu’il a fondé il y a quinze ans, « entre tête d’affiche et nouveaux talents » électro. À la rencontre d’un hyper-actif.

Est ce que tu te souviens d’Aubervilliers ?

Je m’en souviens. C’est la ville où j’ai tout appris. C’est ma famille, mes amis. C’est une ville avec une belle histoire. On peut en partir, mais Aubervilliers ne part pas de toi, comme on dit.

C’est une ville qui, à l’époque, t’a fait mûrir ?

Je sais pas si elle m’a fait mûrir. Je suis né à Audincourt, près de Besançon, et comme beaucoup d’immigrés d’origine kabyle, mon père est venu s’installer à Aubervilliers quand j’avais un an. J’ai eu une enfance sans trop de moyen, mais heureuse. Dans une ville qui a une histoire et des valeurs, notamment au niveau politique.

Toi, d’ailleurs, tu t’es vite impliqué dans cette ville.

Mes animateurs étaient Mouloud Aounit et Didier Daeninckx. C’était pas n’importe qui ! Donc, j’ai grandi dans cette dynamique. Le goût de la musique est arrivé à ce moment-là. J’avais 15 ans. Je commençais à jouer de la guitare et j’ai eu la piqûre. C’était l’époque punk, avant le hip-hop. En 1977, on a eu une idée, avec des potes, qui peut paraître farfelue : à Aubervilliers, il y avait des groupes qui jouaient dans des caves et notre premier projet c’était de leur offrir une scène ! On a fait ça derrière la piscine d’Auber et on a eu des milliers de personnes. C’était un mini-festival pendant une journée. J’avais 18 ans.

C’était parti…

Oui. Dans les années 80, la musique se démocratisait totalement. Les gens venaient de plus en plus ! On faisait partie des jeunes animateurs qui disaient : « l’ancienne génération, c’était bien, mais aujourd’hui la jeunesse bouge » ! En 1983, on a été voir le maire d’Aubervilliers et on lui a proposé de monter le caf’OMJA : acheter un café et y faire des activités culturelles ! On avait une programmation régulière. Par exemple, Manu Chao a démarré là avec son groupe. Arthur H aussi… En 84, on a fait les premiers concerts hip-hop avec Dee Nasty.

Vous étiez des jeunes conscients quand même.

Conscients et militants. Je pense que ça a toujours existé et que ça existe toujours. Chaque génération a ses propres codes et des gens qui arrivent à les décoder avant tout le monde, avec une perception et une sensibilité. C’est pour ça que je fais toujours confiance à la jeunesse. Je ne tombe pas dans les stéréotypes du « avant c’était mieux… », au contraire ! En même temps, je ne joue pas le jeune non plus.

Imaginer et créer des festivals, c’est particulier. Quand est-ce que tu as pris conscience que tu voulais en faire ton métier ?

Ce qui a été le déclencheur, c’est mon ami Maurice Frot, qui était l’ancien manageur de Leo Ferré, avec Bernard Batzen et Daniel Colling du Printemps de Bourges. Dans les années 80, ils étaient en train de monter un « réseau de découvertes » pour le Printemps de Bourges. Et ils ont crée une antenne en Ile-de-France qu’ils m’ont confié. Je devais découvrir des talents. Ils ont aussi monté l’association « réseau Printemps » qui gérait la coordination nationale de toutes les antennes en France. Mais, hélas, Michel Brez, son président, à disparu au bout de six mois. Le Printemps de Bourges m’a donc proposé la direction nationale en 1989.

Tu es donc resté onze ans au Printemps de Bourges à découvrir des talents…

C’est là où j’ai découvert Zebda en 1990. C’était la première scène aussi de Zap Mama, L’affaire Louis’ Trio… En 1994, la première scène de Faudel, dans une salle de trois cent places, et il y avait des filles qui criaient de partout. En sortant, j’ai dit « Let’s go, man » parce je savais que ça allait cartonner !

Après, il a pris une autre tournure…

Il fait ce qu’il veut après. C’est sa life ! (rires)

En quoi ton enfance, à Aubervilliers, a eu une influence sur ta carrière au Printemps de Bourges ?

J’en ai même profité pour lier mon engagement et mes convictions. En 1990, j’ai crée « Cité Rock » avec le Printemps de Bourges. On choisissait 44 quartiers en France et on aidait les jeunes à monter des concerts. On les intégrait dans l’organisation et on fournissait la logistique et l’infrastructure. En 1998, j’ai fait Banlieue du Monde : 800 jeunes et 21 pays pour la Coupe du Monde. Il y avait du sport, de la musique… Chaque pays venait pendant une dizaine de jours avec 20 jeunes, dont dix musiciens et dix footballeurs. Par exemple, la délégation de Los Angeles était composée de Jurassic 5 et ils ont joué en France pour la première fois. C’était une expérience humaine énorme !

C’est au Printemps de Bourges, durant ces années, où tu découvres l’électro…

Il y avait des débats dans les années 90. Au début, les gens trouvaient ça nul parce que les mecs ne « jouaient » pas. Mais ils écrivaient leur musique, c’était l’essentiel, le reste on s’en fout ! Comme le hip-hop, l’electro était un vrai mouvement, une vraie culture. J’aime l’énergie de cette « loterie numérique ». T’avais des mecs qui arrivaient avec des morceaux de vingt minutes ! En Europe et dans les pays occidentaux, contrairement à l’Afrique où il y a des grandes cérémonies, on n’a pas de carnaval, mais l’electro, c’est un carnaval : un moment de communion à travers la danse !

En 2000, t’as quitté le Printemps de Bourges pour créer ton festival de musique électronique, à Montreal, le MEG…

J’ai découvert Montreal en 1990. C’est cette ville un peu magique, entre l’Europe et l’Amérique du nord. C’est relax, mais en même temps ça s’énerve au bon moment… Les gens ont tous un côté entrepreneur, pas seulement en musique. Et comme on dit au Quebec, je suis tombé en amour. J’ai donc imaginé ce festival ici, avec la culture du partage d’internet : le MEG, c’est un festival d’échange qui ne dure pas seulement une semaine mais toute l’année, avec des artistes de Montreal qui se produisent à l’étranger, des artistes d’ailleurs qui viennent ici… Depuis 2000, on fait des plateaux MEG dans le monde entier. Avec le MEG, je ne fais que des photographies et je dis : « Voilà ce qui se passe en ce moment… ». Je ne fais pas ça par rapport à la mode.

Quinze ans plus tard, le MEG existe encore. Comment définir le cru de cette année ?

Le MEG a fait jouer des artistes très tôt comme Brodinski, M.I.A, DJ Mehdi ou Foals. En 2005, on a fait Justice dans une salle de cinquante personnes. Maintenant, ils sont tous devenus de grandes stars. Cette année, Acid Arab a clôturé le festival avec une soirée sur un bateau qu’on organise depuis trois ans maintenant. Comme tous les ans, il y a eu des belles découvertes. Nous, notre rôle, avec mon équipe, c’est d’être prescripteur !

Pour revenir au début, comment tu vois Aubervilliers aujourd’hui, quand tu y es de passage ?

Il y a toujours une bonne dynamique, je pense. Ce que je trouve plus triste, c’est la situation sociale et économique. Et le racisme, très présent. Ca me fout les boules ! Mais je crois à la nouvelle génération et en la transmission. La culture est possible.

Propos recueillis par Mehdi Meklat.

 

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