Environ 100 000. C’est le nombre de diapositives que possède Mohamed, 35 ans, dans sa collection. Les plus anciennes datent des années 1940, les plus récentes des années 2000. Elles sont tirées de photographies du Maroc, de la Thaïlande, du Mali, du Pakistan…On peut y voir des personnages célèbres comme des anonymes de l’ensemble du globe. Elle lui permet de « voyager à travers le monde et à travers le temps ».

Fasciné par les diapositives, il a fondé le compte Insta Mystic Diapo en 2019 pour « partager sa passion » et organise régulièrement des expositions. Actuellement, l’une se tient dans le 19e arrondissement sur le Sahel, l’autre dans le 20e sur l’Algérie. Interview.

Comment est née ta passion pour la diapositive ?

J’ai découvert ce qu’était une diapositive il y a quatre ans, en regardant le film Kodachrome. Quelques jours plus tard, dans une brocante à Suresnes, je suis tombé sur un stand qui vendait des diapositives. J’en ai pris une pour l’analyser de près. On y voyait un homme qui portait son fils dans une gare. Et là, coup de foudre. Je l’ai trouvée vraiment touchante. Puis, je ne sais pas ce qu’il m’a pris, mais je lui ai acheté tout ce qu’il avait. La passion est ensuite devenue dévorante.

Qu’est-ce qui te fascine tant ?

L’objet en lui-même ! On situe les débuts de la diapositive dans les années 1940-1950. En fait, ceux qui avaient un appareil photo voyageaient avec, puis revenaient chez eux avec des clichés et ils en faisaient des diapositives. Ils avaient un projecteur et invitaient leurs proches pour partager avec eux leur voyage. C’était un peu l’équivalent d’Instagram quoi.

C’est vraiment un objet particulier, tout petit, mais qui me permet de voyager à travers le monde et à travers le temps

Les diapositives me permettent d’une certaine manière de remonter dans le temps. On est en contact avec le film d’origine, et sur chacune d’elles est écrit la date et le lieu de prise de la photographie. C’est vraiment un objet particulier, tout petit, mais qui me permet de voyager à travers le monde et à travers le temps. Une diapositive, je peux l’admirer à la loupe, la projeter sur grand écran… et toujours avec des yeux d’enfants !

Tu expliques que tu as développé une collection sans t’en rendre compte : c’est-à-dire ?

En fait, après la brocante, j’ai acheté un projecteur à diapos pour admirer sur grand écran celles que je venais d’acquérir. C’était comme si j’avais un cinéma chez moi. Et j’ai vite eu envie d’obtenir d’autres diapos pour découvrir de nouveaux endroits, de nouvelles scènes de vie. J’en achetais surtout sur internet, par lots.

Mais c’est assez incertain, parfois, tu les ouvres et c’est pépite sur pépite. D’autres sont plus décevants. C’est le jeu. Et puis en me lançant sur Insta, des gens m’ont contacté pour me donner des diapos qui trainaient chez eux depuis longtemps. Petit à petit, je me suis vite retrouvé avec une grosse collection.

Actuellement, j’en ai environ 100 000, mais il me reste une petite cinquantaine de pays pour lesquels je n’ai rien dans ma collection

C’est devenu obsessionnel. Je me suis fixé l’objectif d’avoir au moins une diapositive sur chaque pays du monde. Actuellement, j’en ai environ 100 000, mais il me reste une petite cinquantaine de pays pour lesquels je n’ai rien dans ma collection. C’est compliqué d’en avoir sur les pays non touristiques, comme la Corée du Nord. C’est une quête qui va être longue, mais je ne me mets pas de pression.

Pourquoi avoir décidé d’organiser des expositions ? Comment ça s’organise ?

Je me suis lancé seul dans le projet, mais deux amies, Aïcha et Sarah, m’aident ponctuellement, en organisant des expositions notamment. Je sentais que c’était important, pour passer un cap dans le développement du projet, et puis tout simplement pour passer du virtuel au réel, rencontrer la communauté. La première expo (en décembre 2021, dans le 18e, ndlr), c’était une consécration. On a découvert une nouvelle manière de présenter les diapos en dehors des réseaux.

Depuis, on en a fait sur plein de sujets différents – choisis en fonction de nos envies, des opportunités, et puis de ce que j’ai dans ma collection. Une fois par exemple, on en avait organisé une sur les sourires du monde, tout simplement.

J’espère que des gens originaires de ces anciens pays colonisés, en voyant ces clichés vieux de plusieurs dizaines d’années, vont réussir à en apprendre un peu plus sur leur histoire

Pendant une expo, je tiens vraiment à ramener les vraies diapositives. C’est important pour moi de faire découvrir le support physique, pour que les gens puissent le palper et ressentir les mêmes émotions que moi lorsque j’ai touché à ma première diapositive.

Je constate que sur ton Insta, tu publies beaucoup de diapos sur ce que l’on appelait à l’époque le « tiers-monde », souvent d’anciens pays colonisés.

On sort d’une période coloniale pendant laquelle certains pays ont souffert d’une mauvaise représentation. J’espère que des gens originaires de ces anciens pays colonisés, en voyant ces clichés vieux de plusieurs dizaines d’années, vont réussir à en apprendre un peu plus sur leur histoire, remonter dans le temps, s’imaginer aux côtés de leurs ancêtres…

Diapositive d’un cliché pris au Maroc en 1963.

Un jour, j’espère pouvoir lancer une sorte de série de reportages. J’irai dans les endroits que je vois sur mes diapositives pour rencontrer des habitants, leur montrer comment c’était chez eux, il y a plusieurs décennies. Ça pourrait même donner de très belles surprises, peut-être que certains vont reconnaître leurs grands-parents, des gens de leur famille…

Sur ton site, tu indiques qu’une diapo dure cent ans, mais que tu espères que ton projet pourra « les faire vivre bien plus longtemps ». C’est-à-dire ?

Une diapositive, elle se dégrade et finit par se détruire au bout d’un certain temps. Mais moi, je réalise un gros travail d’archivage pour que ces images restent. D’abord, je les numérise, grâce à des scanners spécialisés que j’ai achetés. Ensuite, je transmets. Que ce soit sur Insta, pendant des expositions, et pourquoi pas à l’avenir via d’autres projets. Ça ne sert à rien que je garde des dizaines de milliers de diapositives pour moi. C’est une collection privée, mais d’utilité publique. Et puis, ce qui me procure le plus d’émotion, c’est le partage.

Propos recueilli par Ayoub Simour

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